L'agriculture de conservation est-elle une solution « intelligente » pour les agriculteurs africains ?
Busani Bafana*
Ma note : Lisez bien les propos de la coordinatrice de la Via Campesina, ainsi que la « définition » de l'agriculture intelligente face au climat de (prêtée à) la FAO.
Image : Mme Sinikiwe Sibanda, agricultrice zimbabwéenne, montre un champ de petites céréales qu'elle a cultivé en utilisant des techniques d'agriculture de conservation. Photo : Busani Bafana
Mme Sinikiwe Sibanda, agricultrice zimbabwéenne, définit une récolte réussie par le nombre de sacs de maïs qu'elle obtient d'un hectare de terre chaque saison. Un bon rendement garantit suffisamment de nourriture pour sa famille et un surplus à vendre.
Les petits exploitants agricoles africains comme Mme Sibanda sont de plus en plus à la recherche de technologies permettant d'améliorer leurs rendements. Trouver de nouveaux moyens de produire des aliments plus nombreux et plus sains est devenu une priorité pour les petits exploitants africains, qui doivent lutter contre les phénomènes météorologiques extrêmes induits par le changement climatique, tels que les sécheresses, les inondations et les températures élevées.
L'agriculture de conservation (AC) est l'un des outils de l'agriculture intelligente face au climat (CSA – Climate Smart Agriculture) que les agriculteurs adoptent pour produire des aliments même dans des conditions difficiles. De nombreux scientifiques ont fait l'éloge de l'agriculture de conservation en tant que méthode agricole pouvant aider les agriculteurs à réduire leur consommation d'eau tout en améliorant la fertilité des sols et le rendement des cultures.
Dans son propre essai d'agriculture de conservation, Mme Sibanda a creusé de petits trous dans le sol sur une parcelle de moins d'un hectare près de chez elle, dans la ville de Bulawayo, au Zimbabwe, et les a remplis de fumier avant de planter du maïs. Elle admet que cette technique est laborieuse, ce qui pourrait rebuter de nombreux petits exploitants agricoles qui n'ont pas beaucoup de temps à y consacrer. Mais elle a trouvé que cela en valait la peine car cela a amélioré son rendement.
« J'ai récolté beaucoup de maïs sur ma petite parcelle et j'ai également vendu des épis de maïs [green mealies] », explique Mme Sibanda, qui exploite une ferme de 42 hectares à Nyamandlovu, au nord-ouest de Bulawayo.
« On peut obtenir un bon rendement si on le fait sur plusieurs parcelles, mais cela demande beaucoup de travail, c'est pourquoi ma famille n'a pas pu le faire sur notre plus grande parcelle à Nyamandlovu », a-t-elle ajouté.
Le gouvernement zimbabwéen a récemment adopté un programme national, Intwasa/Pfumvudza, fondé sur les principes de l'agriculture de conservation afin d'améliorer la nutrition et l'autosuffisance alimentaire au niveau des ménages. Le programme d'agriculture de conservation travaillera avec 1,8 million de petits exploitants agricoles afin d'augmenter la production et la productivité et de les rendre plus résistants aux chocs du changement climatique.
« Pfumvudza signifie une nouvelle saison d'augmentation de la productivité, une saison où l'on produit plus sur moins de terres et avec moins de ressources, une saison où l'on protège notre agriculture du climat en adoptant l'agriculture de conservation », explique M. John Basera, secrétaire permanent du Ministère des Terres, de l'Agriculture, de la Pêche, de l'Eau et de la Réinstallation Rurale.
Le changement climatique réduit la productivité agricole en Afrique. Photo : Busani Bafana
L'agricultrice Elizabeth Mpofu ne pense pas que le concept d'AC soit une solution à la souveraineté ou à la sécurité alimentaire. En tant que coordinatrice générale du mouvement la Via Campesina, qui milite pour une agriculture durable basée sur les exploitations familiales, elle plaide pour l'agroécologie, une méthode agricole qui applique des concepts écologiques et sociaux à la gestion des systèmes alimentaires et agricoles en optimisant les relations entre les plantes, les animaux, les personnes et l'environnement.
« Il s'agit d'une pratique agricole très différente de celle de l'agroécologie », déclare Mme Mpofu à propos de l'AC, affirmant que Pfumudza promeut ce qu'elle appelle « l'agriculture industrielle », en mettant l'accent sur les engrais et les herbicides de synthèse. Elle pense également que l'AC exige plus de travail que l'agroécologie, une affirmation qui peut être débattue. Elle utilise de la cendre de bois, du compost et du fumier de bovins pour cultiver des variétés de maïs et de tournesol à pollinisation ouverte.
L'agriculture intelligente face au climat, communément appelée CSA, est un terme général élaboré par l'Organisation des Nations Unies pour l'Alimentation et l'Agriculture (FAO) pour couvrir un éventail de pratiques agricoles censées produire davantage de nourriture pour répondre à la demande d'une population croissante dans un climat en pleine mutation. Selon l'ONU, les trois piliers de la CSA sont l'augmentation de la production alimentaire, la construction de systèmes alimentaires résilients et la réduction des émissions de gaz à effet de serre de l'agriculture. Un rapport de la FAO publié en 2009 estime que le rendement des cultures devra augmenter de 70 % pour nourrir le monde en 2050.
