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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Glyphosate, ANSES, CIRC et journalisme d'insinuation

30 Janvier 2021 , Rédigé par Seppi Publié dans #critique de l'information, #Activisme, #Glyphosate (Roundup), #CIRC

Glyphosate, ANSES, CIRC et journalisme d'insinuation

 

 

 

 

Le Jour de l'An 2021 (date sur la toile), le Monde, pages Planète, évidemment, et sous la signature de M. Stéphane Foucart, évidemment, a publié « Cancer et glyphosate : le complément d’expertise de l’Anses n’aura pas lieu ».

 

En chapô :

 

« Donneuse d’ordre d’une étude sur l’herbicide controversé, l’agence française a exigé du Centre international de recherche sur le cancer qu’il collabore avec les industriels, ce que celui-ci a refusé. »

 

Admirez le verbe à l'indicatif... et le choix du verbe lui-même.

 

 

Rappels sur une saga peu glorieuse

 

Les quatre cinquièmes de l'article sont du réchauffé, mais il était sans doute utile de rappeler une partie de l'historique. Faisons-le aussi.

 

L'autorisation de la matière active glyphosate doit être renouvelée (ou non) d'ici décembre 2022 au niveau européen. Compte tenu de l'explosivité médiatique et politique du dossier, son examen préparatoire a été confié à un consortium de deux « États membres rapporteurs » – la France pour le volet environnemental et les Pays-Bas pour le volet sanitaire – et deux « États membres co-rapporteurs », la Hongrie et la Suède. Notons que les rapporteurs évaluent le dossier fourni par les pétitionnaires et ne procèdent pas à des études en propre.

 

Vous penserez peut-être que la France est affligée d'un conflit d'intérêts, son Président étant déterminé à faire la peau au glyphosate pour des raisons politiciennes (quoique... « en même temps... », les réalités sont têtues...). La bien-pensance qui veut aussi la peau du glyphosate pensera que vous êtes mal-pensant...

 

Dans un avis publié le 22 juillet 2019, l'Agence Nationale de Sécurité Sanitaire de l'Alimentation, de l'Environnement et du Travail (ANSES) a annoncé le lancement d'un appel d'offres pour la réalisation d’études complémentaires sur le potentiel cancérogène du glyphosate, qui devaient permettre « d’étudier les éventuels mécanismes d’action cancérogène du glyphosate et d’évaluer leur pertinence pour l’Homme ».

 

Si vous pensez qu'il s'agissait d'une initiative de l'ANSES, vous avez tort... Selon le cahier des charges, l'ANSES « a été saisie le 28 mars 2018 par le ministre de la Transition écologique et solidaire, la ministre des Solidarités et de la Santé et le ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation ».

 

Si vous pensez qu'il y a un petit souci quand une agence, certes indépendante, doit, d'une part, contribuer à un projet politique sur injonction de trois ministres et, d'autre part, contribuer à une évaluation impartiale de la matière active incriminée dans le projet politique... bref, un conflit d'intérêts... la bien-pensance pensera que vous êtes mal-pensant.

 

Le 30 avril 2020, l'ANSES annonçait les équipes retenues :

 

« - le consortium coordonné par l’Institut Pasteur de Lille (Institut Pasteur de Lille, CEA, Université de Lille, Inserm (Institut NuMeCan), Université de Toulouse, ARPAE (Agency for Prevention, Environment and Energy, Italie), LABERCA), dont le programme couvre l’ensemble du cahier des charges,

 

le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), qui propose une étude originale visant à explorer d’éventuels effets génotoxiques du glyphosate suite à une exposition de longue durée de cultures cellulaires. »

 

Mais la procédure a été, pour le dire crûment, foireuse.

 

 

Le consortium principal jette l'éponge

 

C'est le Monde, pages Planète, évidemment, et sous la signature de M. Stéphane Foucart, évidemment, mais aussi Mme Stéphane Horel, évidemment, qui a dévoilé le problème avec « Glyphosate : la déontologie de l’Anses mise en cause » du 16 juin 2020 (date sur la toile).

