Encore de l'anxiogenèse dans le Monde de M... à propos du bixafen, un fongicide SDHI
Le CNRS Île-de-France Villejuif participe à la gesticulation militante anti-SHDI. Où est la nocivité environnementale lorsque les essais ont utilisé pour dose la plus basse dans l'eau l'équivalent de trois litres de produit commercial dans une piscine olympique ? (Source)
Le 21 novembre (date sur la toile), le Monde Planète... de M. Stéphane Foucart nous gratifiait d'« Un pesticide SDHI épinglé pour ses effets sur le développement cérébral » délicieusement faux-cul.
En chapô :
« Selon des travaux publiés dans la revue "Chemosphere", l’exposition de poissons-zèbres au fongicide bixafen, commercialisé par Bayer, altère le développement de leur cerveau et de leur moelle épinière. »
Les ingrédients d'une belle entourloupe réunis en quelques lignes : un titre anxiogène, mais pas trop, reconnaissons-le ; une référence à des « travaux » pour une recherche, certes sérieuse, mais sur un coin de paillasse ; des « travaux » sur un modèle animal bien loin de la réalité humaine ; la référence au grand méchant agrochimiste (par ailleurs pourvoyeur de nombre de médicaments qui nous soulagent).
Nous avons échappé à une image bien gore... il était difficile d'en trouver une. Il faudra donc se contenter d'un cliché assez quelconque d'« affiches contre les "inhibiteurs de la succinate déshydrogénase" (SDHI) [qui] sont collés [sic] sur un panneau, à Langouet, Ille-et-Vilaine, le 14 octobre 2019 ».
Voici la mise en route :
« Les fongicides dits "inhibiteurs de la succinate déshydrogénase" (ou SDHI) présentent-ils des risques sanitaires et environnementaux incontrôlables ? Depuis trois ans, une vive controverse oppose un groupe de chercheurs du monde académique, qui alertent sur les risques que font peser ces pesticides, et les autorités sanitaires pour qui cette alerte n’est pas suffisamment étayée. Cette dispute suscite une intensification de la recherche sur ces substances. En témoignent des travaux tout juste publiés dans la revue Chemosphere, montrant sur un modèle animal la toxicité pour le développement cérébral de l’un des SDHI les plus populaires, le bixafen, commercialisé par Bayer. Un résultat d’autant plus frappant que les concentrations testées par les chercheurs sont relativement faibles et, surtout, que les propriétés neurotoxiques de ce pesticide n’ont pas été évaluées par les autorités sanitaires avant son autorisation, il y a un peu moins d’une décennie.
Bravo la culture scientifique... (Source)
Voici le résumé (nous découpons) de « Bixafen, a succinate dehydrogenase inhibitor fungicide, causes microcephaly and motor neuron axon defects during development » (le bixafen, un fongicide inhibiteur de la succinate déshydrogénase, provoque une microcéphalie et des anomalies de l'axone du motoneurone pendant le développement) d'Alexandre Brenet, Rahma Hassan-Abdi et Nadia Soussi-Yanicostas, tous trois de « Université de Paris, NeuroDiderot, Inserm ».
Faits marquants
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Les embryons de poisson-zèbre exposés au bixafen, un inhibiteur de la succinate déshydrogénase (SDHI), présentent des défauts de développement du SNC [système nerveux central].
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Le développement du cerveau est perturbé chez les embryons exposés au SDHI, le bixafen, ce qui conduit à la microcéphalie.
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Les excroissances et les ramifications des axones de la moelle épinière sont affectées négativement chez les embryons exposés au bixafen SDHI.
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Le SNC en développement est vulnérable à l'exposition au bixafen.
Résumé
Les inhibiteurs de la succinate déshydrogénase (SDHI), les fongicides les plus utilisés aujourd'hui en agriculture, agissent en bloquant la succinate déshydrogénase (SDH), un composant essentiel et conservé au cours de l'évolution de la chaîne respiratoire mitochondriale.
