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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

L'agro-écologie, l'agriculture biologique, peut, pourrait... pourrait peut-être nourrir le monde

4 Août 2021 Publié dans #Agro-écologie, #Agriculture biologique, #Article scientifique, #Activisme

L'agro-écologie, l'agriculture biologique, peut, pourrait... pourrait peut-être nourrir le monde

 

À propos de deux études récentes impliquant des chercheurs français, payés par nos impôts, cherchant à nous convaincre que des miracles agricoles et alimentaires sont possibles.

 

 

 

 

Nous pouvons – nous devons légitimement – nous indigner devant les énergies et les ressources déployées pour convaincre la populace, et surtout les décideurs politiques, d'un fait allégué dans un mélange de conviction comminatoire et de prudente incertitude : une certaine forme d'agriculture peut nourrir le monde.

 

Quand c'est flou, il y a un loup, selon l'adage bien connu.

 

Le flou règne sur la forme d'agriculture quand elle est désignée par le vocable « agro-écologie » : c'est souvent un faux-nez de l'agriculture biologique.

 

Le flou règne encore sur les prodiges attendus de cette forme d'agriculture. Le semi-auxiliaire « pouvoir » est certes de rigueur : les prodiges n'ont pas été réalisés. Mais il est sous-entendu que des forces économiques maléfiques comme « big agro », les multinationales ou encore la FNSEA complotent pour maintenir et faire prospérer leur fond de commerce et leurs profits, et faire obstacle aux miracles d'une agriculture « en harmonie avec la Nature ». Ainsi, selon le degré d'imprégnation idéologique des chercheurs et l'importance du reliquat de rationalisme qu'ils hébergent, cette agriculture « peut », ou « pourrait », ou « pourrait peut-être » nourrir le monde.

 

Cela vient bien sûr avec une série de conditions, ainsi que nous allons le voir.

 

 

Avertissement : dans un monde de libre-entreprise...

 

Soyons clairs : l'agriculture dite « biologique », régie par un cahier des charges largement hors-sol avec des obligations de moyens et non de résultats, ne répond en dernière analyse à aucune des allégations de supériorité que l'on peut trouver dans la littérature... y compris dans des textes législatifs comme le règlement (UE) 2018/848 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018 relatif à la production biologique et à l’étiquetage des produits biologiques, et abrogeant le règlement (CE) no 834/2007 du Conseil.

 

Pour autant, l'agriculture biologique a sa place dans un pays comme la France qui assure (encore) sa sécurité alimentaire par sa production intérieure et des importations en provenance de pays (plus ou moins) amis. À une demande répond une offre.

 

Ce qui est en revanche inacceptable, c'est la promotion qui en est faite par divers acteurs économiques par des moyens déloyaux comme le dénigrement du conventionnel et la création de peurs alimentaires. Il en est de même pour les milieux politiques qui, au-delà des discours trompeurs, déploient différents mécanismes tels que les incitations financières à la conversion (et au maintien d'une activité pourtant censée être plus profitable que le conventionnel selon ses thuriféraires) ou les repas bios obligatoires à la cantine.

 

Encore plus intolérables sont les objectifs de déploiement de cette forme de production dépassant le raisonnable voire l'entendement. Ainsi, le programme de l'Union européenne en vertu du « Pacte Vert », de la stratégie « de la ferme à la table » et du « plan d'action pour l'agriculture biologique » : 25 % de la surface agricole utilisée à l'horizon 2030 (nous en étions à 8,5 % en 2019 avec une forte proportion de surfaces herbagères extensives).

 

 

(Source)

 

 

Et cela devient inadmissible quand on fait la promotion de ce système en direction des pays en développement affligés par l'insécurité alimentaire ; d'un système par conception moins productif (les chiffres varient selon les auteurs mais on peut raisonnablement avancer une diminution allant du quart au tiers de ce que produit actuellement le conventionnel – pour l'ensemble du système, c'est une autre affaire, souvent pire ) ; et d'un système qui tire un trait sur nombre d'avancées technologiques passées, actuelles et futures (variétés de plantes issues de mutations induites, aléatoires ou dirigées par exemple par CRISPR/Cas-9, variétés transgéniques, engrais et produits phytosanitaires de synthèse, médicaments vétérinaires « allopathiques » qui ne sont tolérés qu'en dernier recours...).

