Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Pourquoi le bio à grande échelle exige du non-bio à grande échelle (republié)

8 Juillet 2021 Publié dans #Agriculture biologique

Pourquoi le bio à grande échelle exige du non-bio à grande échelle (republié)

 

Jason Lusk*

 

 

À quelques semaines d'intervalle, deux équipes de recherche internationales, mais qu'on pourrait labelliser « Bordeaux Sciences Agro et INRAE » pour l'une et CNRS pour l'autre, ont publié des articles selon lesquels l'agro-écologie – ou l'agriculture biologique – peut – plutôt « pourrait » contribuer significativement ou totalement à l'alimentation mondiale ou européenne.

 

Longue phrase, bien floue... Les articles sont commentés plus en détails dans d'autres billets sur ce site.

 

C'est l'occasion de republier un billet de M. Jason Lusk publié sur ce site en janvier 2018.

 

 

Et qu'a mangé le cheval ?

 

Les podcasts de NPR Planet Money viennent de publier un épisode intéressant sur les défis qu'un agriculteur a rencontrés avec les aigles à tête blanche quand il s'est converti au bio et a commencé à élever des poulets en plein air. C'est une belle histoire, mais je veux prendre une minute pour corriger un message subtil (mais important) sur la production biologique promue dans le podcast. Ce message est très largement mal compris ; il se rapporte au cycle de l'azote. Voici de Planet Money :

 

« Il s'est converti au bio. Il a commencé à faire des changements. Pour remplacer l'engrais chimique, il a introduit des poulets et les a laissés courir librement. Les poulets élevés en plein air fertiliseraient l'herbe ; l'herbe nourrirait le bétail, et les acheteurs à Whole Foods aimeraient le boeuf bio de Harris. »

 

Voici le problème – l'« engrais chimique » n'a pas été remplacé (du moins pas complètement).

 

Toutes les fermes, si elles veulent être productives, ont besoin d'engrais, en particulier d'azote. Il y a beaucoup d'azote dans l'air, mais il n'est pas sous une forme qui est disponible pour la plupart des plantes ou les animaux. Jusqu'à il y a une centaine d'années, nous devions obtenir la majeure partie de notre azote à partir de microbes qui vivent en association avec des légumineuses, « fixent » l'azote de l'air et le rendent disponible aux plantes. Les animaux mangent les plantes, utilisent une partie de l'azote et excrètent l'autre partie dans leurs déjections. C'est pourquoi le fumier est un excellent engrais – il contient l'azote résiduel. Mais voici le point principal : l'azote ne provient pas de la vache, du cochon ou du poulet. Il provient des microbes du sol et il est parvenu dans l'animal via la plante.

 

Puis vinrent Haber et Bosch. Ils ont trouvé un moyen d'obtenir de l'azote à partir de l'air. Cela a considérablement augmenté la quantité d'azote disponible, augmenté le rendement des cultures, le nombre d'animaux que nous pouvions nourrir et, finalement, la population humaine. Voici ce qu'écrit Thomas Hager dans le fantastique ouvrage The Alchemy of Air sur les effets de cet azote supplémentaire :

 

« En tant qu'espèce, nous avons depuis longtemps dépassé la capacité naturelle de la planète à nous soutenir avec de la nourriture. Même en utilisant les meilleures pratiques d'agriculture biologique disponibles, même en réduisant nos régimes alimentaires aux niveaux végétariens les plus bas, il n'y aurait qu'environ quatre milliards d'entre nous qui pourraient vivre sur ce que la terre et l'agriculture traditionnelle peuvent fournir. Pourtant, nous sommes maintenant plus de six milliards, en expansion, et partout dans le monde, nous mangeons plus de calories en moyenne que les gens [à la fin des années 1800]. »

 

Alors, quel est le lien avec le podcast de NPR ? Le fermier (et les journalistes) semblent croire qu'ils ont échappé à l'utilisation de l'engrais « synthétique » produit grâce au procédé Haber-Bosch parce que la fertilisation du fermier repose maintenant sur le fumier des poulets. Mais, d'où vient l'azote dans le fumier de poulet ? La réponse est qu'il est arrivé par le biais de l'alimentation que la ferme a achetée et apportée d'une autre ferme.