Des résultats récents ont montré que plusieurs SDHI utilisés comme fongicides non seulement inhibent l'activité de la SDH des champignons cibles mais bloquent également cette activité dans les cellules humaines dans des modèles in vitro, révélant un manque de spécificité et donc un risque possible pour la santé des organismes exposés, y compris les humains.
Malgré la détection fréquente des SDHI dans l'environnement et sur les produits récoltés et leur utilisation croissante dans l'agriculture moderne, leurs effets toxiques potentiels in vivo, notamment sur le neurodéveloppement, sont encore sous-évalués.
Nous avons évalué ici la neurotoxicité du bixafen, l'un des SDHI de dernière génération, qui n'avait jamais été testé pendant le neurodéveloppement. Pour ce faire, nous avons utilisé un modèle de vertébré bien connu pour les tests de toxicité, à savoir des embryons transparents de poisson-zèbre, et l'imagerie en direct à l'aide de lignées transgéniques marquant le cerveau et la moelle épinière.
Nous montrons ici que le bixafen provoque une microcéphalie et des défauts sur les excroissances des axones des motoneurones et leurs ramifications au cours du développement. Nos résultats montrent que le système nerveux central est très sensible au bixafen, démontrant ainsi in vivo que le bixafen est neurotoxique chez les vertébrés et qu'il provoque des défauts de développement neurologique.
Ces travaux enrichissent nos connaissances sur l'effet toxique des SDHI sur le neurodéveloppement et peuvent nous aider à prendre les précautions appropriées pour assurer la protection contre la neurotoxicité de ces substances. »
Les auteurs nous proposent aussi un résumé en image.
Nous reproduisons aussi deux graphiques sur le volume du cerveau 36 et 66 heures après exposition au bixafen.
Nous ne douterons pas un seul instant que les résultats de l'étude sont intéressants et qu'ils « enrichissent nos connaissances sur l'effet toxique des SDHI sur le neurodéveloppement ». Mais nous serons bien plus réservés sur l'allégation suivante – que les travaux « peuvent nous aider à prendre les précautions appropriées pour assurer la protection contre la neurotoxicité de ces substances ».
L'article scientifique n'est pas outrageusement militant, comme certains autres.
Relevons cependant que son titre ne précise pas le modèle animal utilisé, ce qui est franchement fâcheux car il énonce en son absence un constat général (comment les pairs ont-ils pu laisser passer cela ?). Il y a aussi dans la partie « Discussion » une petite tartine sur les méfaits des pesticides.
L'étude est observationnelle (il faut bien commencer par là...). Les auteurs ont-ils trouvé quelque chose d'exceptionnel ?
D'un côté, ils notent ceci :
« La microcéphalie a été observée à plusieurs reprises chez des embryons exposés à de nombreux pesticides, dont le Maxim® XL [ma note : un désinfectant des semences à base de fludioxonil et de métalaxyle-M] (Svartz et al., 2016) [texte] et le glyphosate (Paganelli et al., 2010) [ma note : source, c'est la « fameuse » étude d'Andrés Carrasco qui a fait couler beaucoup d'encre – analyse critique], ce qui souligne la grande vulnérabilité du cerveau à ces produits chimiques, et notre étude montre que le SDHI bixafen induit également la microcéphalie, même à faibles doses. »
D'un autre côté, ils font preuve de prudence :
« Cependant, une étude récente a également démontré que l'exposition au bixafen ne provoquait pas de stress oxydatif chez les poissons zèbres (Li et al., 2020), ce qui suggère que l'induction du stress oxydatif n'est peut-être pas le principal mécanisme sous-jacent à la neurotoxicité induite par le bixafen chez les embryons de poissons zèbres. Ainsi, les anomalies du cerveau et de la moelle épinière observées chez les embryons exposés à des concentrations faibles à moyennes de bixafen peuvent être associées aux anomalies métaboliques signalées chez les animaux exposés aux SDHI (Graillot et al., 2012 [texte] ; Qian et al., 2018 ; Wu et al., 2018 ; Yang et al., 2018). »
Rappelons un propos de Mme Géraldine Woessner que nous avions mis en sous-titre de « Fongicides SDHI : pétages de câbles en série ! » :
« Les faux lanceurs d'alerte sont probablement, aujourd'hui, les plus fervents relais de théories du complot, et une grave menace pour la démocratie. »
Il s'agissait alors de l'agitation médiatique suscitée par M. Pierre Rustin et ses disciples sur la base d'une « simple » inférence. Ils ont ensuite essayé de lui donner plus de substance par des travaux sur des cellules isolées. Nous l'avons commentée dans : « Fongicides SDHI : voilà l'étude, mais elle nous laisse sur notre faim ».