 

 

Grille de lecture : le cotonnier bio a produit 43 % de moins aux États-Unis d'Amérique en 2014 – source : Steve Savage. Pour une « réponse » à un article plus ancien, voir ici. Pour un article selon les canons de la science, de 2016, voir ici.

 

 

Le plafond de la disponibilité en azote

 

Ceci étant posé, passons à un article qui, mis dans la bonne perspective, n'est pas inintéressant : « Global option space for organic agriculture is delimited by nitrogen availability » (l'espace mondial d'option (sic) pour l'agriculture biologique est délimité par la disponibilité de l'azote) publié dans Nature Food en mai 2021 (derrière un péage... pour une recherche sur fonds publics). Il est d'une équipe internationale (Pietro Barbieri, Sylvain Pellerin, Verena Seufert, Laurence Smith, Navin Ramankutty et Thomas Nesme – deux de Bordeaux Sciences Agro et un de l'INRAE).

 

On le sait depuis longtemps. « Pourquoi le bio à grande échelle exige du non-bio à grande échelle », de Jason Lusk, est à cet égard un utile exercice de pédagogie. Mais l'intérêt de leur étude réside, d'une part, dans la fourniture de chiffres (qui valent ce qu'ils valent...) et, d'autre part, dans la description des hypothèses que ces gens sont prêts à mettre dans leur travail.

 

En voici le résumé (découpé) :

 

« L'agriculture biologique est largement acceptée comme une stratégie permettant de réduire les impacts environnementaux de la production alimentaire et de contribuer à atteindre les objectifs mondiaux en matière de climat et de biodiversité.

 

Cependant, les études concluant que l'agriculture biologique pourrait satisfaire la demande alimentaire mondiale ont négligé le rôle clé que joue l'azote dans le maintien des rendements des cultures. À l'aide d'un modèle d'optimisation biophysique spatialement explicite qui tient compte des besoins en azote des cultures, nous montrons qu'en l'absence d'engrais azotés de synthèse, l'écart de production entre l'agriculture biologique et l'agriculture conventionnelle s'accroît à mesure que l'agriculture biologique se développe à l'échelle mondiale (l'agriculture biologique produisant 36 % moins d'aliments destinés à la consommation humaine que l'agriculture conventionnelle dans un monde entièrement biologique).

 

Pourtant, en ciblant à la fois l'offre alimentaire (via une refonte du secteur de l'élevage) et la demande (en réduisant l'apport calorique moyen par habitant), les politiques publiques pourraient favoriser une transition vers l'agriculture biologique sur 40 à 60 % de la surface agricole mondiale, même dans les limites actuelles de l'azote, et contribuer ainsi à obtenir d'importants avantages pour l'environnement et la santé.

 

La publication de l'article a évidemment fait l'objet d'un communiqué de presse de l'Institut National de Recherche pour l'Agriculture, l'Alimentation et l'Environnement (INRAE), « L’azote : un élément clé pour le développement de l’agriculture biologique ».

 

En résumé, selon un texte mise en pavé (notez le conditionnel et les locutions prépositives),

 

« En rééquilibrant la consommation alimentaire mondiale et en réduisant le gaspillage alimentaire d'au moins 50%, il serait possible d'augmenter la part de l'agriculture biologique mondiale jusqu'à 60%. »

 

Bien évidemment, si cette réduction du gaspillage était à portée de main, elle aurait été réalisée depuis longtemps. Et elle permettrait de nourrir davantage de monde en conventionnel, plutôt que de compenser des pertes de production dues au mode biologique.

 

Pour plus de détails sur cette étude, voir « Agriculture biologique au niveau mondial : Kriegsspiel sur tableur ».

 

Mais on ne trouvera pas de réponse dans l'article précité à la question de savoir si les simulations sont réalistes. Les auteurs nous disent implicitement, à juste titre, que le bio a besoin du conventionnel pour prospérer (celui-ci étant censé fournir de l'azote organique – plus précisément de l'azote de synthèse « blanchi » par le passage par un estomac animal). Et, dans le même temps, ils mettent dans leurs conditions la diminution de la consommation de produits animaux, donc de l'élevage.

 

Ce qui doit retenir notre attention, c'est le graphique suivant.

 

 

 

 

Voilà une simulation qui part d'une population de 7,3 milliards – alors que nous sommes déjà à 7,8 milliards – et qui aboutit à 8,6 milliards (avec 20 % de bio) ou 7,3 milliards (avec 60 % de bio) – alors que l'humanité comptera 9,7 milliards à l'horizon 2050 selon le scénario central de l'ONU.

