Le directeur général de la FAO QU Dongyu « fricote » avec CropLife International
Légionnaire d'automne sur du maïs au Malawi (source : FAO)
La vraie nouvelle est passée largement inaperçue. Elle nous est parvenue par l'intermédiaire du Monde Planète, avec un article du 20 novembre 2020 (date sur la toile), « Le rapprochement entre la FAO et le lobby des pesticides inquiète scientifiques et ONG ». En chapô :
« L’agence onusienne a signé une "lettre d’intention" formalisant un rapprochement stratégique avec CropLife, l’association qui représente les principaux fabricants de pesticides dans le monde. »
Dans l'édition papier des 22-23 novembre 2020, c'est, en très gros et très noir : « La FAO se rapproche du lobby des pesticides » – comme si une association professionnelle ne pouvait être qu'un « lobby », par essence malfaisant, et qu'il n'y avait qu'un « lobby ». En sous-titre :
« Des scientifiques et des ONG s'inquiètent de la signature d'une "lettre d'intention" par l'agence et CropLife. »
Ah, le Monde Planète... Relais zélé d'un certain militantisme... Il y a, certes, quelques détails sur le fond, un chouïa de point de vue de la FAO – « artistiquement » introduit par : « La FAO défend auprès du Monde la collaboration avec CLI » (c'est nous qui graissons) –, et même une citation de CropLife :
« Dans une communication du 19 octobre, CLI se félicite de ce rapprochement et du "partage d'objectifs communs" entre les deux entités. »
Le reste de l'article, c'est les récriminations, allégations, supputations des ONG et scientifiques, épaulés par un ancien de la FAO, M. Mark Davis, qui fut « [r]esponsable du programme de gestion des pesticides de la FAO de 2005 à 2017 ». Et précédemment – mais ce n'est pas dit dans l'article – chef de projet chez Pesticide Action Network (PAN)...
Au-delà du poids respectif des arguments avancés, il y a la construction de l'article, conçue pour nous convaincre que ce qu'a fait la FAO, c'est mal. La conclusion ?
« […] Les signataires des missives espèrent désormais que le rapprochement entre les deux instances ne dépassera pas le stade de la lettre d'intention. "Nous espérons que les gouvernements interrogeront la FAO. Celle-ci est redevable envers les communautés qu'elle est censée soutenir", souligne Shiney Varghese » [analyste à l'IATP].
(Source)
Venons-en aux faits.
Le 2 octobre 2020, la FAO annonce dans un communiqué que M. QU Dongyu, directeur général de la FAO, et Mme Giulia Di Tommaso, présidente et directrice générale de CropLife International, ont signé
« une lettre d'intention pour explorer de nouveaux partenariats entre l'agence des Nations unies et le secteur privé [et] renouvelé et renforcé aujourd'hui leur engagement à travailler ensemble et à trouver de nouvelles façons de transformer les systèmes agroalimentaires et de promouvoir le développement rural par le biais d'investissements et d'innovations sur le terrain. »
Au cours d'une réunion virtuelle, M. QU Dongyu a même prononcé un discours liminaire devant le conseil d'administration de CropLife International. Il a
« souligné l'importance de la participation du secteur privé à l'adoption de mesures concrètes en vue de la transformation des systèmes agroalimentaires et a mis en évidence le potentiel des technologies numériques à cet égard. »
M. QU Dongyu a donc parlé des « technologies numériques ». Comme c'est bizarre ! CropLife International ne serait-il pas le « lobby des pesticides » ? Ou pas que ?
CropLife International a produit une page explicative, « Crop protection industry supports FAO on IPM » (l'industrie de la protection des plantes soutient la FAO sur la protection intégrée des cultures ».
Cela vaut la peine de lire la partie introductive (que d'aucuns comme ce contributeur aux commentaires dans le Monde, bien nourris, droits dans leurs bottes idéologiques, considéreront comme des « nuages de baratins, brouillards et enfumages bien dosés ») :
« "Entre 26 et 40 % de la production végétale potentielle mondiale est perdue chaque année à cause des mauvaises herbes, des parasites et des maladies, et ces pertes pourraient doubler sans le recours aux pratiques de protection des cultures". Cette déclaration percutante est tirée d'un rapport de l'Organisation des Nations Unies pour l'Alimentation et l'Agriculture (FAO) et de l'Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE).
Un argument aussi convaincant en faveur de l'utilisation de pratiques de protection des cultures, y compris les pesticides, est pertinent au moment où la communauté mondiale élabore une stratégie pour atteindre l'objectif des Nations Unies d'éradiquer la faim d'ici 2030. Mais comprendre la nécessité des produits phytopharmaceutiques ne nous mène pas loin. C'est pourquoi les orientations de la FAO sur le rôle des pesticides dans le cadre d'une approche de lutte intégrée contre les ravageurs (IPM) sont importantes.
Pour obtenir une culture saine, la FAO recommande d'examiner attentivement "toutes les techniques de lutte contre les ravageurs disponibles", et invite les agriculteurs à "intégrer des mesures appropriées qui découragent le développement de populations de ravageurs et qui maintiennent les pesticides et autres interventions à des niveaux économiquement justifiés et réduisent ou minimisent les risques pour la santé humaine et l'environnement". L'industrie de la protection des cultures est d'accord.
