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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Éleveur de porcs en grande détresse : les charognes sont médiatiquement appétissantes

28 Janvier 2021 , Rédigé par Seppi Publié dans #élevage, #Activisme, #critique de l'information

Éleveur de porcs en grande détresse : les charognes sont médiatiquement appétissantes

 

 

Non, il n'y aura pas d'image

 

 

Le timing est essentiel !

 

L'Assemblée Nationale a à son ordre du jour du mardi 26 janvier 2021 et de deux jours suivants l'examen – en procédure accélérée, s'il vous plaît – de la proposition de loi sur la maltraitance animale, déposée par Mme Laëtitia Romeiro Dias, M. Loïc Dombreval, M. Dimitri Houbron – nommés rapporteurs – et une flopée de co-signataires.

 

Ce texte – pur produit de la dysenterie législative – ajoute une couche supplémentaire à la sur-administration de notre pauvre État. Ses objectifs : la lutte contre la maltraitance des animaux de compagnie et des équidés (y compris la... zoopornographie) et leur abandon, la fin des animaux sauvages de cirques ambulants et de delphinariums (y compris la fin de l'activité des... montreurs d'ours), l'interdiction de l'élevage des visons (que d'aucuns cherchent à étendre à tous les animaux à fourrure).

 

Selon l'article premier,

 

« Un certificat de sensibilisation dont le contenu et les modalités de délivrance sont définis par décret est mis en place pour tout nouvel acquéreur d’animal de compagnie. »

 

Après passage en commission, c'est devenu en partie :

 

« À cette fin, tout particulier qui acquiert pour la première fois un animal de compagnie ou un équidé signe un certificat de connaissance des besoins spécifiques de l’espèce, dont le contenu et les modalités de délivrance sont fixés par décret. »

 

Extasions-nous aussi devant cet élément de l'article 3, de nature à rendre notre législation infiniment plus intelligible (rappel : nul n'est censé ignorer la loi) :

 

« À la première phrase du premier alinéa du I, les mots "la fourrière" sont remplacés par les mots "un établissement mentionné à l’article L. 211 24" ».

 

 

Agence de presse ou de communication ?

 

Pour une association de droit alsaco-mosellan avec une succursale loi 1901 (ce qui permet de bénéficier des avantages des deux législations), censée œuvrer pour l'amélioration de la condition animale mais militant pour le véganisme, il était important de « planter le décor » pour le débat parlementaire, même s'il ne porte pas sur l'élevage, et faire monter l'indignation.

 

L'Agence France Presse (AFP) s'est complaisamment mise à disposition pour le succès de la manœuvre en publiant une dépêche.

 

La gesticulation médiatique de L214 est tombée le 25 janvier 2021. Le même jour, de nombreux médias se sont complaisamment mis... (bis). Beaucoup ont complaisamment mis un lien vers la vidéo visible uniquement sur Youtube par le fait d'une belle tartufferie.

 

On peut, certes, considérer que la mise en ligne d'images insoutenables et d'un texte qui ne l'est pas moins constitue un élément d'information qui entre dans la mission de l'AFP et des médias. Certes... Mais leur rôle ne serait-il pas, alors, de vérifier l'information et, le cas échéant, de la contextualiser ?

 

Que faut-il conclure lorsque L214 et les médias publient le même jour ? Que le Monde poste son article à 1h18, apparemment une heure après la mise en ligne de L214, selon le moteur de recherche ? L'AFP a manifestement contribué à une opération de communication.

 

 

Le récidivisme dans le manque de prudence

 

Rappelons que dans une affaire précédente plutôt récente, l'« information » s'était révélé infondée, voire malveillante à l'égard d'un grand producteur de charcuterie.

 

Dans le cas présent, la communication de L214 joue sur l'ambiguïté. « [L]'élevage a été fermé » est-il dit, en quelque sorte en passant, mais :

 

« Ni les services vétérinaires du département, ni la Cooperl n’ont été capables d’identifier les défaillances de l’éleveur et encore moins de pallier ses carences.

 

Comment est-il possible de ne pas remarquer que l'éleveur ne livre plus de cochons à l’abattoir en provenance de cet élevage ? Comment le vétérinaire chargé du suivi de l’élevage au nom du groupement a-t-il pu passer à côté de la situation catastrophique de cet élevage ? »

 

La réponse est – et est facilement disponible : l'élevage a été fermé à la demande du vétérinaire (voir ci-dessous). Mais à l'évidence, l'information factuelle donnée par la Cooperl n'a pas déclenché un réflexe de suspicion chez le journaliste de l'AFP confronté aux effets de manche de L214.