 

Notons tout de même le crédit accordé à l'azote de synthèse : convertir 60 % de terres au bio au niveau mondial – 58 % plus précisément, car 2 % sont déjà en bio – réduit la capacité de nourrir de 3 milliards de Terriens. La comparaison des deux scénarios rend aussi hommage à l'apport des pesticides de synthèse : passer de 20 % à 60 % de bio prive, avant mesures correctives, un demi-milliard de personnes de nourriture. L'article n'est pas inintéressant pour qui sait lire.

 

À supposer que les hypothèses soient crédibles, mutuellement compatibles et réalisables (ce qui reste à voir), le scénario à 60 % envisage une hypothèse de réduction de la capacité de nourrir de 3,8 milliards avant les mesures d'optimisation de la filière agroalimentaire et, surtout, de restrictions alimentaires.

 

Cela a le mérite de poser les tenants et aboutissants. Mais voir que des chercheurs peuvent promouvoir un tel scénario – tout comme le service de communication de l'INRAE – fait froid dans le dos.

 

 

Encore plus fort : un scénario de 100 % bio pour l'Europe

 

On peut se demander à la lumière de son communiqué de presse si l'INRAE a encore les pieds sur terre quand il écrit, certes au conditionnel : « En agissant sur ces points, il serait possible d’augmenter la part de l’agriculture biologique mondiale jusqu’à 60% au moins tout en répondant à la demande alimentaire mondiale. » C'est du reste « au plus » et non « au moins »...

 

Mais que penser du Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) à propos de « Reshaping the European agro-food system and closing its nitrogen cycle: The potential of combining dietary change, agroecology, and circularity » (remodeler le système agroalimentaire européen et fermer son cycle de l'azote : le potentiel de la combinaison du changement de régime alimentaire, de l'agro-écologie et de la circularité) ?

 

C'est certes un Kriegsspiel sur tableur, avec des relents de planification par un Gosplan et de subordination lyssenkiste des faits à l'opinion. En voici le résumé (découpé) :

 

« Après la Seconde Guerre Mondiale, l'évolution du système agroalimentaire européen a été marquée par l'intensification de l'utilisation d'engrais de synthèse, la spécialisation territoriale et l'intégration de l'alimentation humaine et animale dans les marchés mondiaux . Cette évolution a entraîné une augmentation des pertes d'azote (N) dans les milieux aquatiques et dans l'atmosphère, ce qui, malgré le renforcement des réglementations environnementales, continue de nuire aux écosystèmes et au bien-être humain.

 

Ici, nous explorons comment ces pertes d'azote peuvent être réduites de manière drastique dans un scénario faisant intervenir de manière synergique trois leviers : (1) un changement de régime alimentaire vers moins de produits animaux et un recyclage efficace des excrétats humains ; (2) la généralisation de systèmes de rotation des cultures biologiques spécifiques à chaque région, impliquant des légumineuses fixatrices de N2, permettant de se passer d'engrais azotés de synthèse ; et (3) la reconnexion du bétail avec les systèmes de culture permettant une utilisation optimale du fumier.

 

Ce scénario démontre la possibilité de nourrir la population européenne prévue en 2050 sans importations d'aliments pour animaux et avec la moitié du niveau actuel des pertes d'azote dans l'environnement.

 

« ...démontre... » ? L'article est remarquablement nébuleux, avec aucune donnée chiffrée ! Un résumé graphique est plus parlant.

 

 

 

 

Mais l'agronome rationnel se cabre rien que devant l'annonce d'une fixation symbiotique (par des légumineuses), de plus moyenne, de plus de 80 kg d'azote/hectare/an en France ; ou encore devant la « reconnexion du bétail... » (lire par exemple : produire du blé en Bretagne ou dans la Creuse sur des sols superficiels et convertir les greniers à blé du Bassin Parisien ou du Nord de la France aux prairies)... Yaka...

 

Et le communicant du CNRS titre hardiment : « Une agriculture biologique pour nourrir l’Europe en 2050 » ! Mais sa conclusion est moins péremptoire :

 

« Selon ce scénario, il serait donc possible de renforcer l’autonomie de l’Europe, de nourrir la population attendue en 2050, d’exporter encore des céréales vers les pays qui en ont besoin pour l’alimentation humaine, et surtout de diminuer largement la pollution des eaux et les émissions de gaz à effet de serre par l’agriculture. »

 

Un graphique peu lisible et difficile d'interprétation (ne serait-ce que parce qu'il est exprimé en téragrammes – mégatonnes en français – d'azote/an) fournit une sorte de synthèse de la simulation. Relevons simplement la consommation par les monogastriques : c'est quasiment « adieu poulet » (et jambon)... et adieu une bonne partie des engrais azotés disponibles pour l'agriculture biologique.

