Faire les poches de Bayer/Monsanto avec un cancer de la prostate... faire l'article dans le Parisien
Faire les poches de Bayer/Monsanto avec un cancer de la prostate... faire l'article dans le Parisien
Je répugne à commenter des affaires judiciaires en cours lorsqu'elles concernent une personne particulière. Un cas médiatisé par le Parisien le 26 octobre 2020 dans « Exposition au glyphosate : la preuve par les poils ? » de M. Gaël Lombart mérite cependant une exception.
On adorera le point d'interrogation de prudence du titre. C'est peut-être bien la signature d'un journaliste qui nous vend sciemment de la daube et protège ainsi ses arrières.
En chapô :
« Une analyse poussée chez un agriculteur atteint d’un cancer de la prostate atteste, selon le toxicologue qui l’a réalisée, d’une persistance dans son organisme du glyphosate, la substance active du pesticide commercialisé par Bayer-Monsanto. »
Le support matériel de l'article vient rapidement : l'agriculteur accuse le glyphosate – ou plutôt le Roundup... de Monsanto – d'être responsable de sa maladie et a assigné Monsanto, en 2017, en référé.
Il y eut un feu d'artifice médiatique en août 2018 (voir par exemple ici, un article de Capital). On a alors appris que l'agriculteur a été opéré en 2017 ; qu'il a demandé à faire une analyse d'urine au CHU de Reims (Marne) pour rechercher la présence de produits chimiques dans son organisme ; qu'on a trouvé « 0,25 mg de glyphosate par litre dans les urines » ; qu'il « jure qu'en fin de compte [s]on cancer a été causé par ça, d'autant plus que dans cette analyse-là aucun autre produit de traitement n'apparaît » ; que son avocat a déposé auprès du procureur de Lyon une plainte pour « empoisonnement » en mai 2017.
Dans un autre article, de mars 2017, « Pesticides hautement toxiques : un producteur bio picard porte plainte contre l'Espagne », on apprend dès le titre que cet agriculteur est... bio. Mais, selon Europe 1, il est (ancien) céréalier et, incidemment, veut faire condamner Monsanto pour « crime contre l'humanité ».
Pourtant, selon Capital (précité) :
« Ce père de trois enfants a utilisé du Round Up, herbicide contenant du glyphosate fabriqué par Monsanto, jusqu'en 2015, soit pendant une trentaine d'années de labeur "dans les chaumes pour détruire les vivaces, les bordures de bois où il y a des orties" car ce puissant systémique détruit la plante "pour toujours", explique-t-il. »
Quel est le motif de ce nouvel article ? Peut-être de faire le buzz pour l'affaire, pour le journal ou pour le journaliste, ou pour tous les trois. Peut-être aussi un coup de billard à trois bandes...
Passons sur les détails étalés pour faire pleurer dans les chaumières. Mais on ne peut pas ignorer qu'un homme sur huit développe un cancer de la prostate avant l'âge de 75 ans. Et en voilà un dont l'agent causal a été (prétendument) clairement identifié.
Comme le suggère le chapô, on voudrait nous suggérer que le glyphosate persiste dans l'organisme de l'agricuteur :
« Le 5 mai 2019, on a prélevé sur [...] 4 cm de cheveux, correspondant à environ quatre mois de pousse et donc d'exposition au produit. Un échantillon a été lavé, un autre non. Puis chacun a été broyé pour obtenir une moyenne sur quatre mois. Résultat : 168 picogrammes/mg pour les cheveux lavés, 211 pour les non-lavés. »
Des échantillons ont aussi été pris sur dix personnes a priori non-exposées. Résultat : moins de 10 picogrammes/mg, inférieur au seuil de détection.
Le taux serait de 44 picogrammes/mg dans les poils pubiens de l'agriculteur.
« "On ne pourra pas dire qu'il n'est pas exposé ou qu'il n'a pas de glyphosate dans son organisme. Il a du glyphosate dans l'organisme", insiste Jean-Claude Alvarez, mandaté par l'avocat de l'agriculteur. "Nous faisons la démonstration que le glyphosate n'est pas totalement éliminé dans les urines et reste dans le corps humain", enchérit Me Ludot. »
Un avocat qui tire des conclusions péremptoires sur la base de quelques chiffres... Enfin, bon, c'est son droit... et tout se plaide. Peut-être même avec succès au vu de l'hystérie antipesticides actuelle et des réactions que suscite le nom de Monsanto.
