Loi « Lutte contre le dérèglement climatique » : pénalisons notre agriculture !
André Heitz*
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(Source)
La lutte contre le dérèglement climatique passe par l’alimentation, en particulier par le développement de l’agroécologie, selon nos génies du gouvernement et de l'Assemblée Nationale. Pénalisons, le cas échéant, l’agriculture conventionnelle, celle qui nous nourrit.
Un Président de la République irresponsable, adepte des petits « coups » de marketing politicien, a eu la riche idée d'instituer une Convention citoyenne pour le climat, une « expérience démocratique inédite » sans fondement juridique, ni constitutionnel, ni légal, ni même réglementaire. La mission : proposer des solutions pour baisser de 40 % nos émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030.
Un aréopage de 150 personnes présumées représentatives de la France dans toute sa diversité a été tiré au sort – de manière parfaitement neutre (ironie), puisque c'était au sein d'un panel de volontaires potentiels. Il a été cornaqué par des « garants » absolument impartiaux (bis), tel le médiatiquement omniprésent Cyril Dion, et briefés par 107 « intervenants » qui ont porté un discours rationnel et objectif (ter) ; selon le décompte publié par le Point dans « Kervasdoué – Convention climat : la brillante manipulation du choix des intervenants » (derrière un péage) :
« 1 ministre, 2 élus, 11 hauts fonctionnaires, 2 militants associatifs, 15 partenaires sociaux, 14 juristes et politistes, 13 économistes, 3 sociologues, 13 militants d'associations écologiques, 18 représentants du monde des affaires, 10 scientifiques, 2 architectes, 2 journalistes, 1 prospectiviste. La catégorie "scientifique" regroupe aussi les ingénieurs ; si on leur ajoute les architectes et le prospectiviste, ils ne sont que treize sur 107 dont un seul spécialiste de l'énergie. »
Après avoir écarté la patate chaude du nucléaire – la seule solution raisonnable de lutte contre le réchauffement climatique en matière d'énergie – la Convention a produit 149 recommandations groupées en cinq chapitres :
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Se déplacer,
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Consommer,
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Se loger,
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Produire/Travailler,
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Se nourrir.
Pour l'objectif des -40 %, on repassera. Mais pour les repas bio et végé à la cantine...
Le grand marionnettiste s'était pris les mains dans les fils en déclarant naïvement, le 25 avril 2019, sans connaître la production à venir, que :
« Ce qui sortira de cette convention, je m'y engage, sera soumis sans filtre soit au vote du Parlement, soit à référendum, soit à application réglementaire directe. »
Les choses ont un peu évolué par la suite, à la lumière notamment du désastre. Sans filtre, certainement, mais avec un tamis ! Trois recommandations ont été écartées, et le gouvernement a été prié de produire un projet de loi – portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets – en trompe-l'œil, gommant les aspects les plus catastrophiques.
Mais c'était, évidemment, sans compter sur la frénésie de nos honorables députés en matière de propositions d'amendement et, surtout, de surenchère, de verdoyante démagogie, de signalement de la vertu. À l'heure où j'écris, il y a la bagatelle de 5.200 propositions d'amendement... Certes, avec beaucoup de redondances, les groupes, groupuscules, fractions et députés individuels faisant assaut de complaisance envers ce qu'il faut bien appeler par le terme qui convient : les lobbyistes.
Commençons par une sorte de digression.
Le 27 février 2021, le député Mathieu Orphelin (aujourd'hui non inscrit) se félicitait sur Twitter du travail magistral de son équipe qui avait concocté 74 propositions d'amendement.
(Source)
En deuxième position sous le volet – tenez-vous bien – « consommer », qui est aussi le titre premier d'un projet de loi sur le... « dérèglement climatique » :
« Instaurer un Service National d'Agriculture Durable (SNAD) pour sensibiliser les jeunes générations aux enjeux agricoles, à l'alimentation saine et durable et à la transition socio-écologique. »
La proposition n'a, semble-t-il, pas trouvé grâce chez ses collègues de tous les bancs, ceux du Rassemblement national ayant été exclus du démarchage par ostracisme.
Mais il a osé ! Et nous avons l'embarras du choix pour les comparaisons avec les pages sombres de notre histoire, française et de l'humanité.
Comme la Convention (prétendument) citoyenne, le projet de loi s'est abstenu d'entrer en matière sur la question du nucléaire. Initiée par M. Raphaël Schellenberger (LR), une proposition d'amendement (N° 2438) tendait à supprimer la disposition du code de l'énergie qui limite à terme à 50 % la part du nucléaire dans le mix électrique.
La proposition a été déclarée irrecevable, sans lien avec le projet de loi !
(Source)
Entrons maintenant dans le vif du sujet.