Ici, nous passons au stade suivant sur le plan scientifique tant par le support de l'étude (des animaux) que par le sujet (l'embryogenèse). Oublions le titre à notre sens insuffisant de l'article scientifique et le verbiage sur les pesticides évoqué ci-dessus (peut-être bien nécessaire pour susciter l'intérêt d'une revue) : nous ne sommes pas dans le registre des faux lanceurs d'alertes mais dans celui de la science.
Il s'agit toutefois de science sur un modèle animal très éloigné de l'espèce humaine (même si les schémas de l'embryogenèse sont hautement conservés dans la chaîne de l'évolution) et, plus généralement, des vertébrés qui ne pondent pas leurs œufs dans l'eau.
Et, répétons-le, il s'agit d'une étude observationnelle qui est loin d'établir une relation de cause à effet : le bixafen, dans l'eau, produit des phénomènes qui s'observent aussi avec d'autres pesticides (et, qui sait, d'autres substances qui n'ont pas été testées faute de susciter l'attention des chercheurs – et de leurs sources de financement).
Les doses seraient très faibles – « relativement faibles » selon M. Stéphane Foucart ?
En fait, 0,2 et 0,5 micromole/litre correspondent respectivement à 0,083 et 0,207 milligramme/litre (83 et 207 microgrammes/L (µg/L)). Dans les études sur la pollution des eaux de surface ou souterraines par les pesticides, on colorie d'habitude les cartes en rouge quand la quantité totale de pesticides, mesurée à un moment ou un autre, dépasse... 2 microgrammes/litre.
S'agissant de la sécurité sanitaire des aliments, la dose journalière admissible est de 0,02 milligramme/kg poids corporel/jour pour le bixafen. Les chiffres ne sont pas comparables, sauf pour suggérer que les doses utilisées dans l'étude sont loin d'être anodines. Les auteurs ont du reste noté que l'exposition des embryons de poissons zèbres à 0,5µM/L de bixafen (0,207 mg/L) induisait d'importantes anomalies morphologiques et une mortalité significativement accrue.
Du reste, dans l'article du Monde, Mme Nadia Soussi-Yanicostas a précisé que leur concentration haute (0,5µM/L) induisait une mortalité de 30 %.
S'il serait imprudent de négliger le signal, il faut tout de même garder à l'esprit que, au minimum, il faudrait que le bixafen ingéré par l'alimentation passe la barrière intestinale (c'est le cas) ; échappe au catabolisme (ce n'est pas le cas, il est rapidement éliminé par la bile et l'urine) ; passe la barrière placentaire et, si son mécanisme d'action est biologique (et liée à sa fonction SHDI), parvienne aux cellules nerveuses et pénètre dans les mitochondries pour y inhiber une étape de la respiration.
Tout cela nous amène à l'article du Monde et de M. Stéphane Foucart. Mme Nadia Soussi-Yanicostas y est citée :
« Le poisson-zèbre est un excellent modèle pour anticiper ce qui peut se produire chez l’humain, car une grande part des mécanismes de construction du système nerveux ont été bien conservés au cours de l’évolution. »
Tout est dans « peut »...
On y cite aussi Mme Laurence Huc, de l'INSERM et de l'INRAE :
« ...voir de tels effets à ces niveaux d’exposition est assez préoccupant, d’autant plus que le poisson-zèbre est un bon modèle de neurodéveloppement pour l’humain ».
Tout est dans le « assez »...