L'industrie est également d'accord avec le Code de Conduite International pour la Gestion des Pesticides qui stipule que toutes les parties prenantes – y compris les agriculteurs, les agronomes, l'industrie alimentaire, les fabricants de pesticides biologiques et chimiques, les écologistes et les groupes de consommateurs – "doivent jouer un rôle actif de prévention dans la mise au point et la promotion de la lutte intégrée contre les ravageurs et les vecteurs". Le réseau mondial CropLife a adopté une approche proactive de la formation, de la communication et de la mise en œuvre de la lutte intégrée contre les parasites. »
En présentant M. QU Dongyu, le président de CropLife International, Liam Condon, a déclaré qu'il
« se réjouissait de ce nouveau partenariat car c'est le début d'un nouveau voyage passionnant pour les deux organisations ».
Mme Giulia Di Tommaso a quant à elle déclaré :
« Nous nous sommes engagés, parallèlement à notre travail avec la FAO, dans le cadre de notre stratégie à Croplife International, à explorer des partenariats et des collaborations constructifs avec les parties prenantes des secteurs clés afin d'aider à faire une réelle différence et d'avoir un impact réel pour traiter ces questions. »
Selon le communiqué de presse de CropLife International,
« Nous sommes depuis longtemps convaincus que les agriculteurs, les consommateurs, les entreprises, les ONG et les gouvernements doivent travailler ensemble pour trouver des solutions à de nombreux défis mondiaux. Chacun d'entre nous apporte des perspectives et des expériences uniques et précieuses. Ce nouveau partenariat avec la FAO nous offre une occasion passionnante de travailler ensemble et d'accélérer les progrès dans des domaines où nous partageons des ambitions communes. »
Avec certaines ONG et certains scientifiques – si tant est qu'ils soient du domaine considéré – c'est rapé.
Nous n'entrerons pas ici dans l'argumentaire des ONG et « ONG ». C'est, somme toute, la rhétorique alter et anti classique.
La lettre des quelque 300 scientifiques – incluant une certaine... Michèle Rivasi, signant en tant que membre du Parlement Européen... – est plus intéressante.
Après tout, ce ne sont pas des boutiquiers gérant un fond de commerce (et servant pour certains de petites mains à l'appui d'intérêts économiques), mais des citoyens se prévalant de leur position universitaire ou dans la recherche et, implicitement, d'une supériorité intellectuelle.
Ces gens font leur la lettre des organisations... et se font la chambre d'écho de l'activisme.
Sans rien connaître des modalités de la collaboration et des programmes qui seront mis en œuvre, ils attaquent d'emblée :
« Votre proposition d'approfondir la collaboration de la FAO avec CropLife International sape la politique de la FAO sur la réduction des effets néfastes de l'utilisation des pesticides chimiques dans le monde, y compris les risques associés à des pesticides hautement dangereux (PHD) [...] »
Dans le paragraphe suivant, ils osent en conclusion une comparaison avec un hypothétique programme conjoint de l'OMS et de l'industrie du tabac pour la prévention du cancer du poumon !
« Les institutions des Nations Unies, y compris la FAO, ne devraient pas soutenir un consortium d'entreprises privées qui pourraient tirer profit de la vente continue de produits ayant des effets nocifs avérés sur la biodiversité, y compris les pollinisateurs, l'intégrité et la fonction des écosystèmes, la santé et les moyens de subsistance des paysans, des travailleurs agricoles vulnérables, des communautés rurales et indigènes. »
Ces génies passent ainsi d'une collaboration entre deux partenaires à un soutien de la FAO à l'industrie !
Ne sachant toujours rien des modalités de coopération et des programmes envisagés, les signataires passent à une autre qualification de l'accord :
« En outre, votre proposition d'alignement stratégique avec CropLife va à l'encontre du travail exemplaire de la FAO à ce jour pour faire progresser l'agro-écologie [...] »
Et voici l'incantation finale :
« Nous vous demandons instamment de retirer immédiatement votre proposition visant à formaliser la collaboration de la FAO avec CropLife International et, à la place, de "renouveler et renforcer" l'engagement de la FAO en faveur d'une transformation agro-écologique de nos systèmes alimentaires et agricoles et de la réduction de la dépendance aux pesticides chimiques dangereux et aux technologies conçues pour perpétuer leur utilisation. »
Notez au passage la référence à la chimie et la mise en cause implicite des OGM tolérant un herbicide...
On leur dit, à ces nobélisables (Ig-nobélisables ?) que la demande alimentaire devrait augmenter de 59 à 98 % d'ici 2050 ? Que la FAO estime que 80 % de cette demande accrue devra être satisfaite par des gains de productivité ? Que les parasites et maladies sont voraces et que la chimie restera indispensable pendant encore longtemps ?
Une nuée de criquets en Afrique
On leur dit à ces sympathiques militants que si on veut faire bouger les lignes, il faut parler à la partie « adverse » et non la snober ? La FAO « défend » – pour reprendre la phraséologie du Monde – en ces termes la collaboration avec CropLife International :
« En tant qu'acteur essentiel du secteur agricole, le réseau de CropLife se doit d'être impliqué dans les discussions [sur le développement de l'agro-écologie] si l'on veut faciliter un changement de ses priorités actuelles. »
Que des « académiques » puissent ainsi s'investir dans une démarche aussi stupide – en impliquant leurs institutions même s'ils précisent qu'elles ne sont indiquées qu'à titre d'information – est tout simplement désespérant.
Vaste programme !
Mais il y a tout de même une bonne nouvelle dans cette affaire – enfin, touchons du bois... Il nous semble que M. QU Dongyu a été élu à la direction de la FAO pour sortir cette vénérable institution de sa sclérose pluridécennale, la mettre devant les défis du XXIe siècle, la sortir des rêves éveillés et la confronter aux réalités.