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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

La recherche biotechnologique en Ouganda : plus qu'un simple potentiel inexploité

7 Avril 2021 , Rédigé par Seppi Publié dans #Afrique

La recherche biotechnologique en Ouganda : plus qu'un simple potentiel inexploité

 

Joshua Raymond Muhumuza*

 

 

 

 

La pandémie de Covid-19 a mis en évidence le rôle essentiel que des domaines scientifiques comme la biotechnologie peuvent jouer pour améliorer la condition humaine. Cependant, malgré des décennies d'application dans différentes disciplines, l'utilisation de la biotechnologie en agriculture porte encore un stigmate de mépris sociopolitique. Et ce n'est pas sans inconvénients, surtout si l'on considère l'énorme quantité de ressources consacrées à la recherche et au développement en matière de biotechnologies.

 

Depuis 1993, l'Ouganda a réalisé d'importants investissements dans la R&D en biotechnologie agricole, allant d'installations de plusieurs millions de dollars à la formation et à l'éducation de centaines de personnes. Ces efforts donnent l'image d'une Nation véritablement engagée dans l'exploitation du potentiel de la biotechnologie agricole moderne pour améliorer la production alimentaire durable, stimuler les possibilités d'investissement et soutenir le développement national dans son ensemble. Toutefois, malgré tous ces investissements, les principaux bénéficiaires, notamment les agriculteurs et la population jeune et nombreuse du pays, n'ont pas encore réalisé de bénéfices.

 

 

Analyse

 

Les universités locales, telles que Makerere, Kyambogo, l'Université Chrétienne d'Ouganda et l'Université de Kisubi, continuent à produire chaque année des centaines de diplômés compétents en biotechnologie. Cela soulève des questions pertinentes : pourquoi renforcer cette capacité si le pays ne l'utilise pas ? Pourquoi de tels programmes sont-ils mis en place dans les universités ? Ou, plus important encore, qu'est-ce que cela signifie pour les parents qui envoient leurs enfants étudier ces programmes uniquement pour contribuer au nombre de jeunes sans emploi ?

 

Il est louable que le gouvernement continue d'investir dans la recherche agricole de pointe afin d'exploiter les dernières technologies au profit de nos agriculteurs et du développement national en général. Il a contribué à faire de l'Organisation Nationale de la Recherche Agricole (NARO) un centre régional d'excellence en matière de recherche agricole. Les recherches de nos propres scientifiques contribuent à nourrir des populations aussi éloignées que celles de la Zambie et du Mozambique. Et cela sans parler de nos voisins immédiats.

 

Néanmoins, dans le développement de cultures et d'animaux meilleurs et plus résistants, un ensemble de technologies – la biotechnologie agricole – reste un mouton noir. Un environnement politique peu favorable est la principale raison pour laquelle l'Ouganda n'a pas réussi à faire passer des décennies de recherche en biotechnologie agricole de ses centres de recherche nationaux aux utilisateurs finaux prévus. Au cours des deux dernières décennies, l'Ouganda a entrepris de formuler un cadre réglementaire national pour la biotechnologie et la biosécurité. Toutefois, jusqu'à présent, le cadre réglementaire existant ne permet pas la commercialisation des produits de la recherche en biotechnologie agricole. La dernière version d'une réglementation qui aurait permis la diffusion publique – la loi sur la réglementation du génie génétique (GERA, 2018) - a été rejetée par le président en juillet 2019. Cela fait suite à son rejet d'une version antérieure de la loi adoptée par le Parlement en novembre 2018.

 

L'absence d'un environnement politique favorable bloque entre autres les opportunités d'investissement dans les secteurs public et privé et contribue à une fuite des cerveaux notable. En outre, les agriculteurs ougandais se voient refuser la possibilité de choisir et d'utiliser des cultures biotechnologiques pour améliorer leur production et leur productivité. Les possibilités d'investissement limitées signifient que moins d'emplois sont créés pour les étudiants, pour la plupart jeunes, dans les universités du pays.

 

Il est contre-intuitif qu'un gouvernement investisse autant dans le développement de l'expertise dans une industrie pour ensuite la négliger avec un mépris qui en met plein la vue. La méfiance flagrante à l'égard de nos propres scientifiques et de leur capacité à prendre des décisions clés en matière de biotechnologie agricole est comparable à la consultation d'un médecin pour obtenir un avis juridique.

 

La population du pays, en grande partie jeune, a de plus en plus de mal à e,trer dans le secteur agricole, et ce pour plusieurs raisons. Mais les plus importantes sont les sombres perspectives d'entrer dans un secteur dont les performances sont constamment médiocres et bien en deçà des objectifs fixés. Selon la Banque Mondiale, la production agricole nationale n'a augmenté que de 2 % par an au cours des dernières années, ce qui est bien inférieur au taux de croissance démographique et aux taux de croissance de 3 à 5 % des autres pays d'Afrique de l'Est.

 

L'Ouganda a la deuxième population la plus jeune du monde ; elle représente environ 78 % du total. Les dividendes démographiques doivent être exploités pour réaliser les transitions économiques en investissant stratégiquement dans ce capital humain et en créant des opportunités pour celui-ci. La revitalisation de secteurs clés comme l'agriculture est essentielle pour les rendre attrayants pour les jeunes et les autres. Et quelle meilleure façon de le faire que de tirer parti des capacités et des technologies locales développées par nos propres scientifiques dans des institutions comme le NARO ?

 

La volonté politique de prendre les décisions difficiles et nécessaires en matière de biotechnologie agricole est encore très ténue en Ouganda. En bloquant ou en limitant l'accès aux technologies agricoles innovantes, le gouvernement non seulement étouffe le progrès agricole mais va à l'encontre des efforts actuels visant à faire avancer le programme national de transformation de l'agriculture en un secteur compétitif et rentable.

 

Alors que le pays se dirige vers la Vision 2040, il est temps de réexaminer ces investissements largement inexploités et de commencer à en récolter les fruits. Soutenir l'innovation durable et adopter des technologies agricoles susceptibles d'accroître la productivité est une étape essentielle et nécessaire.

 

Entre autres préoccupations, ceux qui s'opposent à la biotechnologie agricole craignent que les cultures génétiquement modifiées (GM) et les cultures traditionnelles ne puissent coexister. Mais il est prouvé que les cultures génétiquement modifiées peuvent coexister et coexistent effectivement avec d'autres pratiques agricoles. En gardant cela à l'esprit, si le pays veut sérieusement construire un secteur agricole durable et progressiste, nous devons tracer la voie vers une progression significative et un juste milieu. L'Ouganda doit éviter de se laisser enfermer dans des approches limitées et saisir les opportunités qui s'offrent à nous en exploitant les technologies modernes pour créer des opportunités d'investissement et d'emploi, nourrir sa propre population et une population mondiale croissante et favoriser le développement national.

 

La jeunesse ougandaise ne peut qu'attendre avec impatience et espérer que le gouvernement se résoudra à libérer le potentiel de secteurs clés comme l'agriculture, leur donnant ainsi la possibilité de poursuivre le travail et d'élargir les possibilités dont les scientifiques ougandais ont fait preuve en défendant un secteur agricole robuste, progressiste et durable.

 

__________

 

Joshua Raymond Muhumuza est chargé de mission au Centre d'Information sur les Biosciences de l'Ouganda (UBIC) et à l'Institut National de Recherche sur les Ressources Végétales (NaCRRI).

 

* Source : Uganda's biotech research: More than just untapped potential - Alliance for Science (cornell.edu)

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