Quel niveau d'exposition ? Mme Nadia Soussi-Yanicostas précise que la plus faible des deux concentrations testées correspond « à un bidon d’un litre d’Aviator Xpro dilué dans environ un million de litres d’eau ». C'est trois litres dans une piscine olympique... il nous est souvent arrivé sur ce site de vitupérer les marchands de peur agitant l'équivalent d'un morceau de sucre dans plusieurs piscines... et le produit est homologué pour des doses variant de 0,8 à 1,25 litre/hectare.
Pour l'article de M. Stéphane Foucart, l'essentiel est dans le titre anxiogène et le chapô qui induit chez une majorité de lecteurs la conclusion de l'existence d'une relation de cause à effet liée à la nature et aux propriétés du bixafen.
Bref, un nouvel exemple d'instrumentalisation d'un article scientifique – et du journal qui fut de référence – au service d'une cause militante.
Rappelons la fin de l'entrée en matière :
« Un résultat d’autant plus frappant que les concentrations testées par les chercheurs sont relativement faibles et, surtout, que les propriétés neurotoxiques de ce pesticide n’ont pas été évaluées par les autorités sanitaires avant son autorisation, il y a un peu moins d’une décennie. »
On entre là dans un registre incontournable de la littérature militante : la fabrique de l'insinuation, du doute et en conséquence de l'indignation.
Sur fond de – osons-le – mensonge.
Car si le rapport de l'Agence Européenne de Sécurité des Aliments (EFSA) ne comporte pas de mot commençant par « neuro », son évaluation a bien porté sur la question par l'entremise de la tératogénicité. Voici, au complet, le paragraphe pertinent :
« Rapidement et largement absorbé après administration orale, le bixafen ne se bioaccumule pas dans l'organisme et est rapidement éliminé principalement dans la bile mais aussi dans l'urine. La principale voie métabolique implique la déméthylation (formation de M21), l'hydroxylation et les conjugaisons. Dans les études disponibles, le bixafen a montré un faible profil de toxicité aiguë, et les organes cibles après exposition répétée étaient le foie et la thyroïde. Les NOAEL à court terme chez les rats, les souris et les chiens étaient respectivement de 12,9, 8,5 et 10 mg/kg p.c. par jour. Dans une batterie standard d'études in vitro et in vivo, le bixafen n'a montré aucun potentiel génotoxique. Dans les études de toxicité à long terme, il n'y avait pas de preuve d'un potentiel cancérogène pour le bixafen et les NOAEL systémiques étaient de 2,0 mg/kg p.c. par jour pour les rats et de 6,7 mg/kg p.c. par jour pour les souris. Dans les études de toxicité pour la reproduction, les paramètres de fertilité n'ont pas été affectés par le bixafen, et aucun effet tératogène n'a été mis en évidence chez les rats et les lapins. Dans l'étude sur plusieurs générations de rats, la NOAEL des parents était de 3,3 mg/kg p.c. par jour, celle des descendants de 33,3 mg/kg p.c. par jour et la NOAEL pour la reproduction de 169,2 mg/kg p.c. par jour. Dans l'étude de tératogénicité chez le rat, la NOAEL maternelle et la NOAEL pour le développement étaient toutes deux de 20 mg/kg p.c. par jour. Dans l'étude de tératogénicité chez le lapin, les NOAEL pour la mère et le développement étaient de 25 mg/kg p.c. par jour. »
Le Monde de M. Stéphane Foucart affirme que le bixafen est « épinglé pour ses effets sur le développement cérébral » sur la base d'essais sur des poissons zèbres faisant trempette dans des solutions de bixafen à 0,083 et 0,207 milligramme/litre (la deuxième produisant une importante mortalité).
L'EFSA rapporte qu'il n'y a aucun effet nocif observable sur des mammifères en matière de reproduction (et donc de développement cérébral) à moins de 3,3 milligrammes par kilogramme de poids corporel, soit ramené à l'individu humain de référence de 60 kg, près de 200 milligrammes.
Dans son rapport sur les résidus de pesticides dans les aliments en 2018 (publié en avril 2020), l'EFSA rapporte que l'on a analysé 40.458 échantillons pour le bixafen et trouvé 11 échantillons au-dessus de la limite de quantification, soit 0,03 %.