Mexique, OGM, glyphosate et médiasphère militante
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Il y a des médias qui se sont jetés sur une dépêche de l'Agence France Presse (AFP) comme la pauvreté sur le monde et – qui sait ? – prochainement la disette sur le Mexique.
L'AFP s'était – évidemment – jetée sur la nouvelle.
En bref, et pour reprendre un titre de RFI, « Mexique: le maïs transgénique et le glyphosate désormais interdits, des symboles forts ».
(Source)
Sauf que si quelque chose doit se produire, c'est à l'horizon fin janvier 2024, soit à l'aube de la campagne électorale pour la succession du président Andrés Manuel López Obrador, alias AMLO (mandat non renouvelable) et, si les mesures se concrétisent, avant la manifestation des dommages qu'elles sont susceptibles d'infliger à l'agriculture et la production alimentaire mexicaines.
L'article de RFI est du reste symptomatique : trois paragraphes pour le cri de victoire des militants anti-OGM et anti-pesticides, une ligne et demie pour le cri de déception des « représentants de l’industrie agro-alimentaire ».
Le Monde a aussi fait très fort. Il titre : « Précurseur en Amérique latine, le Mexique bannit le maïs génétiquement modifié et le glyphosate ». L'échéance est toutefois indiquée dans le chapô :
« Le gouvernement mexicain s’est donné trois ans pour l’application complète de la mesure. L’industrie agroalimentaire est appelée à trouver des alternatives durables. »
C'est assez plaisant. On peut paraphraser « Le bon, la brute et le truand » : il y a ceux qui ont un pistolet législatif chargé...
Mais a-t-on bien lu – enfin, lu tout court – et compris le décret présidentiel publié au journal officiel le 31 décembre 2020 et entré en vigueur le 1er janvier 2021 ? Voici des extraits du texte :
« DÉCRET établissant les actions à mener par les agences et entités qui composent l'Administration Publique Fédérale, dans le cadre de leurs compétences, pour remplacer progressivement l'utilisation, l'acquisition, la distribution, la promotion et l'importation de la substance chimique connue sous le nom de glyphosate et des produits agrochimiques utilisés dans notre pays qui en contiennent comme ingrédient actif, par des alternatives durables et culturellement appropriées qui permettent de maintenir la production et sont sans danger pour la santé humaine, la diversité bioculturelle du pays et l'environnement.
[...]
DECRÈTE
Article premier. – L'objectif de ce décret est d'établir les actions qui doivent être menées par les agences et entités qui composent l'Administration Publique Fédérale, afin de remplacer progressivement l'utilisation, l'acquisition, la distribution, la promotion et l'importation de la substance chimique appelée glyphosate et des produits agrochimiques utilisés dans notre pays qui en contiennent comme ingrédient actif, par des alternatives durables et culturellement appropriées qui permettent de maintenir la production et sont sans danger pour la santé humaine, la diversité bioculturelle du pays et l'environnement. En ce sens, à partir de l'entrée en vigueur de ce décret et jusqu'au 31 janvier 2024, une période de transition est établie pour parvenir au remplacement total du glyphosate.
Article 2. – Les agences et entités de l'Administration Publique Fédérale sont chargées, dans le cadre de leurs compétences et à compter de l'entrée en vigueur du présent décret, de s'abstenir d'acquérir, d'utiliser, de distribuer, de promouvoir et d'importer du glyphosate ou des produits agrochimiques en contenant comme ingrédient actif, dans le cadre de programmes publics ou de toute autre activité gouvernementale.
Article 3. – Afin de réduire l'impact éventuel du remplacement progressif de l'utilisation et de l'importation de glyphosate dans l'agriculture commerciale, les secrétariats de l'agriculture et du développement rural et de l'environnement et des ressources naturelles promeuvent et mettent en œuvre des alternatives durables et culturellement adaptées à l'utilisation du glyphosate, soit avec d'autres produits agrochimiques de faible toxicité, soit avec des produits biologiques ou organiques, soit avec des pratiques agro-écologiques, soit avec une utilisation intensive de la main-d'œuvre, qui soient sans danger pour la santé humaine, la diversité bioculturelle du pays et l'environnement.
