La contribution du « conventionnel » à la fertilisation du « bio »
(Source)
Il y eu récemment une discussion – en partie un dialogue de sourds – qui a dérivé sur la question de la fertilité des sols en conventionnel et bio.
L'étude à laquelle il est fait référence dans un des gazouillis ci-dessus existe en français. C'est par exemple « Quelle est l'importance des transferts d'éléments minéraux de l'agriculture conventionnelle à l'agriculture biologique »de Benjamin Nowak, Thomas Nesme, Christophe David et Sylvain Pellerin.
En voici le résumé :
« La gestion des éléments minéraux est un élément clé de la conduite des systèmes de culture biologique. Le cahier des charges européen de l'agriculture biologique interdit strictement l'utilisation des engrais de synthèse. Toutefois, il autorise l'usage de certains produits issus de l'agriculture conventionnelle. Dans cette étude, nous avons quantifié l'intensité des importations d'azote (N), de phosphore (P) et de potassium (K) provenant de l’agriculture conventionnelle pour 63 exploitations biologiques réparties dans trois régions agricoles françaises définies par leurs orientations de productions (productions végétales, productions animales ou mixte). Les entrées en provenance de l'agriculture conventionnelle correspondent respectivement à 23 %, 73 % et 53 % des importations de N, P et K. Ces entrées sont principalement expliquées par les systèmes de production des exploitations et sont positivement corrélées à la demande en fertilisants de ces exploitations. »
C'est aussi, des mêmes auteurs mais dans un ordre un peu différent, « L’Agriculture Biologique peut-elle se développer sans abandonner son principe d'écologie ? Le cas de la gestion des éléments minéraux fertilisants ».
« Le principe d'écologie, au fondement de l'Agriculture Biologique (AB), stipule que la gestion des éléments minéraux doit être fondée non pas sur le recours aux engrais de synthèse mais sur le recyclage des éléments au sein et entre fermes biologiques ainsi que sur les processus de fixation symbiotique par les légumineuses. Néanmoins, en se fondant sur le suivi de 63 fermes conduites en AB dans trois régions agricoles françaises, cet article montre que les exploitations biologiques ont recours indirectement à la fertilité héritée des engrais de synthèse. Ce recours se fait (i) soit par l'importation dans les fermes biologiques de produits élaborés par l'agriculture conventionnelle (sous forme d'engrais ou d'amendements organiques principalement), avec 23% de l'azote et 73% du phosphore entrants dans les fermes AB provenant de fermes conventionnelles, (ii) soit par l'utilisation des éléments minéraux accumulés dans les sols avant la conversion vers l'AB, avec environ 70% du phosphore des produits biologiques ayant de ce fait une origine anthropique. Ces éléments questionnent la tension existant entre développement de l'AB et respect du principe d'écologie. Des éléments de solution existent cependant, tel que le maintien de la diversité des productions agricoles à l'échelle du territoire, qui est susceptible de favoriser les processus de recyclage entre exploitations biologiques. »
La question posée est judicieuse, quoiqu'il y ait à redire sur l'allégué « principe d'écologie » (c'est de la poudre aux yeux).
Nous émettrons un bémol à propos de la dernière phrase. Les faits – la loi de Liebig – sont têtus.
Les chiffres cités dans l'étude susmentionnée sont évidemment indicatifs, en ce qu'ils résultent de l'analyse des exploitations incluses dans l'étude. Mais la leçon est sans appel : les exploitations en mode biologique sont, au moins en moyenne, fortement dépendantes des exploitations en conventionnel pour leur approvisionnement en éléments fertilisants et, surtout pour le phosphore, au moins pour un certain temps, des apports « historiques » de l'époque où on avait la main lourde.
Le chapô de l'article de Pleinchamp, « La bio vit-elle sur les réserves chimiques des Trente Glorieuses ? » :
« La "végétalisation" de l’agriculture biologique, qui la prive des apports des effluents d’élevage, entame la teneur du sol en phosphore disponible, au point d’altérer la fertilité des sols et les rendements. Problème : en bio, le phosphore, c’est du temps et de l’argent. »
Un propos de M. Régis Helias, ingénieur et animateur en agriculture biologique chez Arvalis en Occitanie :
« Le problème, c'est que l'agriculture bio se développe de plus en plus sans composante élevage, ce qui la prive des apports d'effluents. En 2011, 66 % des exploitations en agriculture biologique étaient dépourvues d'élevage. Bio ou pas bio, l'agriculture bénéficie encore aujourd'hui des apports massifs des Trente Glorieuses et continue de vivre sur ce stock de phosphore et de potassium. Mais un jour, je ne sais pas quand, ça va craquer ici ou là. »
Sauf que l'agriculture conventionnelle peut recourir aux engrais de synthèse ou transformés chimiquement pour être plus facilement assimilables (jusqu'à épuisement des mines ou innovation technologique permettant de se procurer les éléments à partir d'une autre source).
Il ne sert à rien de faire du jésuitisme – comme ci-dessous : l'agriculture biologique utilise des engrais minéraux de synthèse ou transformés par voie chimique après un « blanchiment » pour les rendre conformes à un cahier des charges de nature idéologique.
(Source)
M. Christophe Boizard a raison de prôner une mise à jour de l'étude du quatuor susmentionné. Ce qui serait surtout intéressant, c'est de voir si les ambitions européennes – 25 % de la SAU en agriculture biologique, soit en gros le quadruple de la surface actuelle – sont réalistes du point de vue de la fertilisation.
Mon petit doigt me dit que non.