Le « biodiversité-scepticisme », la nouvelle trouvaille savonarolesque de M. Stéphane Foucart
Néologisme pour néologisme, nous nous permettrons une comparaison de la chose commentée ici avec l'intolérance de Jérôme Savonarole.
Le Monde a publié une chronique stupéfiante dans son édition papier des 23, 24 et 25 mai 2021, « L'aube du "biodiversité-scepticisme" » et le 24 mai 2021 sur la toile, « Le "biodiversité-scepticisme", plus discret que celui contre le dérèglement climatique, est en un sens bien plus inquiétant ».
Le mécanisme est plutôt simple.
La biodiversité est, dit-on, en grand danger. Cela fait même, dit-on, l'objet d'un consensus scientifique. Sauf que quelques irréductibles... Ils se permettent même de critiquer des articles scientifiques ou de produire des articles de synthèse ou des méta-analyses qui contestent les incontestables études – qui sont évidemment encensées par tous les Philippulus. Précisons-le d'emblée, mon légendaire mauvais esprit et scepticisme me conduisent à penser qu'elles méritent la poubelle ; ce qui ne signifie pas que le trublion taulier de ce site conteste le déclin.
Et, horresco referens, ces insanités sont publiées dans les « prestigieuses revues Science et Nature Ecology & Evolution » !
Ces écrits blasphématoires deviennent donc des objets destinés à un bûcher des vanités qui ne tardera pas à être organisé si d'aventure les extrémistes de la cause écologique et de la décroissance arrivent aux manettes.
Bien évidemment, certains de ces écrits font l'objet de « réfutations cinglantes », et la chronique s'appesantit sur l'une d'elles.
Bref,
« Un nouveau "scepticisme" voit le jour. Il s’attaque à l’autre grande crise environnementale, celle de la biodiversité ; il est sans doute déjà à l’œuvre dans le choix du gouvernement de réduire fortement son soutien à l’agriculture biologique. Plus discret que son jumeau climatique, ce "biodiversité-scepticisme" est en un sens bien plus inquiétant. Car il s’enracine dans la littérature savante elle-même. Ce n’est pas dans les talk-shows des chaînes d’information en continu qu’il se construit, mais dans les revues scientifiques les plus cotées. »
Et hop ! un petit coup de pouce en passant aux idéologues du « bio » qui prétendent que leur bébé chéri est dépouillé par les nouvelles orientations françaises de la PAC.
Puisqu'on en est aux remarques incidentes, un commentateur dans le Monde a estimé que cette chronique était une sorte de réplique à la séance de l'Académie d'Agriculture de France consacrée à la « [d]istribution et dynamique de la biodiversité » et à un remarquable exposé de M. Christian Lévêque, « [r]econquérir la biodiversité, mais laquelle ? ».
Une diapo de la présentation de M. Christian Lévêque. Contester les chiffres du WWF... quel scandale... M. Stéphane Foucart a cru bon de contester la contestation.
Revenons à la chronique en tant que telle. On adore la rhétorique !
D'une part,
« En 2017, des chercheurs internationaux estimaient la perte de biomasse d'insectes volants dans une soixantaine de zones protégées d'Allemagne à plus de 75 % entre 1989 et 2016. »
C'est le fameux article de Hallmann et al., « More than 75 percent decline over 27 years in total flying insect biomass in protected areas » (un déclin de plus de 75 pour cent en 27 ans de la biomasse totale d'insectes volants dans des zones protégées) que nous avons abondamment évoqué sur ce site et pour lequel nous renverrons également à l'analyse de M. Philippe Stoop, « L’extinction de 75% des insectes : Comment naît une légende scientifique ».
En deux graphiques, l'analyse de M. Philippe Stoop de l'article devenu phare de Caspar A. Hallmann et al.
L'analyse d'un commentateur sur PloS One
D'autre part,
« Pourtant les prestigieuses revues Science et Nature Ecology & Evolution ont publié à quelques mois d'écart de vastes méta-analyses relativisant fortement la situation. En agrégeant de grandes quantités de données, ces deux études prétendent ne trouver aucun déclin d'insectes, ou beaucoup plus modeste, voire une augmentation notable de leur abondance, lorsqu'il s'agit d'insectes aquatiques. »
Les uns « estimaient », les autres prétendent »... Merveilleux...
Pour les uns, il y a une mise en perspective flatteuse :
« De nombreux éléments indiquent que cette catastrophe est représentative de la plupart des paysages d'Europe occidentale. »
Pour les autres, c'est un commentaire dénigrant – de surcroît infondé :
« Mieux : l'agriculture intensive, considérée par l'écrasante majorité des spécialistes comme la cause majeure de l'effondrement en cours de ces bestioles, leur serait, en réalité, bénéfique ! »
Dans le viseur : « Meta-analysis reveals declines in terrestrial but increases in freshwater insect abundances » (une méta-analyse révèle un déclin de l'abondance des insectes terrestres mais une augmentation de l'abondance des insectes d'eau douce) de Roel van Klink et al. et « No net insect abundance and diversity declines across US Long Term Ecological Research sites » (aucun déclin net de l'abondance et de la diversité des insectes sur les sites américains de recherche écologique à long terme) de M.S. Crossley et al.