Le Conseil National de la Science et la Technologie, dans le cadre de ses compétences, coordonne, articule, promeut et soutient la recherche scientifique, les développements technologiques et les innovations qui lui permettent de soutenir et de proposer, aux secrétariats mentionnés au paragraphe précédent, des alternatives au glyphosate. Pour se conformer à cette disposition, le Conseil National de la Science et de la Technologie peut convoquer des institutions appartenant au secteur qu'il dirige et d'autres établissements d'enseignement supérieur ou centres de recherche publics compétents en la matière.
En outre, les organismes visés au présent article peuvent, dans le cadre de leurs compétences, inviter des groupes organisés de producteurs agricoles, l'industrie agrochimique, des associations d'utilisateurs de produits agrochimiques et des organisations de producteurs de bio-intrants et d'intrants agricoles biologiques à participer à la conception, à la promotion ou à la mise en œuvre des alternatives mentionnées aux premier et deuxième alinéas du présent article.
Article 4. – Sur la base des résultats de la recherche scientifique, des développements technologiques et des innovations visés au deuxième alinéa de l'article 3 du présent décret, le Conseil National de la Science et de la Technologie émet des recommandations annuelles aux autorités compétentes pour leur permettre de soutenir, le cas échéant, la quantité de glyphosate qu'elles autoriseront les particuliers à importer.
Article 5. – Les secrétariats de l'Environnement et des Ressources naturelles, de la Santé, et de l'Agriculture et du Développement rural, ainsi que le Conseil National de la Science et de la Technologie, devront, au plus tard au premier semestre de l'année 2023, promouvoir les réformes des systèmes juridiques applicables afin d'éviter l'utilisation du glyphosate comme substance active des produits agrochimiques et du maïs génétiquement modifié au Mexique.
Article 6. – Dans le but de contribuer à la sécurité et à la souveraineté alimentaires et comme mesure spéciale pour protéger le maïs indigène, la milpa, la richesse bioculturelle, les communautés paysannes, le patrimoine gastronomique et la santé du peuple mexicain, les autorités en matière de biosécurité, dans le cadre de leurs compétences, conformément à la réglementation applicable, révoquent et s'abstiennent d'accorder des permis pour la dissémination de semences de maïs génétiquement modifié dans l'environnement.
De même, les autorités de biosécurité, dans le cadre de leurs compétences, conformément à la réglementation applicable et sur la base de critères de suffisance dans l'approvisionnement en grains de maïs sans glyphosate, révoqueront et s'abstiendront d'accorder des autorisations pour l'utilisation de grains de maïs génétiquement modifiés dans l'alimentation des Mexicaines et des Mexicains, jusqu'à leur remplacement complet à une date qui ne pourra être postérieure au 31 janvier 2024, conformément aux politiques d'autosuffisance alimentaire du pays et à la période de transition établie à l'article premier du présent décret. »
L'objectif paraît clair, mais le texte n'est pas d'une clarté limpide !
On veut certes supprimer le glyphosate et le maïs transgénique – en principe tous les maïs, y compris notamment les maïs Bt résistants à des ravageurs et les maïs résistants à la sécheresse. Mais il faut tout de même avoir des solutions de rechange – y compris d'autres herbicides « de faible toxicité » ... et le travail manuel...
Il faudra aussi veiller à l'approvisionnement alimentaire, alors que le Mexique est déjà un important importateur de maïs (jaune, pour l'alimentation animale), avec plus de 700.000 tonnes. Le Conseil National de l'Agriculture (CNA) avait pourtant averti que la production agricole du pays pourrait chuter jusqu'à 45 %.
Cela paraît exagéré. D'autant plus qu'en pratique, la grande « avancée » célébrée par le militantisme, y compris journalistique, ne porte que sur le glyphosate.
L'autorisation de cultiver du maïs transgénique – issue de la Loi de Biosécurité des Organismes génétiquement Modifiés et appliquable sur le territoire, sauf dans des zones protégées spéciales – a en effet été « congelée » par une décision d'une cour fédérale de 2013. La Cour de Justice Suprême de la Nation a, semble-t-il, refusé d'entendre le pourvoi contre cette décision en janvier 2017.
Les zones protégées sont le résultat d'une préoccupation, somme toute légitime, pour le rôle du Mexique en tant que région d'origine et centre de diversité de certaines plantes cultivées, notamment du maïs.
