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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

L'équation qui régit toute l'agriculture

1 Janvier 2021 , Rédigé par Seppi Publié dans #Divers

L'équation qui régit toute l'agriculture

 

Denis Beauchamp et d'autres

 

 

(Source)

 

 

M. Denis Beauchamp, alias GrainHedger sur Twitter et président de FranceAgritwittos a produit un fil passionnant que nous reproduisons ci-dessous avec quelques adaptations pour en faire un billet et des compléments apportés par d'autres gazouilleurs.

 

 

Connaissez-vous l’équation qui régit toute l'agriculture ?

 

Elle est issue d’un constat très simple : la réussite d'une politique agricole dépend TOUJOURS de trois facteurs (l’ordre n’a pas d’importance). Les voici :

 

  • Elle doit être durable pour le producteur : si l’agriculteur ne vit pas de son métier, ce n’est pas un modèle d’avenir.

 

  • Elle doit capable de fournir de la nourriture de qualité, en abondance et abordable : si on souffre de pénurie tous les ans, ou si la nourriture est hors de prix, ce n’est pas viable à long terme.

 

  • Elle doit être durable du point de vue environnemental : une agriculture qui détruit le milieu dans lequel elle s’exerce n’ira pas loin.

 

En clair :

 

  • On peut avoir une agriculture qui a zéro impact, mais elle ne nourrira personne.

 

  • On peut avoir une agriculture hyper-productive, mais qui détruit tout, mais ça n’ira pas non plus.

 

  • On peut avoir une agriculture haut de gamme, mais qui ne fait vivre que 20 % des producteurs [ma note : et ne nourrit que x % de la population, alors que nous avons sans doute quelque 8 millions de personnes qui recourent à un moment ou un autre à l'aide alimentaire].

 

Les trois points sont totalement liés : à progrès agronomique égal, quand on touche le curseur de l’un, on fait mécaniquement et obligatoirement bouger les deux autres.

 

J'insiste, il faut en être conscient : on n’a rien sans rien et l’équilibre est très fragile.

 

Une politique agricole qui oublie un ou plusieurs de ces paramètres n’a aucune chance d’être durable.

 

Et aujourd’hui, à travers les différentes consultations, on est en pleine réflexion sur le futur de notre agriculture avec #DebatImPACtons, @DebatImPACtons et le @CNDPDebatPublic.

 

 

Alors quel est le constat à ce jour ?

 

Sachant que les besoins en nourriture ne vont pas aller en se réduisant au niveau mondial, que les attentes de la société sont de plus en plus fortes pour minimiser l’impact de l’agriculture, mais que le pouvoir d’achat n’est pas extensible ?

 

  • ⚠️Sur le point 1, la rentabilité, cela a été le cas, mais l’est de moins en moins et même plus du tout pour de larges secteurs.

 

  • Sur le point 2, la production alimentaire, pas de doute, l’objectif est atteint : jamais le prix de la nourriture n’aura aussi peu pesé dans le panier des Français.

 

  • Sur le point 3, l’environnement, il faut être honnête : même s’il y a encore du boulot, les progrès sont incontestables et cela va vraiment dans le bon sens.

 

 

Alors qu’est-ce qui cloche ?

 

Deux choses principalement, à mon sens :

 

1.  D'abord la perception pour le consommateur, qui est loin de savoir quelles ont étés les évolutions de l’agriculture ces 20 dernières années.

 

Il faut l’expliquer, chiffres à l’appui : oui, la pollution des rivières recule. Oui, les algues vertes aussi reculent. Oui, on sait mesurer avec une précision inconnue il y a 10 ans la moindre trace de tout ce qu’on veut dans notre nourriture. Et c'est suivi de TRÈS près.

 

Oui, on utilise de moins en moins de produits phytos problématiques. Oui, on utilise de plus en plus de produits de biocontrôle (substances d'origine naturelle, insectes qui luttent contre les ravageurs, etc.). Tout cela prend du temps, mais on est sur le bon chemin.

 

2.  Ensuite la rentabilité pour le producteur. Alors oui, le mot « rentabilité » est volontaire : les exploitations agricoles sont des entreprises qui doivent être rentables pour durer dans le temps, comme celle où vous travaillez.

 

Et ce n’est pas sale de vouloir gagner de l’argent.

 

 

Pour ce dernier point, il n’y a pas de formule magique.

 

Soit le producteur parvient à sortir un produit pas cher, et pour cela il faut des installations mécanisées et automatisées (en gros des fermes-usines, pour faire simple) [ma note : expression très simple et imagée, au risque de susciter une incompréhension].