L'agriculture de conservation, qui est l'un des outils de la CSA, a montré ses avantages pour les petits exploitants agricoles en termes d'amélioration de la santé des sols, de rétention de l'humidité et de maintien ou d'amélioration des rendements agricoles.
En Afrique australe, on estime que 1,5 million d'hectares sont passés à l'AC depuis 2016, avec jusqu'à 2 millions d'agriculteurs pratiquant plusieurs formes d'AC. Pourtant, l'Afrique compte plus de 30 millions de petits exploitants agricoles qui ont besoin d'un moyen durable et sans corvées pour produire des aliments, selon le Fonds International de Développement Agricole (FIDA). Pourquoi ont-ils apparemment été lents à adopter l'AC ?
« Nous avons essayé de répondre à cette question au cours des 15 dernières années et nous l'avons examinée sous différents angles », a déclaré M. Christian Thierfelder, agronome principal des systèmes de culture au Centre International d'Amélioration du Maïs et du Blé (CIMMYT), basé au Zimbabwe, qui a participé à plusieurs projets d'AC au Malawi, au Mozambique, en Namibie, en Zambie et au Zimbabwe.
« Nous savons que la partie agronomique n'est pas le plus grand défi car le système fonctionne dans cet environnement. Il offre de nombreux avantages, même en cas de sécheresse et dans l'environnement difficile que nous connaissons. »
M. Christian Thierfelder sur une parcelle de démonstration d'agriculture de conservation au Zimbabwe. Photo : Busani Bafana
M. Thierfelder décrit la faible adoption des pratiques d'AC comme un problème socio-économique qui n'est pas propre à l'agriculture de conservation. D'autres outils et méthodes agricoles utiles, tels que l'agroforesterie, les systèmes améliorés de légumineuses, la diversification des cultures et les engrais minéraux, présentent des avantages avérés, mais ne sont pas largement adoptés. Les raisons sont liées à la disponibilité sur le marché, à l'accessibilité et aussi aux ressources financières limitées des agriculteurs.
« Si vous regardez l'AC, elle a été largement adoptée dans les régions où la main-d'œuvre ou le travail familial était limité et où il y avait beaucoup de problèmes de dégradation des sols et de disponibilité limitée de l'humidité du sol », a déclaré M. Thierfelder. « Dans ces régions, par exemple au Brésil, en Argentine, en Australie et aux États-Unis, les facteurs économiques ont été les principaux moteurs de l'adoption. »
La plupart des agriculteurs de la région d'Afrique australe ne gèrent pas de grandes exploitations commerciales, comme cela a été le cas là où l'AC a été largement adoptée, et ils n'ont souvent pas accès aux machines et aux intrants abordables comme les herbicides ou les engrais, a expliqué M. Thierfelder. Si les agriculteurs africains manquent de machines ou de main-d'œuvre, les membres de la famille travaillent la terre manuellement. M. Thierfelder pense également que les agriculteurs sont généralement peu enclins à prendre des risques et hésitent à changer.
« Les connaissances et les capacités jouent également un rôle important », a-t-il ajouté. « Beaucoup d'agriculteurs ne connaissent pas encore l'AC et la façon dont elle est pratiquée. Ensuite, la culture et les croyances sont très importantes. Dans certaines régions, la raison pour laquelle elle n'est pas adoptée est que si vous ne travaillez pas votre terre, vous êtes considéré comme un agriculteur paresseux ou si vous essayez quelque chose de nouveau en laissant des résidus de culture, votre champ est "sale". Ce sont donc des croyances culturelles qui posent problème pour l'adoption de l'AC ».
Les scientifiques ont commencé à étudier les facteurs économiques qui peuvent contribuer à accroître l'adoption de l'AC, car les systèmes de culture qui offrent plus d'avantages financiers dès le départ seront adoptés plus volontiers par les agriculteurs.
L'AC a-t-elle un avenir en Afrique ?
« C'est une bonne question. Je changerais probablement un peu la phrase et je dirais qu'il n'y a pas d'avenir pour l'agriculture conventionnelle », a déclaré M. Thierfelder, en soulignant les défis croissants du changement climatique et le fait qu'il n'y a pas de récolte pendant trois saisons sur cinq dans certaines régions d'Afrique parce que les systèmes conventionnels ne permettent aucune production végétale.
« L'AC ferait l'affaire si elle était soutenue à grande échelle », a-t-il ajouté. « L'augmentation des coûts de production et le fait que les agriculteurs sont de moins en moins disposés à subir les corvées de l'agriculture avec un système entièrement labouré sont autant de facteurs qui conduisent à l'AC. Nous pouvons résoudre tous ces problèmes grâce à l'AC. »
_____________