 

 

La démesure dans le sensationnalisme

 

Prenons-le du Monde, évidemment Planète : « "Une vision d’horreur" : l’association L214 diffuse des images de cochons en putréfaction dans un élevage à l’abandon ». En chapô :

 

« Les faits se seraient produits entre août et décembre 2020 dans un élevage des Côtes-d’Armor. L’association de défense des animaux va porter plainte pour cruauté et abandon d’animaux. »

 

Reconnaissons au Monde l'immense présence d'esprit qui l'a amené à préciser dans son titre « à l'abandon ».

 

Nombreux sont les médias à avoir omis la précision. Insistons lourdement : ils ont donc incité les lecteurs à croire que les faits ont été constatés dans un élevage en activité.

 

Ainsi, premiers sur la liste de résultats de ma recherche, RTL ose un « L'association L214 révèle des images "insoutenables" de cochons en élevage », et Paris Match, « Des cadavres de cochons putréfiés : nouvelle vidéo de L214 dans un élevage des Côtes-d’Armor ».

 

 

D'emblée la coopérative est associée à l'affaire

 

Le Monde écrit :

 

« L’association de défense des animaux L214 a diffusé, lundi 25 janvier, une vidéo de cochons en putréfaction prise dans un élevage des Côtes-d’Armor, des "images insoutenables" a reconnu la Cooperl, coopérative agricole à laquelle l’éleveur est adhérent.

 

"Une vision d’horreur", décrit L214 dans un communiqué de presse. "Sur le sol d’une des salles gisent une vingtaine de cadavres. Dans d’autres salles, d’autres corps, parfois presque à l’état de squelette, sont grignotés par les rats. Une brouette pleine d’ossements traîne dans l’exploitation." Selon l’association, les faits se sont produits entre août et décembre 2020 et les corps étaient encore "éparpillés dans l’élevage", le 13 janvier. »

 

Images censées prises le 13 janvier 2021... diffusées la veille du débat parlementaire...

 

 

Un naufrage personnel instrumentalisé pour faire le buzz

 

Il faut lire tout le texte pour comprendre. Le Monde écrit en conclusion, sans nul doute sur la base du texte de l'AFP (repris aussi par RTL) :

 

« La Cooperl, qui a réalisé 2,4 milliards d’euros de chiffres d’affaires en 2019, évoque "la fragilité morale et financière de l’éleveur, dont la société est placée en redressement judiciaire". »

 

Que vient faire le chiffre d'affaires de la Cooperl ici (il a été omis par Paris Match) ? C'est une sorte de sophisme du déshonneur.

 

Par ailleurs, selon un vétérinaire cité par la Cooperl (probablement celui missionné par la Direction Départementale de la Protection des Populations), les porcs seraient morts il y a environ huit mois. Cela correspond à l'époque où, toujours selon la Cooperl, « ce site d’engraissement a été "fermé physiquement" fin mai 2020 "par l’éleveur à la demande de son vétérinaire" ».

 

L'affaire peut donc se résumer ainsi : un éleveur en difficultés financières ferme son élevage sur ordre et, désemparé, laisse des porcs mourir par étouffement (manque d'aération). L'élevage ayant été « physiquement fermé », personne ne s'est préoccupé de ce qui y avait pu s'y passer. Une gorge profonde a averti L214 qui s'est livré à une intrusion dans la porcherie fermée, de manière délictueuse (un délit qui n'a pas effrayé l'AFP et les médias...).

 

Et les charognes ont été exploitées pour faire avancer des fonds de commerce.

 

 

Ne pas oublier : l'« élevage intensif »

 

Relevons encore cet « exploit » journalistique de l'AFP, pris du Monde qui a télescopé les deux phrases (c'est dans deux paragraphes sur RTL) :

 

« La "Cooperl continue à accompagner cet éleveur pour l’aider à quitter le métier", ajoute le communiqué. L’Assemblée nationale doit examiner à partir de mardi une proposition de loi de la majorité contre la maltraitance animale, qui n’aborde pas la question de l’élevage intensif. »

 

Quel est le lien entre les deux propositions ? L'auteur de la dépêche a-t-il voulu insidieusement incriminer « l'élevage intensif » par un sophisme de généralisation ? Poser la question, c'est y répondre.

 

 

Pourtant, la Cooperl...

 

Le communiqué de presse de la Cooperl date du 23 janvier 2021 (elle avait été avertie de l'imminence de la vidéo par la Direction Départementale de la Protection des Populations). La Cooperl écrit :

 

« L’éleveur est propriétaire d’un autre site de naissage dans lequel sont élevés des truies et une partie des porcs ; une autre partie des porcs étant confiée à des éleveurs tiers qui nourrissent les animaux et leur apportent les soins nécessaires. Les porcs de cet éleveur ne sont commercialisés sous aucun des cahiers des charges de la coopérative. Ils font tous l’objet d’une inspection sanitaire réglementaire à l’abattoir par les services vétérinaires de l’Etat.

 

Le 4 septembre 2020, le vétérinaire a été informé par une salariée de l’élevage de la présence d’animaux en détresse sur le site de naissage.