 

Soit le producteur parvient à tirer un revenu autre qu'issu de la production pure (méthanisation, paiements pour services environnementaux rendus, diversification), mais à ce compte-là on valide le fait que produire en France n’est pas rentable. Il n'est pas sûr que ce soit prudent à long terme.

 

Soit la PAC sert à compenser l’écart entre ce qu’est prêt à payer le consommateur et le coût de production de ce qu’il demande : ce serait la solution de facilité.

 

 

Je ne crois pas à l’argent magique.

 

Chaque activité DOIT être rentable par elle-même, et les attentes sociétales doivent être cohérentes avec les dépenses alimentaires.

 

En clair, la société ne peut pas exiger la fin des pesticides et de l’élevage « industriel », et en même temps chercher à acheter toujours le moins cher, à courir les promotions et les fast-food, et à acheter à l'étranger ce qu'il est impossible de produire en France à coût réduit.

 

Si le pouvoir d’achat ne permet pas de financer la réalisation de ses attentes, alors la société ne peut pas demander à l'agriculture plus que ce qu’elle peut payer.

 

 

C’est cruel, mais c'est ainsi.

 

On rêverait tous de vivre dans un pays rempli de gens très riches qui auraient un gros niveau de vie pour s'acheter des super produits de luxe, mais la réalité est différente.

 

Il est là le cœur du malaise pour moi : d'un côté des attentes sociétales de haut niveau, avec de l'autre côté des dépenses au ras des pâquerettes.

 

Et ça ce n’est pas, et ne sera jamais compatible.

 

Cela crée en revanche beaucoup de rancœur côté agricole, ainsi qu'un sentiment d’injustice et d’hypocrisie qui est très violent à vivre au quotidien.

 

Les agriculteurs produiront toujours ce que vous consommez, ce ne sera jamais l’inverse.

 

Les agriculteurs écoutent la société et ses attentes, mais la réalité des attentes sociétales, c'est ce que la société achète, pas ce qu'elle dit vouloir acheter.

 

Alors n'en voulez pas aux agriculteurs de produire ce que vous achetez, et au contraire, n’hésitez pas à venir les voir en vrai ou à les interpeller, vous serez surpris des progrès qu’ils ont déjà faits. Il y a forcément un @Fragritwittos près de chez vous !

 

 

° o 0 o °

 

 

Deep D. a écrit :

 

« Un paramètre majeur manque à votre raisonnement et va s'imposer à nous tous : le réchauffement climatique. L'agriculture, énorme contributeur, doit limiter au maximum ses émissions, sinon plus de rentabilité, d'abondance ou de durabilité possibles. »

 

C'est là une opinion largement répandue, qui fait partie des paramètres du débat société-agriculture.

 

Le réchauffement climatique est sans nul doute un facteur à prendre en compte. L'agriculture et les agriculteurs sont tout à fait capables de s'adapter – la résilience récente de la production agricole en témoigne – mais cela pose aussi une question sociétale, s'agissant notamment de l'irrigation.

 

 

(Source)

 

 

S'agissant des gaz à effet de serre, il y a maldonne dans l'opinion publique (et en partie scientifique et politique). L'agriculture est essentiellement engagée dans des cycles et peut même avoir un effet de « déréchauffement » par stockage de carbone dans le sol (voir l'initiative 4 pour mille).

 

M. Denis Beauchamp a écrit :

 

« C’est un paramètre qui va jouer sur la production, mais qui ne va pas impacter que l’agriculture. En sachant que l’agriculture a la capacité d'absorber des émissions de CO2, y compris une partie de celles des autres secteurs. C’est un cas assez unique dont il faudra tirer parti. »

 

 

° o 0 o °

 

 

Loup vagabond a écrit :

 

« Tout à fait d'accord sur les trois facteurs, mais dommage de considérer que la société est constituée d'un seul type de consommateurs. C'est aussi dommageable que ceux qui mettent tous les agris dans le même panier. »

 

C'est resté sans réponse sur Twitter. En réalité, les explications de M. Denis Beauchamp ne sont pas fondée sur un stéréotype, côté consommateurs. Elles sont valables pour toutes les catégories de consommateurs, les curseurs changeant le cas échéant de position.

