Comment le décret « biologique » du Sri Lanka a créé des problèmes au paradis
Val Giddings*
Pour la plupart des gens, le mot « Sri Lanka » est susceptible de susciter un certain nombre de pensées : un paradis tropical avec des palmiers qui se balancent et des eaux cristallines ; un excellent thé « Ceylan » ; une cuisine incendiaire. L'agitation politique est également susceptible de venir à l'esprit des férus d'information, mais pas les termes « effondrement économique » et « agriculture biologique ». Mais les récents titres de presse introduisent une nouvelle histoire. D'abord : « Comment le passage du Sri Lanka à l'agriculture biologique totale, du jour au lendemain, a conduit à un désastre économique ». Puis : « Le Sri Lanka déclare l'urgence économique pour contenir les prix alimentaires alors que la crise du change s'aggrave. »
Si les histoires apocalyptiques de calamité et de crise en provenance des tropiques ne sont pas du tout inhabituelles, elles sont généralement liées à des typhons, des tremblements de terre, des ouragans ou des coups d'État militaires. Mais l'alimentation biologique ? C'est nouveau.
En creusant un peu plus, on y voit plus clair : le président sri-lankais Gotabaya Rajapaksa, un militaire apparemment peu versé dans la biologie et l'agriculture, a succombé aux sirènes des théories du complot d'une mythomane bien connue et tenace de l'Inde voisine, Vandana Shiva. Suivant ses conseils, Rajapaksa a interdit les importations d'engrais et de pesticides. Son objectif déclaré est de transformer l'économie agricole du Sri Lanka en une entreprise purement biologique, dans l'espoir que les consommateurs seront prêts à payer un prix supérieur pour ses exportations. Les réalités des rendements considérablement réduits et des marchés limités ne semblent pas être entrées dans ses calculs, et les acteurs actuels de l'économie agricole mettent en garde contre les conséquences qui sont cataclysmiques, à commencer par la réduction de moitié du marché d'exportation de 1,5 milliard de dollars pour le thé sri-lankais.
Les véritables motivations du décret de Rajapaksa semblent être un peu plus compliquées qu'une simple conversion à la religion biologique. Il semble qu'il ait adhéré à la propagande colportée par Shiva, alors qu'un minimum de diligence aurait révélé à quel point sa vision du monde est éloignée de la réalité. Mais l'économie sri-lankaise est l'une de celles qui ont été frappées par les rafales de la pandémie de la Covid-19, et il semble que sa mesure visait également à atténuer un problème de balance commerciale en conservant les réserves de devises fortes qui ont été érodées par l'impact de la pandémie sur l'industrie du tourisme, la plus grande source de devises étrangères et le cœur de l'économie.
Quelles que soient les motivations de M. Rajapaksa, la logique de son décret est erronée et, s'il n'est pas annulé, il ne fera qu'aggraver la misère d'une population dont l'économie est malmenée et qui est en proie à des décennies de troubles politiques sanglants. Bien que la filière mondiale de l'alimentation biologique ait connu une croissance explosive au cours des dernières décennies, elle a été stimulée par une campagne de marketing déconnectée de la réalité. Les citadins occidentaux ont été séduits par les allégations de « zéro pesticides » et d'« aliments sains » et ont été prêts à payer des surcoûts de 20 à 40 %, bien que la production d'aliments biologiques utilise des pesticides, dont certains sont beaucoup plus toxiques que leurs équivalents de synthèse, et que les aliments ne soient ni plus sûrs, ni plus savoureux, ni plus nutritifs, ni meilleurs pour l'environnement. Mais les affirmations les plus pernicieusement fausses des spécialistes de la commercialisation des produits biologiques – à savoir que l'agriculture biologique est en quelque sorte plus « naturelle » et plus respectueuse de la Planète – causent des dommages collatéraux qui frappent le plus durement les agriculteurs des pays en développement comme le Sri Lanka, en particulier ceux qui cultivent le principal produit d'exportation, le thé.
Cette situation met en évidence un fait souvent occulté par les médias grand public : les conséquences les plus graves de l'impérialisme vert exporté des Nations industrielles bien nourries vers les pays moins développés touchent le plus durement ceux qui vivent au plus près de la précarité. Ce pseudo-environnementalisme fait activement campagne pour refuser aux agriculteurs des pays en développement l'accès aux techniques modernes que les agriculteurs des Amériques ont utilisées pour augmenter les rendements de 22 % et les profits de 68 % au cours des trois dernières décennies, tout en réduisant l'utilisation des pesticides de 37 %. La cruauté de cette campagne cynique s'accroît lorsqu'on se rend compte que, contrairement à la plupart des avancées de la Révolution Verte – qui reposaient largement sur des économies d'échelle et des équipements, des engrais et des pesticides à forte intensité de capital – les cultures améliorées par la biotechnologie sont neutres en termes d'échelle : leur adoption ne nécessite que l'achat de semences améliorées, ce qui est aussi facile pour les petits agriculteurs que pour les grands, un fait confirmé par les données montrant que la grande majorité des agriculteurs du monde qui cultivent des plantes améliorées par la biotechnologie sont des petits exploitants dans les pays en développement.
Ces avantages comparatifs dont bénéficient les petits agriculteurs en adoptant des technologies de pointe pour l'amélioration des semences promettent d'être accélérés par l'avènement de l'édition de gènes, une suite de puissantes technologies de plate-forme rapidement adaptées à une gamme d'applications innovantes qui était auparavant inimaginable.
Le malheur que M. Rajapaksa inflige à ses compatriotes sri-lankais est exacerbé par l'ironie du fait qu'il les pousse à s'en remettre à des technologies agricoles de plus en plus obsolètes, alors que le reste du monde – même l'Union européenne, historiquement luddite – s'oriente vers un avenir plus durable, plus productif et plus adaptable. Mais les faits ne cessent pas d'exister simplement parce qu'ils sont ignorés (Aldous Huxley). Ce sera un exercice triste mais instructif de voir combien de temps il faudra au Sri Lanka pour corriger le tir.
_____________
* Source : How Sri Lanka’s Organic Decree Created Trouble in Paradise | ITIF