La lutte contre le dérèglement climatique passe – au cas où vous ne le sauriez pas – par l'alimentation (c'est le titre V du projet de loi), en particulier les repas végétariens à la cantine, et le développement de l'agroécologie (c'est le chapitre II de ce titre, avec cinq articles).
Une agroécologie dont nous peinons à trouver une définition précise et cohérente.
Le gouvernement se devait de répondre à la Convention (prétendument) citoyenne qui ambitionnait :
« La réduction des intrants de synthèse, c’est à dire la réduction de l’utilisation des engrais azotés de synthèse et la réduction progressive des pesticides (de 50% d’ici 2030 et de 100% d’ici 2040, pour les pesticides) ».
S'agissant des engrais de synthèse, selon un air largement fredonné, la Convention proposait d'« [a]ugmenter la Taxe Générale sur les Activités Polluantes (TGAP) ».
Le gouvernement – même avec en son sein une ministre de la Transition écologique du nom de Barbara Pompili – a saisi le désastre économique et sans doute aussi social de la proposition (pour le volet électoral, les dés sont jetés : les milieux agricoles ne voteront pas « bien » dans un an).
Avec une rare maestria de la rédaction législative, il a concocté une superbe usine à gaz, mettant l'objectif à atteindre annuellement à l'article 63 et la sanction éventuelle de la non-atteinte de l'objectif à l'article... 62. J'aurais fait ça dans une vie antérieure...
Prenons-le de l'exposé des motifs :
« Les articles 62 et 63 prévoient la définition d’une trajectoire de réduction des émissions de protoxyde d’azote et d’ammoniac du secteur agricole, complétée par la mise en place, le cas échéant, d’une redevance sur les engrais azotés minéraux dès lors que les objectifs annuels de réduction de ces émissions fixés en application de l’article 58 de la présente loi ne seraient pas atteints pendant deux années consécutives et sous réserve de l’absence de dispositions équivalentes dans le droit de l’Union. »
L'article 58 traite de l'aménagement du territoire en zone littorale, particulièrement sous l'angle du recul du trait de côte. Cela ne participe pas de la lutte contre le dérèglement climatique, mais admettons que cela entre dans le cadre du « renforcement de la résilience face à ses effets ».
Gribouille a encore sévi !
Les objectifs – énoncés deux fois pour que ce soit bien clair – sont de réduire les émissions d’ammoniac (NH3) de 13 % en 2030 par rapport à 2005 et les émissions de protoxyde d’azote (N2O) de 15 % en 2030 par rapport à 2015.
Oyez, oyez, braves gens ! Si les dates de référence initiales sont différentes, la date d'arrivée est la même !
Selon une formulation législative qui ferait échouer tout étudiant de première année en droit, il est donc « envisagé de mettre en place » une redevance sur les – seuls – engrais azotés minéraux. Incidemment, ceux-ci deviennent « une matière fertilisante [...] contenant de l’azote sous forme minérale de synthèse » dans une proposition d'amendement (N° 4884) de Mme Sandrine Le Feur (LaREM) et quelques autres qui ont dû sécher leurs cours de chimie (mais il est vrai que le salpêtre, par exemple, est un nitrate de potassium naturel).
L'agriculture « conventionnelle », celle qui nous nourrit, est donc dans le collimateur, alors que les engrais organiques sont aussi producteurs d'ammoniac et de protoxyde d'azote. Rappelons ici que l'agriculture « biologique » utilise également des engrais azotés minéraux (« de synthèse »...), mais une fois qu'ils ont été « blanchis » par le passage dans un tube digestif animal ou par une plate-forme de compostage.
Ce graphique est peut-être faux ou au moins trompeur : une partie de l'azote organique a pour origine la matière organique produite grâce à de l'azote minéral.
L'objectif, s'agissant de l'ammoniac, produit à 94 % par l'agriculture (l'élevage pour 65,6 % et la fertilisation minérale pour 25,9 % de ces émissions, selon l'ADEME), n'est pas lié à la question du climat.
La situation est plus complexe pour le protoxyde d'azote, majoritairement d'origine agricole en France (en partie parce que nous avons démantelé notre industrie) mais aussi issu du cycle naturel de l'azote. Le secteur de l'agriculture, des forêts et des autres utilisations des terres (AFOLU) dans son ensemble représente 81 % des émissions anthropiques de N2O (d'après un rapport du Giec de 2019).
Mais il faut bien se nourrir...
(Source)
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Il y a six propositions d'addition d'un article avant le 62. On peut avoir un faible pour la N° 4881 dont le premier signataire est Mme Sandrine Le Feur (LaREM). Il est proposé d'ajouter ce qui suit au mille-feuille législatif :
« À ce titre, l’utilisation des produits phytopharmaceutiques est progressivement diminuée jusqu’à atteindre moins 50 % d’ici le 31 décembre 2025 [...] »
Yaka ! Et sur cinq campagnes agricoles ! Bien sûr, un décret en Conseil d’État précisera les modalités d’application de cette disposition...
