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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Recension : « GM Crops and the Global Divide » (les cultures génétiquement modifiées et la fracture mondiale)

17 Mai 2021 , Rédigé par Seppi Publié dans #OGM, #Activisme

Recension : « GM Crops and the Global Divide » (les cultures génétiquement modifiées et la fracture mondiale)

 

Joseph Opoku Gakpo*

 

 

 

 

J'ai passé les dernières semaines à lire « GM Crops and the Global Divide », le nouveau livre de Mme Jennifer Thomson, professeur émérite de l'Université du Cap. Bien que le titre original ait été « GM Crops : The West versus the Rest » (OGM : l'Ouest contre le reste), Mme Jennifer Thomson a été amenée à le modifier après avoir écrit et réfléchi à la question. Elle a acquis la conviction que, tout comme le monde ne peut pas être divisé en deux parties, on ne peut pas attribuer le problème à l'Occident et à un certain « reste ». Néanmoins, elle indique clairement que les activistes occidentaux influencent indûment la question en Afrique et ailleurs.

 

Il a été particulièrement instructif de lire la documentation historique et l'analyse de Mme Thomson sur la controverse relative à la technologie de la modification génétique. Jamais auparavant une nouvelle technologie agricole n'avait fait l'objet d'un débat aussi émotionnel entre les parties prenantes, fait-elle observer. Je suis d'accord. Le livre s'ouvre sur un historique de la manière dont la technologie de la modification génétique a été appliquée pour la première fois en médecine dans les années 1970, avant de l'être ensuite en agriculture. Il explique ensuite pourquoi la technologie GM n'est pas aussi populaire en Europe qu'en Amérique. Mme Thomson explique en détail comment les cultures GM sont produites en Afrique par des Africains, évoque certains des avantages économiques et environnementaux et s'attaque aux mythes. Mme Thomson attire ensuite l'attention sur le fait que la position de nombreux Africains sur les cultures GM est largement influencée par ce que dit l'Occident.

 

L'essentiel, en ce qui concerne le sujet de ce livre, est que si de nombreuses organisations des « pays développés » expriment un sentiment anti-OGM, de nombreux pays du « monde en développement » en prendront note. L'une des façons de résumer les effets de l'Ouest sur le Reste est peut-être de dire que les « nantis », les riches, qui n'ont pas besoin de cultures génétiquement modifiées parce qu'ils ont déjà assez de nourriture, empêchent les « démunis », qui en ont besoin, d'accéder à la technologie et d'améliorer leur sécurité alimentaire. Le fait que l'Occident empêche ces agriculteurs de tester si les semences améliorées seront bénéfiques pour leur vie et pour les consommateurs est moralement préoccupant, écrit-elle.

 

Je suis tout à fait d'accord sur cette analyse. Mais la question la plus fondamentale pour moi est la suivante : pourquoi tant de groupes anti-OGM en Occident crachent-ils autant de sentiments anti-OGM en Afrique ? Mme Thomson explique que beaucoup d'entre eux agissent ainsi parce qu'ils considèrent les OGM comme une menace pour la santé humaine et la biodiversité en Afrique. Mais je pense qu'il y a plus que cela. Le militantisme anti-OGM est devenu une industrie à part entière dont les gens et les organisations en Occident et en Afrique tirent des millions de dollars. Les milieux de l'agriculture biologique, les projets de marquage non-OGM et l'activisme pour la souveraineté alimentaire sont devenus des entreprises commerciales lucratives qui recrutent aujourd'hui des professionnels hautement rémunérés. Ainsi, peu importe que les preuves scientifiques prouvent au-delà du doute que les OGM feront une différence en Afrique. Les sentiments anti-OGM de l'Occident continueront toujours à inonder nos rivages.

 

La vérité et les faits sont sacrés

 

Une autre remarque intéressante de Mme Thomson sur la faible utilisation des cultures GM en Afrique a retenu mon attention. Elle s'interroge sur les raisons pour lesquelles la controverse autour des OGM se poursuit en dépit de leur innocuité pour les humains et les animaux depuis plus de 25 ans maintenant. Elle répond à cette question par une raison avancée par M. Marcel Kuntz, du Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) en France. Selon M. Marcel Kuntz, « la science en général et les cultures génétiquement modifiées en particulier font l'objet d'une attaque postmoderne. La philosophie postmoderne prétend qu'il n'existe pas de vérité universelle et que "chaque groupe social ou politique devrait avoir le droit à la réalité qui lui convient le mieux." » M. Kuntz poursuit : « Le danger d'une approche postmoderne de la science – qui cherche à inclure tous les points de vue comme étant d'égale valeur – est de ralentir ou d'empêcher des recherches scientifiques indispensables, voire de nier que la science devrait avoir un rôle dans les décisions. »

 

