Perturbateurs endocriniens : la dernière de M. Gilles-Éric Séralini
Renommons-les « perturbateurs endocriniens et nerveux »
M. Gilles-Éric Séralini, du Pôle Risques, Qualité et Environnement Durable de l'Université de Caen, et M. Gérald Jungers, de même affifiliation (cela n'a pas été le cas dans des publications récentes), viennent de publier « Endocrine disruptors also function as nervous disruptors and can be renamed endocrine and nervous disruptors (ENDs) » (les perturbateurs endocriniens fonctionnent également comme des perturbateurs nerveux et peuvent être renommés perturbateurs endocriniens et nerveux (PEN)).
En voici le résumé (découpé) :
« Points forts
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Cent soixante-dix-sept composés ont été reconnus comme perturbateurs endocriniens (PE) par l'Organisation Mondiale de la Santé.
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Vingt pour cent perturbent le système nerveux par l'intermédiaire de la thyroïde.
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Quatre-vingt pour cent perturbent le système nerveux par divers autres mécanismes et peuvent être comparés à des spams sur Internet.
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Il est proposé que ces composés soient ainsi rebaptisés perturbateurs endocriniens et nerveux (PEN).
Résumé
La perturbation endocrinienne (PE) et les perturbateurs endocriniens (PE) sont apparus comme des concepts scientifiques en 1995, après que de nombreux polluants chimiques se sont avérés être responsables de dysfonctionnements reproductifs. L'Organisation Mondiale de la Santé a établi, dans le cadre du Programme des Nations Unies pour l'Environnement, une liste de matériaux, de plastifiants, de pesticides et de divers polluants synthétisés à partir de la pétrochimie qui ont un impact sur la reproduction, mais aussi sur les fonctions hormonales, directement ou indirectement.
Les cellules communiquent par des signaux chimiques ou électriques transmis au sein des systèmes endocrinien ou nerveux. Afin de déterminer si les perturbateurs hormonaux peuvent également interférer directement ou indirectement avec le développement ou le fonctionnement du système nerveux par le biais d'un mécanisme neuro-endocrinien ou plus général, nous avons examiné la littérature scientifique afin de vérifier les effets des PE sur le système nerveux, en particulier dans les catégories de la neurotoxicité, de la cognition et du comportement.
A ce jour, nous avons démontré que l'ensemble des 177 PE identifiés au niveau international par l'OMS sont connus pour avoir un impact sur le système nerveux.
En outre, les mécanismes précis à l'origine de cette neuroperturbation ont également été établis. On pensait auparavant que les PE agissaient principalement par l'intermédiaire de la thyroïde. Cependant, cette étude présente des preuves substantielles qu'environ 80 % des PE fonctionnent via d'autres mécanismes.
Elle met ainsi en évidence un nouveau concept : Les PE sont également des perturbateurs neurologiques (PN) et peuvent être appelés collectivement perturbateurs endocriniens et nerveux (PEN).
La plupart des PEN sont dérivés de résidus pétroliers, et leurs divers mécanismes d'action sont similaires à ceux des "spams" dans les technologies de communication électronique. Par conséquent, les PEN peuvent être considérés comme un exemple de spams dans un contexte biologique. »
Le texte est relativement court. En voici un paragraphe :
« Les hormones thérapeutiques ou les produits pharmaceutiques (voir colonne 3 du tableau 1) qui peuvent exister en tant que polluants dans les rivières [Arya et al. [16] ; Saussereau et al. [17] ; Goulle et al. [18]]] comprennent souvent des PEN – comme certains phyto-estrogènes naturels qui sont plus biodégradables que les xénobiotiques stables issus de la pétrochimie – ce qui entraîne souvent une bioaccumulation dans les organismes. Des mélanges de produits chimiques tels que l'agent orange ou les dioxines ont également été cités comme des PEN. En outre, on a découvert plus récemment que des formulants de pesticides, comme la POEA (polyoxyéthylène amine), étaient des PE [Gasnier et al. [19] ; Defarge et al. [20]] et pouvaient également avoir des effets nerveux [Malhotra et al. [21] ; Sato et al. [22]. Dans certains modèles, le glyphosate seul [Martinez et al. [23] ; Coullery et al. [24]], connu comme l'ingrédient actif déclaré d'une formulation pesticide majeure utilisée dans le monde entier, s'est avéré moins toxique ou perturbateur pour le système nerveux que ses formulants équivalents [sic] présents dans le Roundup [Mesnage et al. [8] ; Aitbali et al. [25] ; Gallegos et al. [26]]. Cela s'avère également vrai pour les herbicides non basés sur le glyphosate contenant des hydrocarbures aromatiques polycycliques non déclarés et des métaux lourds qui sont identifiés individuellement comme des PE [Seralini et Jungers [27]].
