La « guerre contre le glyphosate » et les conséquences environnementales négatives involontaires de la diabolisation d'un herbicide sûr et efficace et de son retrait du marché des jardins
Kevin Folta*
Photo : PAN Allemagne
Sur les réseaux sociaux, ils ont fait la fête. Les tours de piste de la victoire électronique ont célébré la décision de Bayer de retirer l'herbicide Roundup du marché des utilisateurs résidentiels. Dans une décision sans rapport, les tribunaux mexicains ont confirmé un décret présidentiel visant à mettre fin à l'utilisation de semences de maïs génétiquement modifié (OGM) et des herbicides associés.
Mais s'agit-il de véritables victoires pour les militants ou d'actions à courte vue qui vont en fait aller à l'encontre des intérêts qu'ils défendent en public ? Il s'agit peut-être d'un exemple classique de cas où l'on finit par regretter ce que l'on souhaite.
Bayer a acquis une grande partie du géant des semences Monsanto en 2018. La fusion lui a apporté un important pipeline de recherche et développement, mais aussi l'albatros du Roundup, l'herbicide à base de glyphosate qui est devenu controversé sur la base d'allégations selon lesquelles il cause le cancer. Un action de classe massive a recruté plus de 100.000 plaignants. Les décisions des jurys sont allées à l'encontre d'un consensus scientifique et des conclusions des organismes de réglementation internationaux (20 agences indépendantes reconnues au niveau international ont examiné la sécurité du glyphosate) qui ne concluent pas à un lien avec le cancer. Pendant des décennies, les herbicides à base de glyphosate ont été considérés comme sûrs, avec une très faible toxicité aiguë et chronique.
La décision de Bayer aura pour effet de retirer du marché de consommation l'herbicide à base de glyphosate vendu sous la marque Roundup. Dans une déclaration récente, la société a indiqué que ce retrait n'était pas dû à un quelconque risque de cancer, mais qu'il s'agissait uniquement d'une décision commerciale visant à mettre fin à des litiges sans fin.
La réaction en ligne des organisations anti-OGM et anti-pesticides a été plus que jubilatoire. La décision a été largement qualifiée de victoire – et ce de la part des mêmes groupes de pression qui ont promu le faux récit selon lequel l'un des produits chimiques les plus sûrs et les plus efficaces de l'histoire de l'agriculture est un « cancérogène avéré ».
Le retrait du produit du marché a été présenté par les groupes de défense de l'environnement comme un aveu de culpabilité des partisans de la biotechnologie agricole. Andrew Kimbrell, du Center for Food Safety, a célébré l'événement dans un communiqué de presse repris par la quasi-totalité des sites anti-OGM sur le web et par de nombreux médias grand public :
« La décision de Bayer de mettre fin à la vente résidentielle du Roundup aux États-Unis est une victoire historique pour la santé publique et l'environnement. [...] Il est temps que l'EPA agisse et interdise le glyphosate pour tous les usages. »
L'accord conclu avec les anciennes parties aux procès stipule spécifiquement que les plaignants acceptent la conclusion selon laquelle il n'y a pas de lien de causalité entre l'herbicide et le cancer, en particulier le lymphome non hodgkinien. Il n'y a pas eu d'admission de lien de cause à effet par Bayer, et il ne devrait pas y avoir de présomption fondée sur les preuves. L'entreprise a versé un règlement pour mettre fin à une escroquerie astucieuse, une campagne d'extorsion fondée sur l'émotion et sur l'habileté des avocats à battre la piñata financière qu'ils ont contribué à accrocher.
Mais les jurys et les juges ne décident pas si un composé provoque le cancer. Une décision de ce genre est prise à la suite d'une confluence d'études animales, d'évaluations épidémiologiques et d'une identification minutieuse des mécanismes moléculaires précis qui relient les substances chimiques aux cancers. Depuis son premier enregistrement auprès de l'EPA en 1974, le glyphosate a été soigneusement examiné par des dizaines d'organismes de réglementation dans le monde et de scientifiques universitaires indépendants (ainsi que par la myriade de sociétés qui le vendent).