Tirant des déductions de la façon dont cela se joue également dans le monde de la politique, M. Fareed Zakaria de CNN évoque un « âge de la post-vérité ». Dans un discours prononcé lors du sommet WISE 2017 au Qatar, il a déploré que les gens (qui n'aiment pas la vérité) utilisent des réalités alternatives et des ensembles de faits alternatifs pour construire leurs propres préjugés sur ce qu'ils veulent croire. Il affirme cependant qu'il existe toujours une chose appelée vérité qui peut être atteinte par un travail acharné, des preuves et des analyses. Et cette vérité n'est pas simplement la construction de réalités alternatives – toutes aussi valables les unes que les autres, chacune ayant simplement son propre espace dans le cadre politique et culturel de chacun. Non, deux plus deux égale quatre. Ce n'est pas une opinion, c'est un fait, affirme M. Zakaria. Il prévient que si la vérité est continuellement remise en cause, nous entrerons dans un monde à la « Alice au pays des merveilles » où tout est possible, où le noir est blanc, où le haut est bas, où la vérité est fausse, et où, par conséquent, aucune série d'événements ou de faits ne pourra jamais prouver que quelqu'un a tort ou s'est trompé. Il dit que c'est une voie vers le déclin de la civilisation. Je n'ai rien de plus utile à ajouter à cela.

 

 

Les sciences naturelles et sociales méritent une attention égale

 

Mme Thomson soutient dans son livre que le débat sur les OGM ne devrait pas porter uniquement sur les sciences naturelles, comme la sélection végétale et la modification génétique, mais aussi sur les sciences sociales, comme l'économie et la sociologie. Comme le dit l'activiste climatique Mark Lynas, le débat sur la sécurité des OGM est clos. Il y a autant de consensus scientifique sur le fait que les OGM ne sont pas préjudiciables à la santé qu'il y en a sur l'existence du changement climatique d'origine anthropique. C'est donc non négociable. Mais il reste des questions sur les implications socio-économiques et culturelles de l'utilisation des OGM qui n'ont pas été explorées à fond. Mme Thomson fait une remarque intéressante à ce sujet. Citant Buhler et Kirshenbaum (2019), Mme Thomson observe qu'il faut que les experts en alimentation et les professionnels de la santé collaborent avec des spécialistes des sciences sociales pour comprendre comment les différentes communautés prennent des décisions en matière d'alimentation. Elle n'aurait pas pu mieux dire. Le rôle des spécialistes des sciences sociales dans le vaste débat sur les cultures génétiquement modifiées ne peut être plus crucial aujourd'hui.

 

 

Pourquoi l'histoire ne se répète-t-elle pas ?

 

Il a été provocant de lire que la société de biotechnologie britannique AstraZeneca a développé une tomate génétiquement modifiée au début des années 1990. En raison des caractéristiques du fruit, sa production a été moins coûteuse que celle du concentré de tomates conventionnel, le produit étant ainsi 20 % moins cher. Entre 1996 et 1999, 1,8 million de boîtes de conserve, étiquetées clairement comme contenant un produit génétiquement modifié, ont été vendues dans les principaux supermarchés tels que Sainsbury et Safeway UK. Malheureusement, en raison de la réaction négative des consommateurs après une vaste campagne anti-OGM, le produit a été retiré. J'ai trouvé assez intéressant qu'aujourd'hui, AstraZeneca utilise des outils biotechnologiques similaires pour produire les vaccins contre la Covid-19, et que tout le monde les salue au lieu de les condamner. Pourquoi la technologie GM est-elle acceptée en médecine mais pas en agriculture ? Je continue de penser que c'est à cause des énormes investissements réalisés par l'industrie anti-OGM. Rien d'autre ne pourrait mieux l'expliquer.

 

 

L'édition de gènes

 

Mme Thomson consacre beaucoup d'attention à l'édition génétique et donne quelques conseils sur la manière dont les leçons tirées des OGM devraient influencer la gestion des aliments modifiés par édition de gènes. L'édition génétique a été présentée comme la nouvelle merveille qui va révolutionner l'agriculture, l'industrie, la santé et la protection de l'environnement, entre autres. Dans le domaine de l'agriculture, les promoteurs ont fait des efforts importants pour présenter les aliments génétiquement modifiés comme différents des OGM et semblables à la sélection végétale classique et traditionnelle. Citant Bain 2019, Mme Thomson dit que cette démarche suppose que si le public comprend la sélection végétale, alors il acceptera automatiquement l'édition de gènes. Cet argument est clairement faux car la sélection végétale traditionnelle ne nécessite pas d'interventions en laboratoire, écrit Mme Thomson.

 

 

Une admirable candeur

 

Bien qu'elle soit une fervente partisane des cultures génétiquement modifiées, Mme Thomson admet dans son livre que certains aspects des OGM lui posent problème. Par exemple, la monoculture n'est pas durable et peut être nocive pour l'environnement. Il serait préférable pour les consommateurs et les agriculteurs que les cultures GM ne soient pas entre les mains des seules multinationales. Cette franchise mérite d'être encouragée. En général, seules les personnes sincères, audacieuses et confiantes, dont les analyses ne sont pas entachées d'intérêts personnels, admettent des faits qui ne soutiennent pas leur point de vue. Mme Jennifer Thomson mérite une tape dans le dos pour cette démonstration d'honnêteté.

 

En fin de compte, le livre de Mme Jennifer Thomson offre des leçons à tout le monde – scientifiques, régulateurs, activistes anti-OGM et promoteurs de l'édition de gènes – car il apporte l'avenir au présent sur la base des leçons du passé.

 

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* Source : Review: 'GM Crops and the Global Divide' - Alliance for Science (cornell.edu)

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