Point de vue : La poussée en faveur de l'agriculture biologique du Sri Lanka menace de faire reculer les progrès agricoles
Tim Durham, AGDAILY*
Une plantation de thé au Sri Lanka (image : Anton Gvozdikov)
Bien que la promotion du bio soit bien intentionnée, le Sri Lanka nuit à son économie, à sa santé et à sa sécurité alimentaire en n'envisageant pas une transition équilibrée et progressive.
Dans le film Idiocracy, un citoyen moyen devient le sauveur désigné de la société (par défaut, après s'être réveillé d'un long sommeil). Il semble que la société se soit transformée en une idiocratie comique (et tragique), où les slogans creux, le corporatisme incontrôlé, l'anti-intellectualisme et le manque d'esprit critique l'emportent sur le bon sens. Tout s'adresse à des personnes abruties, voire à des instincts primaires – et il a le QI le plus élevé du lot !
Appelé à prendre la tête d'une renaissance américaine, la première tâche de Joe, qui lui est confiée par le président Camacho (interprété de manière experte par le bouillant et attachant Terry Crews), est de déterminer ce qui se cache derrière les mauvaises récoltes chroniques, les nuages de poussière et les pénuries alimentaires.
Il s'avère que les cultures sont irriguées avec une boisson énergisante appelée Brawndo – alias le « mutilateur de soif » – parce qu'elle contient des électrolytes, précisément ce dont les plantes (et la société dans son ensemble) ont besoin. Du moins, c'est ce qu'on a été programmé à croire. Le logo en forme de boulon vert est reconnaissable entre tous, et c'est un cri de sophistication électrolytique pour ces abrutis.
Une scène du film Idiocracy.
Joe suggère qu'ils passent à l'eau d'irrigation ordinaire. « Comme celle des toilettes ? », répondent-ils avec scepticisme. Il s'engage alors dans un dialogue circulaire et totalement stérile avec le cabinet du président sur les mérites de son plan. Chaque argument logique est contré par des éléments de langage préprogrammés – tous des répliques intelligentes à leurs yeux (mais drôlement creuses) – parce que c'est le mieux qu'ils puissent faire.
Lassé des moqueries, Joe cède au plus petit dénominateur commun et les convainc qu'il peut parler aux plantes – et qu'elles ont envie d'eau. Dans son état de crédulité, le Cabinet cède. Retournement de situation miraculeux, le monde est sauvé.
Sur le plan de l'intrigue, il semble que l'ajout constant des fameux « électrolytes » équivalait à saler leurs propres champs, ce qui a donné lieu à des paysages dystopiques et stériles. Le Brawndo, qui n'a qu'un tour dans son sac, n'a pas non plus les nutriments essentiels nécessaires à la croissance et à la maturation des plantes. Et la gestion des parasites et des maladies n'a jamais été prise en compte.
Ce film culte, qui est un véritable classique, contient des sous-entendus mordants sur la direction que nous prenons. La meilleure description que j'ai entendue du film est : «uUn film qui commence comme une parodie et qui devient un documentaire. »
La vie imite-t-elle l'art idiocratique ? Pourquoi quelqu'un voudrait-il réaliser un fiasco Brawndo dans la vie réelle ?
Au Sri Lanka, mondialement connu pour sa production de thé, une initiative visant à passer au tout biologique – la définition classique d'un poney qui ne connaît qu'un tour (et gratuitement handicapé) – menace de faire reculer les progrès agricoles.
Bien que bien intentionné, le président a appelé à un Modèle Socio-économique Vert basé sur des clichés biologiques (lire : slogans) et des arguments filiformes contre l'agriculture conventionnelle. En gros, il s'agit de restreindre du jour au lendemain l'importation d'engrais et de pesticides chimiques (c'est-à-dire inorganiques ou de synthèse). Une utopie réalisée ?
Cueillette de feuilles de thé dans une plantation au Sri Lanka. (Image : Melinda Nagy)
Certaines personnes ont salué cette décision, estimant qu'il s'agissait d'une étape essentielle pour la conservation de l'environnement et de a santé humaine. Selon elles, il s'agit d'une attaque préventive contre un danger clair et présent.
Pourtant, ce serait un retournement de situation aux proportions ruineuses. Malgré ce soutien enthousiaste (pour être juste, ils ont recommandé une autre approche pour atteindre le même objectif), les économistes ont prédit des pertes économiques massives – découlant des pénalités de rendement (-25 % pour le riz et -35 % pour le thé) en lieu et place des engrais inorganiques. La réduction de la sécurité alimentaire, de la sécurité des aliments et des revenus agricoles (exacerbant la pauvreté rurale) en seraient la conséquence inévitable.
J'ai suivi les discussions dans la presse et sur les réseaux sociaux des scientifiques sri-lankais – des agronomes ayant une connaissance encyclopédique de leur domaine, sur le terrain – et leur évaluation n'est pas rose. La plupart des discussions semblent tourner autour de la question des engrais.
