Un programme « écolo-cauchemardesque » pour l'agriculture de Dominique Bourg et Cie
Le Monde a publié les 4 (date sur la toile) et 6 (édition papier) mai 2021 une tribune de Mme Dominique Méda, sociologue, et M. Lucas Chancel, économiste – marraine et parrain d'une initiative à l'intitulé hasardeux, « 2022 ou jamais. Pour une primaire populaire ».
La tribune elle-même relève de la méthode Coué, comme en témoigne son titre : « Il existe bien un socle commun susceptible de rassembler l’ensemble de la gauche écologique et sociale ».
Les auteurs ont détaillé « une série de propositions identifiées par les membres de l’initiative […] et soutenues par les principaux partis de gauche et écologistes ». Ils se sont bien gardés d'évoquer les divergences et les ego inconciliables. Mais c'est de bonne guerre.
Il y a une phrase sur l'agriculture :
« Une loi de transition agricole et paysanne permettra d'accompagner et de financer les agriculteurs vers des exploitations bio, d'organiser le plafonnement des marges de la grande distribution et de garantir la vente libre des semences paysannes. »
Le 22 mai 2021, l'Obs a publié : « Au Week-End des Possibles, Dominique Bourg prône "des quotas de consommation" ».
Un morceau de choix :
« Dans l’agriculture par exemple, on a détruit microbiote des sols, on a voulu s’émanciper du cycle naturel de l’azote, des procédés naturels de reproduction, du travail humain… Il faut désormais raisonner de manière systémique pour rendre compatibles la protection du climat et celle du vivant. »
Cela nous renvoie à un petit opuscule au titre hilarant, « Retour sur Terre – 35 propositions », et à la couverture frappée par le deuil (d'une planète prétendument condamnée ou des propositions?), d'un consortium composé de MM. Dominique Bourg, Gauthier Chapelle, Johann Chapoutot, Philippe Desbrosses, Xavier Ricard Lanata, Pablo Servigne et Mme Sophie Swaton.
La principale proposition relative à l'agriculture est comme suit :
« Mesure 12 — Agriculture vers une "agroécologie décarbonée" (sans énergies fossiles). Il est urgent de mettre en place un modèle agricole à très haute productivité par unité de surface et à faible productivité par unité de travail. Une telle agriculture exigera de mobiliser à terme de 15 à 30 % de la population économiquement active (PEA), d'abandonner presque entièrement la motorisation à énergie fossile et d'avoir massivement recours à l'énergie musculaire (animale ou humaine). Cela implique également d'imposer un phasage de l'utilisation des pesticides de synthèse (néfastes pour toute la biodiversité) et les engrais de synthèse, autre poste important de l'utilisation/dépendance des combustibles fossiles en agriculture. Imposer la sortie de cet ancien modèle est aussi une façon de se projeter dans le nouveau, qui permettra de faire de l'agriculture le premier secteur économique fixateur de carbone, comme le demandent les scénarios du GIEC que tous les pays ont admis avec la COP21 dont la France est si fière. Ce modèle inclut également un retour à l'intégration des arbres dans nos pratiques agricoles, entre forêt-jardin, systèmes agro-forestiers et sylvo-pastoraux (soit le démembrement du remembrement). Par ailleurs, pour éviter la stratification sociale entre individus se consacrant à des activités dont les taux de productivité horaire sont très différents, nous proposons que cette mobilisation concerne toute la population économiquement active, sous la forme d'une activité agricole à temps partiel, spécialement dans les périodes où les besoins de main d'oeuvre sont très élevés (récoltes, préparation des sols, désherbage, etc.). Le régime d'activité du futur serait donc celui de la "poly-activité intermittente", qui verrait chaque individu se consacrer, alternativement et par phases, à l'entretien du vivant (dont l'agriculture est une forme essentielle) et à d'autres activités productives ou de services. Cette alternance aurait également des vertus démocratiques (puisqu'elle place tous les paysans, permanents ou intermittents, sur un pied d'égalité et de coopération) et culturelles, car elle permettrait de rétablir le lien entre tous les habitants du territoire national et "l'autre société" des espèces vivantes qui habitent ce même territoire. »
La mesure 13 concerne les semences : « […] vers une libération des semences et diversification génétique ». C'est un monument d'ignorance et de bêtise auxquel nous consacrerons peut-être un billet particulier.
Selon la mesure 14, il est proposé par les auteurs de procéder à un « réempaysannement des terres ».
C'est un objectif qui oublie la mesure principale – le déplacement d'une grande partie des citadins vers les campagnes – pour divaguer dans les questions de « land-grabbing » (accaparement des terres) dans les pays en développement et... « mettre fin à cette dérive en France », notamment en dotant les Sociétés d'Aménagement Foncier et d'Établissement Rural (SAFER) de missions redéfinies et de prérogatives légales renforcées.
Relevons ce morceau de bravoure :
« Les paysans sont ainsi par millions victimes des évolutions actuelles de structures agraires qui violent les droits des populations et pillent littéralement les territoires, en créant partout la précarité et les pénuries alimentaires. Et pourtant, les agricultures paysannes sont dix à cent fois plus productives par unité de mesure que l'agriculture industrielle et elles nourrissent encore aujourd'hui 75 % de la population mondiale avec seulement 25 % des terres agricoles et très peu de protéines animales. »
Dix à cent fois ? Vraiment ? Et quelle est l'unité de mesure ?
Au total, on a envie de résumer : Pol Pot l'a fait au Cambodge en 1975, un hepteron d'auteurs rêve de le faire en France.
(Source)
Ce billet serait incomplet sans une citation du programme d'éducation – ou faut-il écrire : « de rééducation » ?
« Mesure 25 — Réforme de l'éducation et de la recherche, donnant la part belle, pour ce qui concerne la première, à la coopération et la créativité, et pour la seconde, aux sciences citoyennes et participatives, sans entraver la recherche fondamentale, plus que jamais essentielle. Chaque individu serait associé à la veille de l'écosystème qui l'héberge et dont il observerait les évolutions : il s'agirait de confier à chaque personne volontaire le soin d'opérer régulièrement et suivant des méthodes éprouvées des "relevés du vivant", pour mieux estimer la réponse des écosystèmes aux changements d'activité.
Cela signifie qu'aucun dispositif purement mécanique ne permettra d'avoir une idée de la "productivité globale" ou de "l'output thermodynamique global" d'un écosystème : c'est une limite de toutes les démarches d'évaluation d'impact écologique de l'activité économique (des flux d'énergie/matière). Il faudra associer les humains à cette veille thermodynamique quotidienne. Cette démarche aurait des vertus culturelles puisqu'elle conduirait chaque volontaire (et potentiellement tous les citoyens) à observer (regarder, écouter, sentir) les évolutions de la société des vivants qui l'entoure. »
Faut-il citer ici des références historiques ou littéraires ?