Dans la Croix, « Le Mexique, premier pays d’Amérique latine à bannir le maïs OGM et le glyphosate », on fait appel à Greenpeace Mexico pour la gesticulation sur les « graves dommages à la santé humaine et à l’environnement », ainsi qu'à l'illustre militant Marc Dufumier :
« En disséminant son pollen dans la nature, le maïs OGM peut contaminer les variétés locales, compromettant une biodiversité précieuse ».
Il y a certes le semi-auxiliaire « peut ». Mais ce genre de gesticulation est fatigant. Il y a des besoins de cours 1.0 sur la génétique et la production du maïs, particulièrement de semences... Et une variété criolla pourrait devenir tolérante au glyphosate, résistante à un ravageur ou encore résistante à la sécheresse... Mais quel scandale !
La biodiversité serait compromise ! À ce propos, on pourra relire « Le Monde anti-OGM de M. Stéphane Foucart : la vraie histoire de Quist et Chapela, du maïs mexicain "contaminé" ».
Mais que ne ferait-on pas dans un article selon lequel :
« Depuis la fin des années 1990, une partie de la société civile mexicaine est mobilisée contre la prétention des multinationales et de l’agrobusiness à imposer le maïs OGM. »
Revenons au décret.
Il est manifestement une reculade partielle après l'instruction donnée par AMLO le 20 octobre 2020 d'éliminer le glyphosate. C'est aussi un compromis trouvé après une âpre bataille entre les pragmatiques de l'agriculture et les idéologues de l'écologisme, puissants au sein du gouvernement... toute ressemblance avec un pays qui nous est cher...
Rappelons qu'AMLO a nommé au poste de directeur général du Conseil National de la Science et de la Technologie (CONACYT) Mme María Elena Álvarez-Buylla Roces, une farouche militante anti-OGM, anti-pesticides et « altermondialiste », qui a même été accusée de mentir de manière répétée devant des publics non avertis au sujet de la sécurité des aliments GM ou issus d'OGM.
Il y aura sans doute de belles batailles en perspective dans la mise en œuvre de ce décret...
Selon l'article du Monde (et la dépêche de l'AFP), « [l]industrie agroalimentaire est appelée à trouver des alternatives durables ». C'est faux. C'est au CONACYT de Mme María Elena Álvarez-Buylla Roces de le faire.
Mais la machinerie étatique peut « inviter » l'industrie agrochimique à l'effort de recherche, etc. – ou s'abstenir de le faire...
Quant au rôle précurseur en Amérique latine attribué au Mexique par notre littérature journalistique...
Il y a cette envolée lyrique et délirante des considérants du décret :
« Que, dans le but de parvenir à l'autosuffisance et à la souveraineté alimentaire, notre pays devrait viser à établir une production agricole durable et culturellement appropriée, grâce à l'utilisation de pratiques et d'intrants agro-écologiques qui soient sans danger pour la santé humaine, la diversité bio-culturelle du pays et l'environnement, ainsi que conformes aux traditions agricoles du Mexique ».
C'est le genre de discours que nous avons entendu en France de la part d'un ministre de l'agriculture qui vantait l'agriculture de grand-papa... Il y a peu de chances qu'il fasse des émules dans les grands pays agricoles du Sud, qui du reste contribuent à nourrir le monde.
L'AFP a pourtant écrit :
« Avec ces engagements fermes, le Mexique s’impose en précurseur en Amérique latine et au-delà.
En octobre, l’Argentine est devenue le premier pays au monde à approuver la commercialisation de blé génétiquement modifié, tandis qu’en Colombie la pulvérisation en masse de glyphosate par le gouvernement pour détruire les cultures de coca clandestines commence à être remise en question. »
Quel amateurisme journalistique !
Qui peut croire – à part un journaliste militant – que les grands pays producteurs renonceront aux OGM et, en l'absence de réelle alternative, au glyphosate ? Comment peut-on évoquer dans le même temps un rôle de précurseur pour le Mexique et, implicitement, pour l'Argentine et sa décision d'une importance majeure pour l'agriculture et la production alimentaire ?
Nous sommes, ici encore, victime d'un journalisme militant.