 

En chapô :

 

« Un collectif de lanceurs d’alerte critique les conditions d’attribution d’une étude clé sur le potentiel cancérogène du glyphosate, dans le cadre de sa réévaluation européenne. »

 

En bref, le consortium retenu était dirigé notamment par le président du groupe d’expertise collective d’urgence (GECU) de l’ANSES qui a établi le cahier des charges. La bien-pensance a bien sûr crié au conflit d'intérêts, et ce, avec raison.

 

Du reste l'article est assez hilarant (mais on peut le prendre autrement) :

 

« Un collectif de lanceurs d’alerte a adressé au Monde un document technique accablant d’une dizaine de pages. Ces scientifiques, que Le Monde a pu identifier mais qui ont requis l’anonymat, mettent sévèrement en cause le projet retenu […] Les intéressés précisent être contraints à une démarche d’alerte publique anonyme, afin, disent-ils, de ne pas être exposés à "des pressions, des effets négatifs sur leurs carrières, des représailles". »

 

Quelle théâtralité dans la mise en scène d'un risque allégué de victimisation... pour des gorges profondes qui ont été faciles à identifier. Mais combien de lecteurs du Monde s'apercevront-ils de l'arnaque ?

 

Toujours est-il que le consortium a – sagement au vu des controverses – jeté l'éponge. L'ANSES l'a annoncé le 23 juillet 2020. Elle écrit :

 

« La sélection de certaines équipes ayant fait l’objet de critiques, l’Agence annonce ce jour le retrait du consortium de sept laboratoires sélectionné en avril dernier, les conditions de sérénité et de confiance nécessaires à la prise en compte de ces études lors de la réévaluation européenne du glyphosate en 2022 n’étant plus réunies. De ce fait, l’Agence financera uniquement l’étude originale proposée par le CIRC.* »

 

 

Le CIRC renonce également

 

Un astérisque ? Un renvoi à la note suivante, ajoutée apparemment en décembre 2020 :

 

« * En octobre 2020, le CIRC a fait part à l’Anses de sa décision de retirer son programme d’étude sur la toxicité du glyphosate afin de se recentrer sur de nouvelles priorités de recherche. »

 

Le procédé, de la part de l'ANSES, est plutôt cavalier. Et M. Stéphane Foucart a eu entièrement raison d'évoquer une « singulière discrétion ».

 

Le Monde écrit au sujet de ce retrait :

 

« Sollicitée, l’Anses n’est pas en mesure de répondre aux questions du Monde et renvoie à l’audition de son directeur général, Roger Genet, par les parlementaires de la mission d’information sur le suivi de la stratégie de sortie du glyphosate. "J’ai le regret de vous annoncer que le CIRC (...) nous a écrit début octobre pour nous indiquer qu’il renonçait", a déclaré M. Genet au cours de son audition du 27 octobre.

 

"La directrice générale du CIRC m’a indiqué que, dans le cadre de leur nouveau plan stratégique 2021-2025, le choix du CIRC a été de se reconcentrer sur des études épidémiologiques, de faire des choix et finalement de renoncer à conduire un certain nombre de travaux qui étaient plus des travaux in vitro, sur des cultures cellulaires, a-t-il poursuivi. Elle m’a donc adressé un courrier final le 23 octobre pour m’indiquer que, compte tenu de ces réorientations des priorités scientifiques, le CIRC préférait renoncer aux travaux pour lesquels il avait soumis un projet.»

 

Jusque là, nous avons été dans le factuel, tout comme, à sa manière, l'article du Monde.

 

À sa manière... « ...l’Anses n’est pas en mesure de répondre... », mais renvoie à des indications détaillées... reproduites dans l'article...

 

 

Le conditionnel et autres procédés d'insinuation

 

Mais il y a plus, en fait : voici ce qui devrait être la vraie information (c'est nous qui graissons) :

 

« Mais en septembre 2020, l’Anses aurait requis du CIRC qu’il collabore avec les sociétés commercialisant des produits à base de glyphosate, réunis au sein du Glyphosate Renewal Group (GRG), qui réunit des firmes comme Bayer, Syngenta, Nufarm, etc. "L’Anses a formulé deux requêtes, assure-t-on au CIRC. Le glyphosate qui sera testé dans l’étude du CIRC devra provenir du GRG et le protocole utilisé devra être transmis à ce dernier."

