Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Un scientifique ghanéen se tourne vers l'édition génétique pour améliorer la patate douce

29 Mars 2021 , Rédigé par Seppi Publié dans #CRISPR, #Afrique

Un scientifique ghanéen se tourne vers l'édition génétique pour améliorer la patate douce

 

Joseph Opoku Gakpo*

 

 

 

 

Des recherches sur la première culture modifiée par édition génétique du Ghana – une patate douce à haut rendement avec une teneur accrue en bêta-carotène – sont en cours à l'Université de Cape Coast.

 

« Pour les patates douces, nous voulons voir comment nous pouvons utiliser le système CRISPR-Cas9 pour augmenter la teneur en bêta carotène », a déclaré Samuel Acheampong, du Département de Biologie Moléculaire et de Biotechnologie de l'Université, qui travaille sur le projet depuis un an. « Le bêta carotène est une grosse affaire pour nous car, en tant qu'animaux, lorsque nous absorbons du bêta carotène, nos cellules sont capables de le convertir en vitamine A. »

 

L'Organisation Mondiale de la Santé estime qu'entre 250.000 et 500.000 enfants des pays en développement deviennent aveugles chaque année en raison d'une carence en vitamine A, ce qui en fait la première cause évitable de cécité infantile dans le monde. Environ 50 % d'entre eux meurent dans l'année qui suit leur perte de la vue. Des maladies respiratoires et des maladies infectieuses et diarrhéiques chez les enfants ont également été liées à une carence en vitamine A.

 

M. Acheampong utilise CRISPR-Cas9 pour éliminer les gènes responsables de la production d'une enzyme dans la patate douce qui convertit le bêta-carotène en d'autres substances. Cela laissera une teneur plus élevée en bêta carotène dans la plante, qui, lorsqu'elle sera consommée par les humains, leur permettra de produire de la vitamine A. La patate douce est un légume très populaire au Ghana, ce qui la rend idéale pour un effort de biofortification de ce type.

 

Le scientifique ghanéen a commencé ses recherches alors qu'il étudiait à l'Université d'État de Caroline du Nord aux États-Unis. Depuis, il a transféré les travaux dans son laboratoire à l'Université de Cape Coast. « Je suis au stade du développement », a-t-il expliqué lorsque l'Alliance pour la Science a visité son laboratoire. « Je lets au point les mesures pour optimiser les conditions d'une régénération efficace des patates douces. »

 

En outre, M. Acheampong cherche à augmenter la taille des racines tubérisées de la plante. « J'étudie un ensemble de gènes qui affectent le transport des sucres dans les plantes. J'essaie donc d'utiliser l'édition du génome par CRISPR pour éliminer certains gènes afin d'augmenter le flux de sucres, ce qui conduira certainement à une augmentation du rendement. »

 

Lorsqu'on lui a demandé pourquoi il avait choisi de travailler sur la patate douce, M. Acheampong a expliqué que c'était une culture importante parce qu'elle est très résistante, a un rendement élevé et s'adapte à de nombreuses conditions environnementales.

 

« De plus, la production de patates douces ne nécessite pas d'intrants sophistiqués », a-t-il déclaré. « Vous prenez juste votre patate douce, vous faites votre trou, votre coupez... et puis vous partez. Cela rend donc la patate douce très, très importante. Et comme vous le savez, le changement climatique et tous ces changements à venir... La patate douce peut être utilisée pour s'adapter à ces conditions. La patate douce est également nutritive. Elle est donc une très bonne culture pour la sécurité alimentaire au Ghana et dans de nombreuses régions du monde. »

 

M. Acheampong a déclaré qu'il avait décidé d'utiliser l'outil d'édition de gènes CRISPR pour améliorer la plante car les techniques de sélection conventionnelles sont plus difficiles à appliquer.

 

« La patate douce est difficile à sélectionner pour ce trait car une faible teneur en matière sèche (qui est un trait indésirable) est associée à cette teneur en bêta-carotène », a-t-il expliqué. « Il est donc très difficile de les séparer. Les sélectionneurs de plantes ont essayé plusieurs moyens d'améliorer la teneur en bêta-carotène, mais lorsque vous obtenez une teneur élevée en bêta-carotène, vous obtenez une faible teneur en matière sèche. Ces caractéristiques sont liées, donc elles se déplacent généralement ensemble. Pour obtenir une teneur élevée en bêta-carotène ainsi qu'une teneur élevée en matière sèche, il faut une approche différente, il faut la technologie. Ainsi, l'édition du génome peut modifier certains ensembles de gènes pour donner à la chair de la patate douce une couleur orangée tout en conservant une teneur élevée en matière sèche. »

 

M. Acheampong décrit l'édition de gènes par CRISPR comme un outil de sélection végétale direct, efficace et facile à utiliser.