C'est muni d'un exposé des motifs digne des têtes de gondole dans le commerce de la trouille. « Cet amendement est proposé par Déclic et Greenlobby. » Ce dernier affiche fièrement sur son site : « Ensemble faisons la loi ! » Il y a des gens qui pensent que la loi est faite par le Parlement... Voilà pour qui « roulent » certains de nos députés.
Pour l'article 62, ce sont 39 propositions, un nombre encore raisonnable, à comparer aux 71 pour l'article 59 (les repas végétariens à la cantine).
Un courageux Thibault Bazin (LR) propose (N° 1738) de supprimer cet article – d'autres propositions vont dans le même sens. De l'exposé des motifs :
« L’azote constitue un élément nutritif essentiel pour la croissance des plantes. Il joue en effet un rôle déterminant à la fois sur les rendements et sur la qualité des productions. Par ailleurs, une récente étude "Prospectives MAFOR" (2020), menée sous l’égide du Ministère de l’Agriculture, démontre que le gisement en matières fertilisantes d’origine organique ne permet pas de couvrir l‘ensemble des besoins. »
Faut-il ajouter que les matières fertilisantes d'origine organique produisent également de l'ammoniac et du protoxyde d'azote ?
M. Thibault Bazin et d'autres comme M. Dino Cinieri (N° 2836) ou encore M. Julien Dive et autres (N° 2165) relèvent aussi que cette taxe constituerait une nouvelle source d’importantes distorsions de concurrence avec les producteurs des autres pays européens (et du reste du monde).
À l'inverse, une série de propositions tend à rendre la redevance obligatoire, dès le 1er janvier 2022. Selon des propositions de formulation identique ou similaire, on ponctionnerait ainsi 0,27 euros (le chiffre serait dans une loi !) par kilogramme d'azote... de l'art d'enfumer : cela paraît moins lourd que 270 euros la tonne). Selon les calculs la recette annuelle moyenne serait d’environ 618 millions d’euros.
Interprétons à notre manière : l'agriculture « conventionnelle » qui nous nourrit serait ponctionnée de 618 millions d'euros.
Mais les auteurs des propositions sont généreux : ce serait pour réaffecter cette somme à l'agriculture. On déshabillerait donc Pierre pour habiller Paul ou, avec un peu de chance, on déshabillerait Pierre pour le rhabiller autrement.
Dans sa proposition (N° 3021) – que nous citerons ici parce qu'elle dévoile la source lobbyiste, le Réseau Action Climat –, Mme Jennifer De Temmerman (Liberté et Territoires) écrit (ou plutôt recopie) :
« Pour soutenir la transition agroécologique et répondre aux enjeux de justice sociale, les recettes d’une telle redevance doivent être entièrement réaffectées aux agricultrices et agriculteurs. Elles doivent permettre de financer des mesures d’accompagnement visant à développer les alternatives aux engrais azotés de synthèse que constituent les cultures de légumineuses diversifiées, le soutien à l’agriculture biologique et la déspécialisation des zones agricoles françaises par un redéploiement des systèmes d’élevage herbager. Les recettes pourraient ainsi venir co-financer les aides au maintien à l’agriculture biologique (2ème pilier de la PAC) et le plan protéines végétales.
Le « soutien à l’agriculture biologique »... « co-financer les aides au maintien à l’agriculture biologique »... Nous y voilà !
Et « la déspécialisation des zones agricoles françaises »... Yaka !
On s'arrêtera ici, malgré l'existence d'autres pépites, avec la même conclusion que dans un article précédent : ces gens sont vraiment – mais alors vraiment – hors sol !
Un hors-sol qui frise l'orbite géostationnaire dans le cas de la ministre de la Transition écologique Barbara Pompili :
« Avec cette loi, notre modèle agricole et alimentaire se transformera plus rapidement au profit d’une agroécologie qui irriguera nos territoires. Nous réduirons notre utilisation d’engrais azotés. Nous nous donnerons les moyens de renforcer la lutte contre ce que l’on appelle la déforestation importée. Une alimentation plus saine et plus équilibrée sera encouragée. C’est le projet du titre V, "Se nourrir". »
La lutte contre la déforestation ? Parce que, selon l'article 64, les agents de deux instances gouvernementales et administratives pourront, à l'avenir, échanger des informations « utiles à l’amélioration de la transparence et de la traçabilité des chaînes d’approvisionnement en matières premières agricoles ».
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* André Heitz est ingénieur agronome et fonctionnaire international du système des Nations Unies à la retraite. Il a servi l’Union internationale pour la protection des obtentions végétales (UPOV) et l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI). Dans son dernier poste, il a été le directeur du Bureau de coordination de l’OMPI à Bruxelles.
Une version de cet article a été publiée dans Contrepoints.