 

[…]

 

Ces deux conditions ont été jugées "inacceptables", selon le CIRC, et "la décision de se retirer du projet a été communiquée à l’Anses le 2 octobre". Trois jours plus tard, raconte-t-on à l’agence onusienne, l’Anses faisait machine arrière et se disait finalement prête à financer l’étude aux conditions du CIRC, sans implication des industriels et sans partage du protocole de recherche. Trop tard. »

 

Après le « ...l’Anses n’est pas en mesure de répondre aux questions du Monde et renvoie... » – c'est-à-dire une réponse, certes laconique, aux questions – nous voilà en plein dans le journalisme d'insinuation et le raclage de caniveaux.

 

Mais cela appelle toutefois deux observations.

 

D'une part, la version « Roger Genet » n'est pas forcément incompatible avec la version « CIRC ». Mais la première bénéficie de la crédibilité de propos tenus dans une audition parlementaire par un fonctionnaire de haut niveau, et l'autre souffre du conditionnel et d'autres techniques de relativisation et, en outre, de l'anonymat des sources.

 

 

Le CIRC s'obstine pour son classement et se défile

 

D'autre part, on ne peut que s'étonner de l'attitude du CIRC. Se procurer la matière première auprès d'une source crédible et partager le protocole avec l'industrie seraient « inacceptables » ?

 

On pourrait, voire devrait, remercier le Monde d'avoir mis en lumière – encore une fois – l'incroyable hostilité du CIRC envers l'industrie.

 

Pour sûr, si elle avait été réalisée et, surtout, menée dans les règles de l'art, l'étude aurait pu avoir un effet dévastateur : invalider le classement du glyphosate en « cancérogène probable » que le CIRC s'obstine à maintenir malgré les démonstrations de sa fausseté et des escroqueries qui le sous-tendent.

 

En définitive, le CIRC aura cherché un prétexte bien futile pour se désengager de l'étude envisagée.

 

Prétexte ?

 

« "Une évaluation du glyphosate ayant déjà eu lieu et restant valide à ce jour, il nous a semblé préférable de ne pas prendre part à ce projet sur la génotoxicité en France", conclut-on au CIRC. »

 

Là, on n'est plus dans le dissensus – pourtant levé selon l'article du Monde par un revirement allégué de l'ANSES – mais dans l'opportunisme et le refus.

 

 

Et le Monde reste fidèle à ses partis pris

 

Ce n'est pas ce qu'aura retenu le Monde – si prompt à dénoncer les turpitudes réelles ou alléguées de l'industrie et des agences qui ne pensent pas comme lui. Son article s'emploie à présenter le CIRC sous un jour favorable.

 

En témoigne aussi sa phrase finale, le refus de l'auteur de prendre acte de l'isolement du CIRC, dont le classement est/serait contesté par les (seules) agences réglementaires américaines et européennes.

 

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L
la vraie question est celle de la légitimité à interdire... à partir du moment où les gens estiment qu'ils ont le droit d'interdire à une personne de faire ce qu'il veut chez lui sans apporter la démonstration d'une nuisance.. significative...le combat est potentiellement perdu ..
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H
Les chinois doivent bien rigoler devant les absurdités occidentales, tous azimut d'ailleurs ! Ils sont les premiers producteurs mondiaux de glyphosate via une quarantaine de sociétés. La diabolisation absurde du glyphosate en Europe et USA leur a offert un vaste marché. Et ils ne glapissent pas d'effroi devant les pesticides et les OGM. Il est vrai qu'en Chine, tous les gens un peu âgés sont en mesure de raconter à leurs enfants ce que c'est qu'avoir faim et même d'en mourir. La mémoire des souffrances passées aide à apprécier le progrès. Et malheureusement, les européens sont devenus amnésiques.
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M
Un sujet sur lequel Foucart ne parleras surement pas mais qui cause surement plus de dégâts sur l'environnement et la santé que le glyphosate, les SDHI et les néonicotinoïde. La pollution lumineuse.<br /> https://www.youtube.com/watch?v=tYNcsPkzJVw<br /> La vidéo est bien, mais comme le sujet n'est pas une critique de l'agriculture conventionnelle, il n’intéresse pas les lobbyistes et idiot utiles du bio-business.
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