 

« Pour l'édition du génome, nous n'avons pas besoin de grand chose », dit-il. « Une fois que vous avez un laboratoire de culture de tissus de base, vous pouvez faire de l'édition du génome. Une fois que vous avez votre autoclave et que vous avez votre chambre de clture, c'est terminé. Vous êtes bon. C'est quelque chose de fondamental pour tout laboratoire qui fonctionne correctement ici en Afrique... CRISPR en fait change la donne. »

 

« L'édition du génome, relativement, est bon marché », a-t-il ajouté. « Vous n'avez pas besoin de beaucoup d'expertise pour le faire. Vous n'avez pas besoin d'instruments très spécialisés avant de pouvoir le faire... Cela fait donc de l'édition du génome par CRISPR une technologie très puissante pour la production alimentaire et la sécurité alimentaire future»

 

L'édition de gènes par CRISPR est un outil permettant de modifier les génomes des organismes vivants en utilisant l'ADN CRISPR-Cas9 de bactéries. « Une chose à propos de l'édition génétique, c'est que c'est un événement unique », a déclaré M. Acheampong. « Une fois que vous introduisez le Cas9, il coupe l'ADN. Maintenant, quand cette coupure est faite, l'organisme se répare. Et une fois la réparation effectuée, c'est tout. Le Cas9 est juste une enzyme. En quelques minutes ou heures, il est dégradé ou dénaturé. Il n'y a plus aucune trace de cette enzyme dans l'organisme. »

 

 

M. Samuel Acheampong, chercheur en édition génétique, dans son laboratoire à l'Université de Cape Coast. Image : Joseph Opoku Gakpo

 

 

Elle diffère de la modification génétique [transgenèse] car « vous n'introduisez rien de nouveau provenant d'un autre organisme », a-t-il déclaré. « C'est le même organisme, mais il y a des modifications. C'est donc comme une chemise qui est tachée ; vous utilisez un agent de blanchiment ou un autre détergent pour la nettoyer. Une fois que vous l'avez nettoyée, il n'y a plus de trace du savon ou de l'eau de Javel que vous utilisez. C'est comme ça que fonctionne l'édition génétique. »

 

Comme il s'agit du premier projet de recherche à utiliser CRISPR au Ghana, M. Acheampong est convaincu que son succès ouvrira la voie à l'utilisation de cette technologie pour résoudre plusieurs autres problèmes de production agricole dans le pays et en Afrique dans son ensemble. « Au Ghana, nous avons un gros problème de carence en fer, d'anémie. Dans la nourriture que nous mangeons, la teneur en fer est faible, et nous pouvons utiliser l'édition génétique pour l'augmenter. Il y a beaucoup d'autres caractères pour lesquels nous pouvons utiliser CRISPR pour les améliorer », a-t-il noté.

 

« Aux États-Unis, ils l'ont utilisé, ils ont réussi pour de nombreuses plantes », a-t-il ajouté. « Pour le Ghana et l'Afrique de l'Ouest, nous le faisons maintenant aussi. Vous voyez, quand la technologie arrive, vous devez l'adapter à votre propre situation et l'utiliser à votre avantage. Je pense donc que lorsque celle-ci prendra de l'ampleur, cela encouragera d'autres scientifiques à poursuivre également des études liées au système CRISPR-Cas9. »

 

Si ces travaux s'avèrent fructueux, ils seront très importants pour la communauté scientifique et ceux qui s'intéressent à la production alimentaire, a fait observer M. Acheampong.

 

Il estime qu'il lui faudra jusqu'à cinq ans pour terminer ses recherches avant qu'une conversation puisse s'engager sur la diffusion du produit auprès des agriculteurs. « L'amener sur le marché peut prendre beaucoup de temps, en fonction des réglementations, etc. »

 

La loi ghanéenne sur la biosécurité ne fait pas de place aux cultures modifiées par édition génétique et le gouvernement n'a pas pris position sur la manière de les réglementer. Néanmoins, M. Acheampong est confiant que les agriculteurs et le public accepteront son produit.

 

« Pour l'instant, ils ne comprennent pas bien la technologie », a-t-il fait observer. « Et je crois qu'avec le temps, et à mesure que nous l'expliquerons, la compréhension des gens s'améliorera. Je suis donc convaincu qu'ils l'accepteront ».

 

M. Acheampong exhorte également les gouvernements africains à investir dans les technologies d'édition génétique.

 

« Les gouvernements africains devraient adopter l'édition du génome pour améliorer les caractéristiques de leurs cultures, car lorsque le gouvernement parraine un projet, celui-ci est plus facilement couronné de succès et mieux accueilli par la population », a-t-il déclaré. « Je crois que les gens auront plus confiance en cette technologie qu'en permettant à des sociétés de biotechnologie de la développer et de la vendre ensuite aux agriculteurs... Elle sera abordable, tout le monde pourra y avoir facilement accès et l'utiliser. »

 

« J'aime la technologie et je pense que les gens devraient adopter la technologie », a-t-il poursuivi. « Nous avons besoin de la technologie pour nous améliorer. Nous avons besoin de la technologie dans beaucoup de choses que nous faisons. Sans la technologie, nous resterons toujours là où nous sommes. Nous ne nous améliorerons pas. »

 

____________

 

* Source : Ghana scientist turns to gene editing to improve sweet potato crop - Alliance for Science (cornell.edu)

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article