 

 

 

 

Le CNRS n'a pas cru bon de produire ce graphique dans son communiqué de presse...

 

Interrogé par M. Andrew Porterfield, du Genetic Literacy Project pour « Point de vue : l'agro-écologie peut-elle réduire les importations alimentaires européennes et produire plus sur moins de terres tout en réduisant les émissions de gaz à effet de serre ? », M. Marcel Kuntz, directeur de recherche au CNRS, a relevé que cet article et le communiqué de presse sont un autre exemple de « signalement de vertu ». Le CNRS n'influence pas les chercheurs pour qu'ils suivent une certaine direction, mais il est sélectif quant aux recherches qu'il souhaite promouvoir... en opposant un silence pesant sur d'autres, comme une analyse de la perte de compétitivité de l'Europe face aux États-Unis d'Amérique et de la Chine en matière de nouvelles technologies d'amélioration des plantes.

 

Mais à quoi bon les NBT, et les biotechnologies en général... puisqu'un scénario issu des recherches du CNRS « démontre » qu'il est possible – oups ! il serait possible – de nourrir la population européenne en 2050 sans apport d'azote de synthèse et – comme semblent le montrer les données figurant dans les informations complémentaires – sans progrès génétique et technologique...

 

 

Extrait du fichier des informations complémentaires

 

 

Il faut aussi lire la ligne « net import cereals » (= exportations) : elle passe de quelque 400.000 tonnes d'azote à quelque 27.000 tonnes... la contribution de l'Europe à l'approvisionnement et la sécurité alimentaires mondiales et, par conséquent la paix et la stabilité.

 

Quand on lit ça, on peut avoir mal à son Europe et sa France. Heureusement que ce n'est qu'un Kriegsspiel.

 

 

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H
Pour commenter la photo ci dessus, il existe en Bourgogne (et ailleurs) une vieille mesure de superficie agraire qui s'appelle "le journal" valable pour les champs labourés, céréaliculture, par exemple. "Le journal" correspondait à la superficie labourable en une journée complète de travail d'un cheval attelé, ce dans des conditions correctes sur le plan météo. Région de Beaune, cela correspondait à plus ou moins 33 ares, soit 1/3 d'hectare. Dans la vigne, on piochait encore à la main au début du XXème siècle, avant que les vignes ne soient bien alignées comme on les connait aujourd'hui. Un bon piocheur (journalier payé aux minima de l'époque) faisait "une ouvrée" soit 4 ares 28 en une journée qui commençait à l'aube et se terminait au coucher du soleil. Quel bon vieux temps, à méditer...<br /> Avant la révolution agricole qui commence au XIXème siècle (liberté d'exploitation de la terre, engrais et autres amendements en suffisance, notamment grâce à la chimie, sélection des semences, produits phytosanitaires) nos ancêtres connaissaient entre 5 et 10 famines par siècle (parfois plus) et 20 à 30 disettes. Différence entre famines et disettes en démographie historique, c'est assez simple, une famine, on meurt 1°/ de faim, 2°/ des conséquences de la sous alimentation (épidémies, infections, intoxications alimentaires en raison de la consommation de produits douteux ou non comestibles). Une disette, on ne meurt quasiment pas de faim, on maigrit beaucoup mais les plus démunis et les plus faibles meurent tout de même des conséquences de la sous alimentation (voir 2°/ ci dessus). Les disettes sont caractéristiques des crises de "soudure" en général au printemps, quand la récolte de l'année précédente s'épuise et qu'il faut attendre encore quelques mois pour la récolte suivante en se serrant la ceinture.
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U
Ce serait très compliqué à vérifier, mais je doute fort que ces auteurs aient tenu compte de certaines réponses non linéaires.<br /> Je pense en particulier au fait que des cultures bio entourées de cultures traditionnelles bénéficient de la protection contre les ravageurs que leurs voisines contrôlent.<br /> On en a vu un exemple limpide avec les betteraves. Un champ bio entouré de parcelles où les pucerons n'étaient plus contrôlés voyait sa production s'effondrer.
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