Développer des poulets résistants à la grippe aviaire par édition du génome
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L'utilisation de l'édition du génome dans la recherche animale gagne rapidement du terrain en Afrique. Un certain nombre de pays du continent se positionnent désormais pour adopter les technologies génétiques alors que plusieurs projets d'édition du génome prennent forme. Ces technologies offrent un énorme potentiel pour développer des solutions locales à l'insécurité alimentaire et au changement climatique.
Le Dr Alewo Idoko-Akoh fait partie des scientifiques africains qui utilisent une technologie génétique dans leurs recherches. Le Dr Akoh, chercheur à l'Université d'Édimbourg, travaille sur un projet qui utilise des outils de modification du génome pour développer des poulets résistants à la grippe aviaire. Dans une interview exclusive accordée au DrumBeat, le jeune scientifique parle de son projet.
J'ai commencé à étudier l'édition du génome en 2015 et je me suis particulièrement concentré sur l'utilisation d'un outil d'édition du génome appelé CRISPR-Cas9, qui a été introduit pour la première fois en tant qu'outil en 2012. J'ai fait partie du premier groupe d'étudiants à essayer de développer l'utilisation de cette technologie spécifique chez le poulet. Un appel a été lancé aux étudiants pour qu'ils s'engagent dans des études de doctorat utilisant CRISPR-Cas9 sur le bétail et j'étais l'un des candidats retenus. J'ai eu l'opportunité de développer son utilisation chez la volaille et j'ai commencé à utiliser CRISPR-Cas9 pour étudier le virus de la grippe aviaire en 2016. En 2019, mes collègues et moi-même avons lancé un projet parrainé par le United Kingdom Research and Innovation (UKRI) pour utiliser la technologie d'édition de gènes afin de développer des poulets résistants à la grippe aviaire.
La grippe aviaire, également appelée influenza aviaire, est une maladie bien connue dans le monde entier, qui entraîne d'importantes pertes économiques. En cas d'épidémie, elle peut entraîner une mortalité massive des poulets. Elle est également zoonotique et peut donc être transmise des oiseaux à l'Homme, et devient souvent mortelle. Il existe, par exemple, des cas d'infection par le virus H5N1 de la grippe aviaire chez l'Homme qui ont entraîné une mortalité allant jusqu'à 50 %. Lorsque la grippe aviaire se transmet à l'Homme, elle peut également provoquer une pandémie, à l'instar du coronavirus actuel. En fait, l'une des pandémies les plus meurtrières de l'histoire, la pandémie de grippe de 1918, qui a tué plus de 20 millions de personnes dans le monde, était due à un virus de la grippe aviaire. Il est donc important d'avoir l'ingéniosité de développer et d'élever des poulets résistants à la grippe aviaire comme stratégie pour se protéger et empêcher la propagation du virus dans d'énormes populations d'animaux d'élevage qui pourraient servir de plate-formes pour l'émergence du prochain virus pandémique.
La première chose à faire est de comprendre quel gène particulier est important pour le virus de la grippe aviaire. Nous identifions ensuite une variante de ce gène, qui est toujours fonctionnelle dans la cellule et fonctionne normalement, mais que le virus ne peut pas utiliser. Habituellement, il existe dans le monde des oiseaux qui possèdent naturellement de telles variantes du gène de résistance à la maladie. Nous utilisons alors la technologie d'édition de gènes pour élever des poulets qui possèdent cette variante particulière du gène.
Notre groupe de recherche de l'Université d'Édimbourg, en collaboration avec un groupe de recherche de l'Imperial College de Londres, a déjà réalisé la première partie du processus au cours des trois dernières années. Nous avons identifié un gène dont le virus de la grippe aviaire a besoin pour se multiplier lorsqu'il infecte les cellules de poulet et nous avons identifié une variante de ce gène que le virus de la grippe aviaire est incapable d'utiliser. À l'heure actuelle, nous en sommes au stade de l'utilisation de la modification génétique pour élever des poulets possédant cette variante particulière du gène qui fonctionne encore normalement et naturellement, mais qui devrait être inutilisable par le virus de la grippe aviaire pour provoquer une infection chez les poulets.