Ah, les obsessions... Les dérivés du pétrole qu'on a déjà vu par ailleurs. Ah, l'irrépressible tentation de citer l'agent orange (sans référence bibliographique, mais le cas des dioxines présentes dans la mixture est sans appel). Ah, le glyphosate...
Ce texte est suivi d'un long tableau présentant les substances incriminées avec une description simplifiée du mode d'action et des références bibliographiques.
Surprise, surprise... le glyphosate n'y figure pas (le chlordécone non plus).
Le début du grand tableau
Les auteurs expliquent (c'est vraiment le texte, évidemment traduit, avec son incohérence finale) :
« Chaque composé chimique ou polluant a été numéroté (Nb) parmi les 177 perturbateurs endocriniens connus ; son nom a été associé aux mots clés "nervous" ou "neurotoxicity" ou "cognitive" ou "behavio(u)r" sur la banque de données PubMed, ou éventuellement sur Google Scholar. Lorsque le nombre de références par composé était trop important, "ou" a été exclu afin d'associer directement les mots-clés. Si plus de 20 références ont été trouvées publiées, "review" a été ajouté aux mots-clés et cité comme référence. Enfin, un maximum de cinq références a été indiqué, en se concentrant sur les recherches les plus récentes chez l'Homme ou des mammifères, sans exclure d'autres modèles. Les mécanismes de perturbation nerveuse pouvaient être directs, sur les neurones ou le système nerveux, ou indirects, par le biais de la perturbation endocrinienne interférant avec le développement neurologique ou le fonctionnement du système nerveux, y compris la régulation de la thyroïde. Les HAP, hydrocarbures aromatiques polycycliques ; PCB, polychlorobiphényles ; PBB, polybromobiphényles ; PBDE, éther diphénylique polybromé ; PFAS, substances perfluoroalkyliques.
En d'autres termes, on a lancé le chalut et collecté ce qui pouvait étayer la thèse. Y compris des recherches sur d'« autres modèles » que l'Homme ou les mammifères, et des références qui laissent songeur.
La première référence que nous avons vérifiée au hasard est de Seok, S.-J. et al. « Acute oral poisoning due to chloracetanilide herbicides » (intoxication orale aiguë due à des herbicides à base de chloracétanilides). Est-il raisonnable de fonder une allégation d'effets sur le système nerveux liés au caractère de perturbateur endocrinien – donc obtenus avec des doses très faibles – sur des empoisonnements, y compris des tentatives de suicide ?
Et le résumé de cet article se termine par ceci :
« En conclusion, bien que l'empoisonnement aux chloracétanilides soit généralement de faible toxicité, les patients âgés présentant des symptômes du système nerveux central doivent être étroitement surveillés et soignés après une exposition orale. »
Selon le texte, on pourrait aussi imputer les symptômes – « une modification de l'état mental (alerte, somnolence, stupeur, coma, convulsions) – aux solvants.
Une recherche dans l''étude de Whitney S. Goldner et al., « Hypothyroidism and pesticide use among male private pesticide applicators in the Agricultural Health Study » (hypothyroïdie et utilisation de pesticides chez les applicateurs privés masculins de pesticides dans l'Étude sur la Santé Agricole) ne produit aucun des mots clés utilisés par les auteurs.
Notons que la liste des substances ne s'arrête pas aux pesticides. On trouve par exemple la génistéine, un « célèbre » phyto-estrogène du soja, ou encore la zearalenone, une redoutable mycotoxine... et même la testostérone.
Enfin, les auteurs
« […] déclarent qu'ils n'ont pas d'intérêts financiers concurrents connus ou de relations personnelles qui auraient pu sembler influencer le travail rapporté dans cet article. »
Mais
« […] Les fonds pour l'étude bibliographique ont été fournis par les fondations Léa Nature et Biocoop. »
Des fondations vitrines d'entreprises qui, bien sûr (ironie), n'ont aucun intérêt dans le commerce de la peur...
À part GMWatch, cet article n'a, semble-t-il, suscité aucun intérêt dans les médias, malgré un communiqué de presse évoqué (mais non sourcé) par le site colporteur de peurs et marchand d'angoisses sur les OGM.
Pourtant, n'est-ce pas une formidable contribution à la science – et au commerce de la peur – que de proposer que les composés en question soient rebaptisés « perturbateurs endocriniens et nerveux » (PEN), en anglais « endocrine and nervous disruptors », ce qui donne un formidable et potentiellement très lucratif acronyme : « END ».
Nous ne sommes pas devins, mais sur le plan de la production scientifique, cet article dans Toxicology Reports sent le « END ».