L'agriculture de conservation est un outil, pas un but
Sarah Singla*
L'importance d'un système alimentaire et agricole résilient est débattue dans le monde entier, mais que signifie exactement « résilience » ?
Pour les agriculteurs comme moi, cela signifie la difficulté de faire face à des problèmes ardus ainsi que la souplesse nécessaire pour s'adapter à des circonstances changeantes – et toujours se rappeler que le but de l'agriculture est de produire des aliments sûrs et sains.
La pandémie de Covid-19 a certainement exigé de la part des agriculteurs une certaine résilience. Pourtant, les éléments essentiels de notre travail sont restés les mêmes. Nous allons toujours dans les champs, nous semons nos cultures, nous les aidons à germer, nous les protégeons des menaces et nous les récoltons pour nous nourrir. Et nous le faisons tout en restaurant l'environnement et en étant rentables si nous voulons être des agriculteurs sur le long terme.
Nous ne pouvons rien faire de tout cela en un tournemain.
Au lieu de cela, nous nous occupons du sol à partir duquel toutes les choses poussent. Chaque agriculteur connaît l'importance vitale du sol, mais notre dépendance à son égard est plus que simplement agricole. Elle est aussi profondément humaine. C'est pourquoi il existe un lien étymologique entre « humain » et « humus », le nom de notre espèce terrestre et le nom que nous utilisons pour décrire le sol le plus riche.
La semaine dernière, nous avons reconnu ce lien en célébrant la Journée Mondiale du Sol, qui vise à attirer l'attention sur la manière dont la santé des sols améliore le bien-être de l'homme.
L'un de nos devoirs les plus fondamentaux est de lutter contre l'érosion des sols. Chaque fois que l'un de nous touche le sol, nous risquons de lui enlever quelque chose. C'est particulièrement vrai dans le cas de l'agriculture traditionnelle et du bouleversement massif provoqué par le labour, qui prépare le sol pour les semences et tue les mauvaises herbes nuisibles. Cet acte de violence peut blesser le sol, en lui enlevant son humidité et ses nutriments.
C'est pourquoi notre exploitation est passée, il y a plusieurs décennies, à un système de conservation sans labour. Nous n'avons pas labouré nos champs depuis 40 ans. Nous travaillons encore le sol, mais nous ne le déchirons plus et nous pouvons réussir à faire pousser deux récoltes par an si le temps le permet : nous commençons par le blé, que nous récoltons en juillet, puis nous passons au sorgho, que nous utilisons pour nourrir les vaches.
Un grand avantage de ce système de culture sans labour est la biodiversité. Il préserve un écosystème qui enrichit le sol.
En France, nous avions l'habitude de profiter de quatre saisons : le printemps, l'été, l'automne et l'hiver. Aujourd'hui, il semble que nous n'ayons plus que deux saisons, la saison sèche et la saison des pluies, et nous nous battons pour surmonter les deux. L'attention portée à la conservation des sols peut faire la différence entre la réussite ou l'échec économique de notre exploitation.
Dans le même temps, nous devons rester conscients du fait que l'agriculture de conservation n'est pas une fin en soi. C'est un outil et non un but. C'est un outil qui nous aide à atteindre l'objectif de la production alimentaire.
Les personnes qui ne pratiquent pas l'agriculture perdent parfois de vue ce fait important. Elles imaginent des propositions telles que le « Pacte Vert » (Green Deal) européen, qui traite les agriculteurs comme la source des problèmes environnementaux plutôt que comme les producteurs de la nourriture dont nous avons tous besoin. Elles ne pensent qu'à des interdictions : de longues listes de choses qu'ils ne veulent pas que nous fassions, comme défendre nos cultures contre les mauvaises herbes, les parasites et les maladies avec des produits de protection des plantes sûrs et fiables.
Sans ces outils, il sera beaucoup plus difficile de faire pousser nos cultures. Si elles ne sont pas protégées contre les parasites et les maladies, elles ne seront pas comestibles à cause des maladies présentes sur le grain et finiront à la poubelle. Les Européens devront importer des denrées alimentaires d'autres pays, non pas les avocats et les bananes que nous ne pouvons pas produire ici de toute façon, mais les produits de base que nous nous sommes toujours procurés.
Les médias tentent de présenter les pratiques ordinaires de l'agriculture traditionnelle comme étant nuisibles. Si vous ne regardez que ce genre d'émissions de télévision, vous commencerez peut-être à croire au conte de fées selon lequel nous pouvons nourrir le monde avec de petites fermes gérées par des familles heureuses qui passent la plupart de leur temps à observer les oiseaux.
C'est absurde. Les agriculteurs sont des innovateurs du XXIe siècle qui appliquent des technologies étonnantes aux défis de notre époque. Il s'agit notamment des dernières techniques de conservation des sols ainsi que des semences de pointe qui nous aident à faire face au changement climatique.
Nous faisons tout cela parce que nous sommes résilients et que nous savons que notre travail d'agriculteur consiste à continuer à produire de la nourriture, même dans les circonstances les plus difficiles.
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* Sarah Singla, agricultrice, France
Sarah Singla produit du blé, du triticale de semences, du colza, de la luzerne, du pois d'hiver et de nombreuses cultures de couverture dans une ferme familiale du sud de la France. Sarah est une boursière Nuffield et membre du Réseau Mondial d'Agriculteurs (Global Farmer Network).
Source : Conservation Agriculture is a Tool, Not a Goal – Global Farmer Network