 

 

° o 0 o °

 

 

M. Romain Collaire a écrit :

 

« Problème très bien posé ! Vous éludez rapidement la rétribution pour services rendus à notre écosystème mais ce n'est pas une mauvaise piste. L'agriculture par ses pratiques peut valoriser à long terme nos terroirs, cela peut mériter une rétribution. »

 

M. Denis Beauchamp a répondu :

 

« La rétribution pour services rendus est une très bonne chose, mais (selon moi) doit rester un truc "en plus" et ne pas se substituer à l’activité principale, sous peine de transformer les campagnes en musée... »

 

Ce n'est pas que « selon [lui] ». Les aides PAC sont du reste, en partie, une rétribution pour services rendus... et on connaît l'âpreté des discussions sur leurs montants et leur répartition.

 

Oh ! Et pour les grincheux : d'une part, les aides PAC, c'est peanuts rapporté au budget des ménages. Et, d'autre part, M. Haegelen Jean-Luc a répondu à un commentaire :

 

« Si vous parlez des primes et des aides, ce ne sont pas les céréaliers qui touchent le plus mais les agriculteurs qui travaillent en zone défavorisée, les agriculteurs de montagne par exemple. »

 

La discussion s'est poursuivie :

 

M. Romain Collaire :

 

« Et quid des marges des intermédiaires en circuit long ? Une optimisation logistique des circuits courts ne permettrait-elle pas de redonner une part de la marge au producteur et du pouvoir d'achat au consommateur ? »

 

M. Denis Beauchamp :

 

« Je ne suis pas sûr que la logistique soit le poste le plus coûteux. Une meilleure répartition de la valeur ajoutée, par contre, oui c’est important. Mais il est important aussi de sécuriser la création de valeur avant de la répartir. »

 

Cet échange illustre les problèmes de perception des circuits « longs » et « courts », et il serait utile de produire quelques études sur les réalités, tant au niveau des coûts que des opportunités. Il est clair que les enseignes de distribution optimisent leurs coûts... et cela profite au pouvoir d'achat du consommateur.

 

Les choses vont-elles changer avec la crise de la Covid, les confinements et le déploiement des ventes par Internet ? L'avenir le dira. Mais il n'y a pas de place pour tout le monde dans les circuits courts. Et il faudra encore des Denis Beauchamp pour gérer les stocks des céréales, livrées à la coopérative par des agriculteurs, dont une partie sert à faire notre pain.

 

 

° o 0 o °

 

 

Pour terminer ce billet – sans épuiser le sujet, loin de là – Nicolas écrit (c'est regroupé ici) :

 

« Merci pour ce thread instructif ! Il y a juste un point que je ne trouve pas aussi évident que ça. Si on demande des produits plus qualitatifs, logique que le consommateur accepte de payer plus cher, c'est lui qui en bénéficie.

 

Mais les agris qui font des efforts pour protéger l'environnement, c'est toute la société qui en profite. Il me semble alors parfaitement légitime que la société dans son ensemble contribue à la rémunération de ces services.

 

En caricaturant un peu, on pourrait dire que celui qui achète de la nourriture importée profite d'un environnement propre grâce à vos efforts sans y contribuer... sauf s'il y a un système de compensation sur fonds publics, PAC ou autre.

 

Mon impression est que le niveau qualitatif est déjà élevé en France, et que les efforts supplémentaires que la société demande actuellement sont plutôt de l'ordre du systémique, environnemental, climat. Demande plus sociétale que consommateur.

 

La société peut orienter la production via la consommation mais aussi via les politiques publiques. Ces dernières semblent plus indiquées pour traiter les questions systémiques, sinon on ne fait peser l'effort que sur celui qui consomme français et rien sur la consommation importée. »

 

M. Denis Beauchamp a répondu sur le premier point :

 

« C'est logique en effet. Mais ce n'est pas toujours vrai... »

 

Et, plus loin :

 

« Oui mais la société, c'est elle qui consomme et qui oriente les productions. »

 

Cet échange illustre en partie le problème du lien société-agriculture. Oui, on peut penser que... Oui, dans les sondages (surtout s'ils sont bien formulés...), on peut dire que... Mais au moment de mettre un produit dans le panier, ce n'est pas forcément les bonnes intentions qui priment, mais le porte-monnaie.

 

Et n'oublions pas... si la France est (encore) riche, pour beaucoup de Français la fin du mois commence à la mi-mois. Nos agriculteurs doivent aussi les nourrir. Et ils le font.

 

Mais notons avec plaisir que Nicolas fait partie de ceux qui ont une image positive de l'agriculture française mais qui, malheureusement, ne s'expriment pas assez souvent ou – tout comme les @Fragritwittos – ne sont pas suffisamment « convoqués » par les médias.

 

 

° o 0 o °

 

 

Sans rapport direct, mais tellement apprécié :

 

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