 

 

 

 

Peut-être que le fermier a acheté du maïs bio pour nourrir ses poulets. Cela résout le problème, non ? Pas exactement. Car, voyez-vous, le producteur de maïs bio qui a vendu du maïs bio à notre éleveur bio de poulets a sans aucun doute utilisé de l'engrais. Il y a de très bonnes chances que cet engrais soit une forme de fumier. Pourtant (et c'est un point très important), les règles de l'agriculture biologique ne font pas de discrimination entre les fumiers provenant d'animaux nourris en bio ou en non-bio**. Parce qu'il y a beaucoup, beaucoup plus d'animaux en non-bio, la probabilité est forte que le fumier provienne d'animaux nourris avec des céréales non bio. D'où vient l'azote contenu dans ces céréales non bio et dans le fumier ? Haber-Bosch !

 

Ainsi, même en supposant qu'une alimentation bio ait été utilisée pour les poulets, il y a une très forte probabilité que l'azote contenu dans le fumier de poulet utilisé dans notre ferme biologique soit apparu dans du maïs fertilisé avec du fumier provenant de vaches, de porcs ou de poulets qui ont été nourris avec du maïs qui a été fertilisé avec de l'azote mis à disposition par Haber-Bosch.

 

Ainsi, malgré ce que les journalistes sous-entendent (et, peut-être même, ce que l'agriculteur croit), nous ne sommes pas revenus à un cycle « naturel » de l'azote. Nous avons simplement trouvé un moyen d'importer de l'azote « synthétique » dans un système qui lui donne l'apparence du « naturel ». Cet article de recherche sur des fermes françaises, par exemple, a calculé que les exploitations biologiques dépendent fortement des exploitations non biologiques pour leurs flux d'éléments fertilisants et a trouvé qu'en moyenne, 73% du phosphore, 53% du potassium et 23% de l'azote utilisés par les exploitations biologiques incluses dans l'étude étaient importées d'exploitations conventionnelles, non biologiques, et issus des procédés comme celui que j'ai décrit plus haut. Comme l'a dit un auteur :

 

« Quelle que soit la quantité d'azote présente dans du fumier aujourd'hui, une grande partie a été fixée industriellement avant d'être absorbée par des plantes de maïs et blanchie par les entrailles d'animaux d'élevages conventionnels. »

 

Maintenant, on pourrait éviter tout cela en exigeant que les producteurs bio n'utilisent que des fumiers provenant d'animaux bio nourris avec des aliments bio. Cependant, je doute sérieusement qu'il y ait assez d'azote disponible dans ce système « naturel » pour soutenir la taille actuelle du marché du bio. À mesure que le marché bio se développe, cette probabilité devient encore plus faible. En effet, si l'on veut une agriculture biologique à grande échelle, cela implique presque certainement (étant donné la population actuelle) le besoin d'une agriculture conventionnelle, non biologique, à grande échelle. Tout cet azote vital doit venir de quelque part. Jusqu'à ce que nous trouvions un meilleur moyen, il vient de Haber et Bosch et est introduit en contrebande dans l'agriculture biologique par l'intermédiaire du fumier animal.

 

________________

 

* Jason Lusk est un économiste de l'agriculture et de l'alimentation. Il est actuellement professeur distingué et chef du Département de l'Économie Agricole de l'Université de Purdue.

 

Source : http://jaysonlusk.com/blog/2017/2/6/why-large-scale-organic-requires-large-scale-non-organic

 

** Selon les règles françaises de l'agriculture biologique la « provenance élevage industriel » est interdite.

 

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article