L'emphase suit :
« Des dizaines de chercheurs ont publié des réfutations cinglantes de ces études. »
Notons que M. Stéphane Foucart se lamente plus loin du fait que ces publications honteuses ont été citées par plus de 150 études ultérieures... (Mais nous n'avons pas vérifié l'exactitude de l'allégation sur le nombre de réfutations, qui nous paraît toutefois suspecte.)
Un lecteur facétieux a noté dans la rubrique « contributions » du Monde que les deux articles incriminés n'ont pas été référencés – des fois qu'un lecteur aurait l'outrecuidance d'aller vérifier –, contrairement à « Adequate statistical modelling and data selection are essential when analysing abundance and diversity trends » (une modélisation statistique et une sélection de données adéquates sont essentielles lors de l'analyse des tendances en matière d'abondance et de diversité) de M. Desquilbet, P.A. Cornillon, L. Gaume et J.-M. Bonmatin.
La chronique se fait très diserte sur « une accumulation spectaculaire de biais et d'erreurs de toutes sortes ». C'est à croire que van Klink et al. sont des imposteurs ou des charlatans.
Il y a une autre « réfutation[...] cinglante[...] » : « Comment on “Meta-analysis reveals declines in terrestrial but increases in freshwater insect abundances” » de Marion Desquilbet et neuf autres auteurs. Dans la « dizaine[...] de chercheurs » pour une réfutation, ou plutôt un commentaire, deux noms bien connus de militants, et un troisième qui l'est un peu moins... On y trouve des reproches – fondés ou non, ce serait une tâche immense que de vérifier – que l'on peut bien faire à des articles décrivant une « insectocalypse »...
Il va de soi que van Klink et al. et Crossley et al. ont répondu. Des premiers, en résumé :
« Desquilbet et al. contestent nos critères d'inclusion des données et font plusieurs autres affirmations douteuses concernant le traitement, l'analyse et l'interprétation des données. La plupart de leurs préoccupations découlent d'un désaccord sur les critères d'inclusion et l'analyse des données, d'une mauvaise compréhension de nos objectifs et d'attentes irréalistes. Nous maintenons que notre synthèse fournit une analyse de pointe des modèles de tendances [patterns of trends] dans les abondances d'insectes. »
Et, dans le détail, ça déménage ! Il faut avoir quelques biscuits pour écrire en introduction de paragraphe :
« Plusieurs des déclarations de Desquilbet et al. concernant notre analyse sont tout simplement fausses. »
Seriez-vous étonné d'apprendre que M. Stéphane Foucart a omis de citer les réponses ? Pas bon pour le service, pas bon pour le militantisme !
Cela permet de conclure dans le sens souhaité et de convaincre des lecteurs qui, évidemment, n'iront pas vérifier :
« Moins d'un an après leur publication, ils [les parias] ont déjà été cités par plus de 150 études ultérieures. Bardés du prestige des journaux qui les ont publiés, ils disséminent sur de fausses bases, dans le corpus de la connaissance et l'espace public, l'idée que l'effondrement de l'entomofaune, l'un des piliers des écosystèmes terrestres, est très exagéré, voire une vue de l'esprit. La perméabilité de la littérature savante à ce "biodiversité-scepticisme" est peut-être en soi aussi inquiétante que l'effondrement du vivant. »
Et voilà !
Bardé de son militantisme, l'auteur de la chronique se fait l'arbitre des élégances en matière de vérité sur le déclin de la biodiversité ; rejette des études – qui sont elles-mêmes des synthèses ou méta-analyses d'études (166 études à long terme portant sur 1676 sites dans le cas de van Klink et al., plus de 5.300 séries temporelles pour Crossley et al.) – parce qu'elles ne confortent pas la thèse de l'« effondrement » ; vitupère les revues qui ont publié les articles écologiquement et politiquement incorrects.
Et qualifie de « biodiversité-scepticisme » ce qui n'est rien d'autre que la démarche scientifique.
Puisqu'il est beaucoup question de Mme Marion Desquilbet, elle est ingénieur agronome, chargée de recherche à l'INRAE, avec une dominante économique. Ses publications sont relativement éclectiques.
Elle se distingue aussi par la signature de tribunes « engagées ». Voir par exemple sur ce site « "e = m6 Spécial agriculture" : vite, un Saint-Office, un tribunal de l'Inquisition pour assurer l'exclusivité à la "science écologiste" ».
Du coup, question : quelle est la crédibilité des « réfutations cinglantes » ?