La grande leçon des votations suisses : communiquer, réseauter !
André Heitz, ingénieur agronome (en retraite)*
Le 13 juin 2021 était jour de votations pour les Suisses. Avec une participation forte (60 %), ils ont notamment rejeté deux initiatives populaires « écologiques » par 60 % de « non » et 20 cantons et cinq demi-cantons contre un demi-canton (Bâle-Ville, le plus grand bénéficiaire suisse de la manne de l'agrochimie...). Dans un référendum, il ont aussi retoqué une loi sur le CO2 par 51,6 % des voix.
L'initiative « Pour une eau potable propre et une alimentation saine – Pas de subventions pour l’utilisation de pesticides et l’utilisation d’antibiotiques à titre prophylactique » voulait contraindre, sans interdire, dans un délai de huit ans en coupant les subventions à certains agriculteurs, y compris aux éleveurs qui ne sont pas en mesure de nourrir leur bétail avec le fourrage produit dans leur exploitation, ce qui aurait condamné une grande partie de l'agriculture de montagne.
L'initiative « Pour une Suisse libre de pesticides de synthèse » proposait une interdiction totale, après une période transitoire de 10 ans, de l'utilisation des pesticides de synthèse ainsi que l’importation de denrées alimentaires qui en contiennent.
Le Conseil fédéral (le gouvernement) et le Parlement ont préconisé le « non » en faisant valoir que les initiatives allaient trop loin, que des mesures sont déjà prises pour assurer la sécurité des êtres humains, des animaux et de l'environnement et qu'il y aurait de graves conséquences sur l'approvisionnement alimentaire.
La campagne a été émaillée d'incidents très inhabituels dans le cadre helvétique. L'intitulé des textes suffit à démontrer l'intention des initiants d'utiliser les grosses ficelles démagogiques. Les sondages ont longtemps indiqué une forte adhésion populaire, majoritaire jusque vers les derniers jours, alors que les perspectives d'obtenir une majorité des cantons étaient faibles, sinon nulles.
Les 60 % de « non » constituent une belle surprise. Au-delà de la radicalité des propositions, c'est en partie le résultat d'une campagne de communication active des milieux agricoles – mais certains membres et entités du bio ont appelé à voter « oui » à l'initiative anti-pesticides... de synthèse.
Les grands distributeurs Migros et Coop – 78% du chiffre d'affaires bio en Suisse – ont aussi fait campagne pour le « non », faisant par exemple valoir les menaces sur la production locale ou encore la crainte d'une hausse des intoxications. Dans une prise de position, Migros s'est même prononcée en faveur des nouvelles techniques génétiques, à l'instar, du reste, du Parti Vert Libéral.
Enfin, les médias ont généralement fait œuvre de pédagogie. Notons à cet égard le remarquable « Dans les bottes d'un paysan » de M. Boris Busslinger, du Temps.
La leçon est simple : communiquer, expliquer, en ciblant. Et aussi réseauter, créer des synergies.
Cela devient d'autant plus urgent que, comme l'ont montré les votations, le fossé villes-campagne – qui recouvre en partie le fossé gauche-droite en Suisse – se creuse et que certains milieux sont prêts à actionner tous les leviers démagogiques faisant appel à l'émotion pour un travail de sape.
Les paysans suisses peuvent déjà se préparer pour la suite. Le Conseil fédéral a proposé, à titre de contre-projet aux initiatives, un plan pour réduire de 50 % les risques liés à l'usage des produits phytosanitaires, des biocides et des engrais. Une initiative populaire veut interdire l'élevage intensif, le Conseil fédéral proposant en réponse d'inscrire le bien-être animal dans la Constitution. Et le moratoire sur les OGM, qui arrive à échéance en décembre, revient sur le tapis.
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* Ce texte a paru dans la France Agricole du 9 juillet 2021.