La substance a été réévaluée sur une base régulière et continue afin d'intégrer de nouvelles données dans l'analyse. La conclusion représentant le consensus réglementaire a été résumée de manière concise par Santé Canada en 2019, après une réévaluation indépendante transparente et rigoureuse de toutes les études du monde :
« Aucun organisme de réglementation des pesticides dans le monde ne considère actuellement que le glyphosate présente un risque de cancer pour les humains, compte tenu des concentrations auxquelles ces derniers sont exposés. »
Une seule évaluation s'écarte du consensus réglementaire. En 2015, le Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC) a classé le glyphosate comme « cancérogène probable » sur la base d'un certain nombre d'études in vitro, d'études animales discutables et d'une sélection de données épidémiologiques suggestives. Cependant, la conclusion de l'agence a fait l'objet de vifs débats, car il s'agit d'une évaluation fondée sur les risques envisagés, ce qui signifie qu'elle n'est pas fondée sur le risque réel pour les humains : sur les doses d'exposition réellement rencontrées dans le monde réel. L'évaluation du CIRC n'a pas non plus tenu compte de l'évaluation la plus longue, la plus importante et la plus significative, qui n'a montré aucune association entre le glyphosate et le lymphome non hodgkinien.
En mars 2017, le Comité pour l'Évaluation des Risques de la Commission Européenne [de l'EChA] a publié une opinion qui se penche sur la conclusion contraire du CIRC et réexamine toutes les preuves indépendantes disponibles ; il conclut :
« Le RAC conclut que, sur la base des données épidémiologiques ainsi que des données des études à long terme sur les rats et les souris, en adoptant une approche fondée sur le poids de la preuve, aucune classification de cancérogénicité n'est justifiée. »
À quoi ressemblerait un monde sans utilisation résidentielle du Roundup ? Le glyphosate n'est plus breveté depuis des décennies et les consommateurs avisés n'ont pas acheté préférentiellement le coûteux produit de marque Roundup. Des dizaines d'entreprises, principalement en Chine, produisent des équivalents génériques qui sont disponibles sous forme de concentrés puissants pour une fraction du prix. Le Roundup restera sur le marché agricole, de sorte que les agriculteurs auront toujours accès aux produits de marque pour compléter la technologie de semences associée. L'utilisation du Roundup sur les cultures ne disparaîtra pas.
Le retrait du Roundup à base de glyphosate du marché résidentiel aura deux effets. Bayer remplacera le glyphosate par un autre produit chimique, potentiellement sous la marque notoire Roundup. Il est probable que le produit de remplacement aura une toxicité plus élevée et/ou ne fonctionnera pas aussi bien.
Les consommateurs avertis se tourneront vers les équivalents génériques du glyphosate, achèteront les concentrés, les dilueront eux-mêmes et continueront à utiliser le produit en toute sécurité. Malheureusement, avec un coût plus faible, un concentré, le mélange par l'utilisateur et l'attitude du consommateur qui veut que « si un peu fonctionne, un peu plus fera mieux », l'utilisation du glyphosate va probablement augmenter dans le secteur résidentiel.
Alors que Bayer retire un herbicide à base de glyphosate du marché résidentiel, d'autres restrictions sont imposées sous la forme de mandats gouvernementaux. Là encore, il s'agit de décisions à courte vue qui auront des effets négatifs durables.
Le dernier réveillon du Nouvel An, les bouchons ont sauté, mais pas pour les raisons habituelles. Le président mexicain Andrés Manuel López Obrador a publié un décret visant à mettre fin à l'utilisation de semences génétiquement modifiées, à l'utilisation connexe d'herbicides à base de glyphosate et à l'importation de maïs génétiquement modifié d'ici 2024. Les opposants à cette technologie ont considéré ce mandat unilatéral comme une victoire substantielle dans leur tentative d'interdire les technologies GM dans l'agriculture, et le Mexique a été considéré comme un autre domino qui tombe lentement. Une raison de célébrer, selon certains réseaux sociaux.
Les groupes agricoles ont répliqué, suggérant que la décision du Mexique viole laliberté de choix des agriculteurs et la liberté d'exploitation. Les États-Unis, et même l'administration Biden, considèrent que cette décision va à l'encontre de l'esprit de l'ALENA (et de l'ACEUM qui lui a succédé), qui autorise essentiellement un commerce agricole sans entrave entre les États-Unis et le Mexique, puisque 30 % du maïs utilisé dans l'alimentation animale et l'industrie mexicaine provient des États-Unis.