Pour produire des poulets génétiquement modifiés, nous prélevons des types particuliers de cellules sur de jeunes embryons de poulets. Nous incubons les œufs de poule fertiles pendant trois jours et prélevons une très petite quantité de sang sur les embryons de poulets, puis nous les mettons en culture pour développer ces types de cellules spéciales. Ces cellules spéciales finissent normalement par former le sperme et les œufs chez les poulets adultes. Nous les cultivons donc et réalisons l'édition de gènes sur ces cellules spéciales en laboratoire. Nous réinjectons les cellules modifiées génétiquement dans le sang des embryons de poulets dans les œufs. Les œufs contenant les embryons injectés sont ensuite incubés jusqu'à l'éclosion pour obtenir des poussins contenant ces cellules modifiées. Ces poussins éclos deviendront des poulets adultes dans lesquels les cellules modifiées injectées finiront par former du sperme ou des œufs. Lorsque nous croiserons les poulets adultes, leur progéniture sera modifiée génétiquement.
Ce projet vise à trouver une solution mondiale pour prévenir la grippe aviaire chez les poulets, car la grippe aviaire n'est pas une maladie limitée par des frontières géographiques ; c'est un problème mondial associé à un mauvais bien-être des volailles, à des problèmes de santé humaine et également à des pertes économiques. Si nous développons des poulets résistants à la grippe, ce sont ces poulets qu'il faudrait de préférence propager partout pour stopper la propagation du virus.
Plusieurs étapes sont nécessaires : le développement du poulet, la validation expérimentale pour s'assurer qu'il est réellement résistant à la grippe aviaire, la recherche d'éventuels effets secondaires sur le bien-être, la santé et la productivité, ainsi que les questions de réglementation, car les pays ont des protocoles différents en matière de réglementation des produits génétiquement édités.
En outre, comme ce type d'édition de gènes doit être propagé à grande échelle chez les animaux, il faut trouver un financement suffisant et une stratégie d'élevage à grande échelle. Néanmoins, je dirais qu'il faudra peut-être plusieurs années avant de voir certains de ces animaux sur le marché.
La principale préoccupation est le fait que le virus de la grippe aviaire mute très rapidement. Il mute même plus vite que le coronavirus. Si nous développons des poulets qui ne sont pas complètement résistants, nous pourrions avoir un problème ; la résistance à la maladie pourrait se perdre et devenir un problème encore plus important. Avant même de penser à la commercialisation, nous devons nous assurer que le poulet génétiquement modifié est totalement ou significativement résistant. Nous connaissons certaines races de poulet en Afrique qui ont un certain niveau de résistance à la grippe aviaire, mais l'objectif est de s'assurer que ces poulets soient totalement résistants, car s'ils ne le sont pas, le virus peut muter, s'échapper et même provoquer une pandémie chez l'Homme.
Je pense que le continent peut développer la capacité de réglementer ces produits. Et je pense également qu'il serait facile d'introduire cette technologie dans de nombreux laboratoires africains. Ce que nous faisons, c'est essayer de simplifier la technologie de manière à ce que des scientifiques qualifiés dans n'importe quel laboratoire africain puissent facilement la mettre en œuvre. Cela signifie qu'elle doit être facile à comprendre, et donc à réglementer. Si elle est trop complexe et compliquée, elle devient difficile à expliquer et à faire approuver. Je pense qu'il existe une capacité potentielle de réglementation de l'édition du génome et une capacité potentielle encore plus grande d'utilisation de l'édition du génome dans la recherche. C'est vraiment une question d'intérêt, de financement et de soutien de la part des gouvernements ; des facteurs qui sont importants pour les scientifiques africains qui mènent ces projets.
Cela dépend de l'engagement des gouvernements. Une grande partie de la recherche que je connais est financée par les gouvernements occidentaux. Donc, cela dépend vraiment de l'engagement des gouvernements africains. Si vous voulez propager une technologie, elle doit, d'une manière ou d'une autre, résoudre vos problèmes. À l'heure actuelle, de nombreux défis affectent les productions animales et végétales sur le continent, et certains d'entre eux peuvent être étudiés ou résolus grâce à l'édition du génome. Il s'agit d'une nouvelle technologie et son succès dépend donc largement de l'intérêt et de l'engagement des gouvernements. Ses perspectives varieront donc d'un pays à l'autre en fonction de la contribution, du soutien et de l'engagement de leur gouvernement.
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* Alewo Idoko-Akoh est chercheur au McGrew Group, Division of Functional Genetics and Development du Roslin Institute de l'université d'Édimbourg, au Royaume-Uni.
Source : Inside Research Project Developing Genome Edited Chickens Resistant to Bird Flu | ISAAA - AFRICENTER