Trente experts nationaux ont écrit au président pour lui faire part de leur inquiétude face à ce changement de politique aux effets dévastateurs. S'ils reconnaissent les objectifs du programme du président, ils proposent une approche progressive et consultative – avec de vrais experts – plutôt qu'une approche brutale et émotive.
En effet, l'utilité des engrais organiques est limitée. Leur poids et le peu d'éléments nutritifs qu'ils fournissent (les engrais de synthèse sont, pour chaque kilo, beaucoup plus riches en éléments nutritifs) compliquent la manipulation et le transport, et nécessitent plus de travail pour les appliquer. Malgré cela, certains vendeurs peu scrupuleux de l'Inde voisine ont fait des déclarations commerciales scandaleuses. Par exemple, que leur engrais organique contient 62 % d'azote (une impossibilité physique) ! Il ne fait aucun doute que de telles escroqueries débarqueraient au Sri Lanka.
Pourtant, certains dirigeants (les mêmes qui applaudissent le mandat biologique) estiment que l'association d'engrais biologiques (légitimes) aux doses recommandées d'engrais chimiques augmenterait de 16 % la rentabilité globale des exploitations.
La réalité est qu'il y a de la place pour les deux dans un système écologiquement conscient. Contrairement au Brawndo, les engrais biologiques ont quelques qualités à faire valoir. Ils fonctionnent souvent davantage comme un amendement du sol. Ils apportent des éléments intangibles que les engrais inorganiques ne peuvent pas apporter, et vice versa.
Les adeptes de l'agriculture biologique se répandent sur la façon dont les engrais de synthèse « tuent » le sol grâce à des produits chimiques soi-disant agressifs. Je n'ai rien vu de tel à la ferme familiale, où nous appliquons avec soin des engrais organiques et inorganiques depuis plus de 70 ans. Tout ce que nous voyons, c'est un écosystème vert et verdoyant grouillant de vie.
Il n'y a aucune raison de croire le contraire au Sri Lanka. Comme de nombreux pays en développement, il est à la croisée des chemins. Mais la trajectoire raisonnable n'est pas si éloignée. Une trajectoire qui permet d'atteindre les objectifs sans bouleverser le système. Plutôt que de jouer les chimophobes, il faut renforcer les règles et les institutions qui régissent une infrastructure agricole en pleine évolution. La technologie et l'éducation permettront d'obtenir les résultats écologiques souhaités de manière « organique » (jeu de mots assumé).
Image : javarman, Shutterstock
Mais pourquoi le gouvernement du Sri Lanka insiste-t-il maintenant sur ce mandat biologique ? Des conséquences involontaires. Les généreuses subventions gouvernementales ont encouragé l'importation d'engrais chimiques de qualité inférieure, pleins d'impuretés. Il semble pourtant plus prudent de réglementer l'importation et l'utilisation des engrais au fil du temps. Appliquer des mesures d'assurance qualité rigoureuses, encourager l'utilisation de formulations à libération lente (pour une alimentation des plantes plus dosée, comme une intraveineuse), et encourager la généralisation de l'agriculture de précision à long terme lorsque cela est possible.
Si, jusqu'à présent, les objections les plus vives sont venues de scientifiques préoccupés par la limitation des options en matière d'engrais, il y a aussi la question des ravageurs. L'Organisation des Nations Unies pour l'Alimentation et l'Agriculture estime que jusqu'à 40 % des cultures agricoles mondiales sont la proie de bestioles voraces chaque année. En plus de priver les plus vulnérables de leur sécurité alimentaire, cela les prive de leur principale source de revenus. Tout cela au nom de l'écologie (Brawndo).
Il est vrai que la vente de pesticides au Sri Lanka est très libre. Trop même. Il serait prudent d'adopter une approche de vente plus proche de celle des pharmacies, à l'instar d'autres pays où l'on trouve des produits à usage général (par exemple, en vente libre) et des produits à usage restreint (par exemple, uniquement sur « ordonnance », avec formation de l'applicateur).
En outre, le service de vulgarisation du Sri Lanka devrait être renforcé pour fournir aux agriculteurs des conseils impartiaux et fondés sur des preuves. À l'heure actuelle, de nombreux agriculteurs se fient aux conseils douteux de conseillers liés à des entreprises agrochimiques, qui ont tendance à « surprescrire » une concoction d'intrants dans leur propre intérêt.
Oubliez les opiacés, les mandats biologiques sont une dose de bien-pensance, de Brawndo, dans la vie réelle pour les masses. Pourquoi glorifier l'inefficacité ? Il est facile de s'enthousiasmer pour une idée, mais pas pour la réalité de sa mise en œuvre. Méfiez-vous des initiatives « fly by night » truffées de slogans. Sur le marché des idées, les mandats 100 % biologiques tombent clairement à plat.
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* La famille de Tim Durham exploite Deer Run Farm et produit des légumes à Long Island, New York. En tant qu'agvocat, il réfute les discours enflammés avec des faits. Tim a obtenu un diplôme en médecine végétale et est professeur adjoint au Ferrum College en Virginie.
Source : Opinion: Sri Lanka's organic push threatens to backpedal ag | AGDAILY