S'il est louable que le président Obrador souhaite que la politique favorise l'autosuffisance du Mexique, l'approche descendante n'est pas le meilleur moyen d'y parvenir. Les agriculteurs choisissent les semences génétiquement modifiées parce qu'elles permettent des gains d'efficacité qui limitent les besoins en main-d'œuvre, en carburant et autres coûts, et réduisent la charge toxique globale des pesticides, notamment des insecticides. Par exemple, le cotonnier, le maïs et l'aubergine contenant le trait « Bt » sont protégés contre des insectes nuisibles, ce qui limite le besoin de contrôles chimiques massifs. Cela permet d'économiser de l'argent et présente moins de risques pour la santé des applicateurs, souvent des femmes et des enfants dans les pays les plus pauvres qui utilisent ce mode de protection des cultures. Les caractères génétiquement modifiés peuvent augmenter les rendements et limiter l'impact environnemental sur l'exploitation. La perte d'accès aux variétés d'élite aura probablement des répercussions économiques, environnementales et sanitaires.
Les agriculteurs continueront probablement à acheter des semences auprès des mêmes géants semenciers. Ces entreprises vendent des hybrides non génétiquement modifiés d'élite, car ils ont été sélectionnés pour leur rendement élevé et leur résistance aux maladies, sans les caractéristiques ajoutées en laboratoire. Les agriculteurs devront recourir davantage à la lutte chimique contre les parasites pour réduire les dégâts causés par les larves d'insectes foreurs qui détruisent les cultures.
Pour lutter contre les mauvaises herbes, les agriculteurs devront éventuellement – probablement – passer du glyphosate à des herbicides alternatifs, tels que l'atrazine, un composé présentant un risque nettement plus élevé pour les travailleurs et l'environnement. Les agriculteurs auront davantage recours au désherbage mécanique, ce qui augmentera la production de carbone provenant du carburant et du sol, et entraînera potentiellement une perte de la précieuse couche arable.
Ironiquement, les agriculteurs mexicains perdront leur souveraineté en matière de semences, car les limites imposées par les activistes par le biais du décret présidentiel mexicain affecteraient directement leur accès aux dernières technologies en matière de semences. Un trope commun sur Internet veut que les compagnies semencières dictent les semences que les agriculteurs peuvent acheter. Au Mexique, ce seront des mandats politiques idéologiques.
Les agriculteurs mexicains devront combler le vide laissé par la perte des importations de semences GM américaines, et ce avec une génétique moins efficace et une plus grande dépendance à la chimie. Ils produiront davantage d'émissions de carbone, perdront davantage de terre arable et, en fin de compte, verront leurs rendements diminuer, ce qui nécessitera l'expansion de la production agricole dans les zones naturelles. Les consommateurs pourraient également être confrontés à des prix plus élevés.
Ce que l'on prétend être des efforts pour aider les agriculteurs, les consommateurs et l'environnement sont en fait des efforts chargés de non-dits, d'intentions de supprimer le choix des agriculteurs et d'atténuer l'influence des multinationales semencières. Ces prétendus efforts montrent également que la véritable intention des groupes de plaidoyer n'est pas d'aider les agriculteurs ou de protéger l'environnement ; il s'agit de punir les résidus éclatés d'une société défunte, en enfonçant des aiguilles dans le cadavre de Monsanto.
Alors que Bayer retire un produit de consommation du marché et que le président du Mexique restreint le choix des agriculteurs, la science sous-jacente n'a pas changé. Les technologies permettant de contrôler les mauvaises herbes en toute sécurité et d'améliorer le rendement des cultures sont des outils nécessaires à la durabilité économique et environnementale. Avec des restrictions sur la disponibilité des produits qu'ils souhaitent utiliser, les agriculteurs mexicains et les propriétaires américains seront contraints de faire des choix moins durables et moins efficaces. Le pendule mettra du temps à revenir dans l'autre sens.
Faites attention à ce que vous souhaitez.
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Kevin M. Folta est professeur et consultant en communication. Il anime le podcast hebdomadaire Talking Biotech. Ses opinions ne représentent pas les positions de son employeur.