 

Le 11 septembre 2020, le vétérinaire a exigé d’avoir accès à ce site pour constater cette réalité. L’éleveur lui a permis une visite partielle de l’élevage. Simultanément, le vétérinaire a alerté la Direction Départementale de la Protection des Populations des Côtes d’Armor sur la situation, en expliquant la fragilité morale et financière de l’éleveur, dont la société est d’ailleurs placée en redressement judiciaire depuis le 1er mai 2019.

 

Le 21 septembre 2020, la coopérative a mis l’éleveur en demeure de respecter les exigences réglementaires en vigueur sous peine d’arrêt de la commercialisation des porcs au 30 septembre 2020.

 

Le 29 septembre 2020, les équipes techniques de la coopérative ont réalisé un audit complet du site de naissage.

 

Le 30 septembre, la coopérative a mis l’éleveur en demeure une seconde fois en raison d’actions correctives jugées insuffisantes.

 

Le 27 octobre 2020, une contre visite a été réalisée par les équipes techniques de la coopérative qui ont constaté la mise en œuvre des actions correctives.

 

La dernière visite vétérinaire sur ce site de naissage date du 13 janvier 2021.

 

 

Un nouvel audit sur le site de naissage est programmé par la Cooperl ce lundi 25 janvier.

 

Compte tenu de la précarité de la situation de cet éleveur que la diffusion de la vidéo de L214 va encore accentuer, un élu MSA a été contacté ce jour par la Cooperl pour un accompagnement de l’éleveur par les services sociaux.

 

Cooperl continue à accompagner cet éleveur pour l’aider à quitter le métier, dans le cadre fixé par le mandataire judiciaire. »

 

 

L'information de l'AFP... avec un « angle »

 

Il y avait donc moyen d'écrire une toute autre histoire.

 

L'histoire d'un producteur en grande détresse. Il faut, à notre sens, manquer terriblement de compassion et de psychologie pour ne pas comprendre qu'un éleveur qui laisse mourir et abandonne ses bêtes est au bord du désespoir.

 

L'histoire, aussi, d'alertes et de la mise en œuvre d'actions correctives pour le site de naissage de cet éleveur par une salariée, le vétérinaire, les services publics et la Cooperl.

 

L'histoire de la bienveillance sociale de la Cooperl qui aide l'éleveur « à quitter le métier » (elle est évoquée de manière lapidaire dans la dépêche de l'AFP, et ce, dans un contexte discutable).

 

Mais non... les charognes, c'est médiatiquement plus appétissant...

 

 

Post scriptum

 

Le Monde met aussi en lien, pour inviter le lecteur à le lire, un article précédent, « Herta suspend son approvisionnement dans un élevage porcin mis en cause par L214 ». Article doublement dépassé : la mise en cause a été, en quelque sorte, mise en cause et Herta a repris ses relations commerciales.

 

Mais signaler la « fausse alerte » précédente aurait « cassé la barraque » pour cette nouvelle éruption de gesticulation.

 

Il fut un temps, le Monde était le journal de référence.

 

 

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M
Bonjour, il y a, c'est vrai, et il y aura des éleveurs qui sont et seront mauvais. Cela s'est toujours vu. Mes voisins, agriculteurs laitiers, étaient dans ce cas et j'ai fait intervenir la DSV pour fermer l'exploitation. C'est triste pour les animaux. Mais, de là, à en faire tout une polémique, pour un triste sire, c'est pas correct. Est ce que l'on fait autant lorsque Mme Lucet fait des reportages à charge contre les paysans, lorsque tous ces "bobs" et journaleux font de l'agribasching ? Personne ne se lève lorsque leurs informations sont fausses !
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J
En parlant de loi, y'a pas moyen de faire une loi pour "placer" les animaux d'élevage en faillite chez d'autres agriculteurs ou à l'abattoir, ou mandater les services de l'état pour s'occuper des animaux pour éviter ce genre de situation?
Répondre
H
Je ne connais pas l'élevage porcin, si ce n'est superficiellement. Par contre j'élève des caprins et je fréquente un monde d'éleveurs caprins, ovins et bovins. Si quelqu'un veut diminuer son cheptel ou fermer, il n'est pas difficile de vendre ses bêtes en lot à bas prix. Il y a des "réseaux" chez les éleveurs. Pour que personne n'en veuille, il faut un état sanitaire suspect des bêtes ou un réel problème. Ce genre de situation est assez incompréhensible d'autant, comme je le répète souvent, des bêtes négligées ou maltraitées ne prennent pas de poids et sont davantage malades et il y a bien évidemment des pertes à la mise bas et chez les jeunes. Des bêtes légères et faméliques, c'est donc perte sèche pour l'éleveur. <br /> Après, mais cela, c'est mon opinion et il peut être subjectif, je dis que lorsqu'une bête a bien vécu tout au long de sa croissance, sa viande est meilleure.