On assistera peut-être à la création d'un nouvel aphorisme : ante hoc, propter hoc : le cancer est né avant la découverte de glyphosate dans les cheveux... c'est donc qu'il a été provoqué par la glyphosate (de Monsanto).
Les affirmations du toxicologues sont tout aussi péremptoires... et sujettes à suspicion.
On ne pourra pas reprocher au journaliste d'avoir fait une recherche unilatérale. Non, nous ne sommes pas chez... (chut...) :
« Ne souhaitant pas commenter "une procédure judiciaire en cours", le groupe affirme que les tests sur les cheveux "n'ont pas été réalisés sous l'égide des experts judiciaires, ne correspondent pas à ceux que les experts judiciaires désignés à la demande de M. [...] ont préconisés et qu'ils ont été réalisés sans débat contradictoire". "Par ailleurs, M. [...] ne répond pas aux questions et demandes que les experts judiciaires ont formulées à plusieurs reprises", poursuit le géant de l'agrochimie. »
On peut donc reposer la question : quel est le motif de cet article ?
Peut-on avancer une théorie du complot ? Il a été produit à un moment où un shitstorm faisait rage sur Twitter contre une certaine journaliste... mené essentiellement par la même meute que l'année dernière. Journaliste, « coupable » d'avoir égratigné l'ego de quelque contributeur à la très indigente et scandaleuse manipulation – oups ! émission – d'Envoyé Spécial de janvier 2019, « Glyphosate : comment s'en sortir ? » (Youtube).
Quoi qu'il en soit, si l'on s'en tient à la fameuse monographie du Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC) – qui a pourtant été conçue à charge contre le glyphosate – il n'y a pas de lien entre glyphosate et cancer de la prostate.
De même, l'exploitation de la grande cohorte états-unienne d'agriculteurs et d'applicateurs de pesticides, l'Agricultural Health Study, par Andreotti et al. a produit un résultat remarquable : pas de différence d'incidence de ce cancer entre les non-utilisateurs et les (petits, moyens et forts) utilisateurs de glyphosate (voir ci-dessous).
Les données numériques sont également intéressantes.
On aurait trouvé « 0,25 mg de glyphosate par litre dans les urines » (250 nanogrammes/litre) en 2017 (à une époque où, sans nul doute, l'agriculteur (bio) ne manipulait plus de glyphosate) ? Ce chiffre crève tous les plafonds !
Dans la très indigente et scandaleuse manipulation – oups ! émission – d'Envoyé Spécial de janvier 2019, « Glyphosate : comment s'en sortir ? » (bis), Mme Julie Gayet, la « célébrité » la plus « chargée » ayant servi de cobaye, aurait eu 1,26 nanogrammes/litre (selon un test ELISA dont on sait qu'il produit des résultats surévalués). Cela correspond peu ou prou à la moyenne des résultats annoncés par les « pisseurs de glyphosate » sur la base du même test bidon. Notre agriculteur en aurait donc eu... 200 fois plus !
Peut-on se fier à Générations Futures ? Peut-être bien quand ses résultats vont dans le sens de notre propos ! En février 2013, cette petite entreprise a publié une « enquête APAChe : Analyse de Pesticides Agricoles dans les CHEveux » sur des salariés viticoles et riverains des vignes. Résultat pour le glyphosate et son métabolite, l'AMPA : non détectés.
Les Verts du Parlement Européen ont aussi commandité une analyse. Résultat pour le glyphosate, apparemment négatif (le mot « glyphosate » n'apparaît qu'une fois dans le rapport pour signaler qu'un participant le manipule).
En fait, il n'y a guère de mystère : le glyphosate ingéré est rapidement excrété. C'est ce que montre un article de l'équipe de M. Gilles-Éric Séralini qui ne paye pas de mine, mais que nous aimons bien (ça arrive!), « Glyphosate Exposure in a Farmer’s Family » (exposition au glyphosate dans une famille d'agriculteur européenne). Comme le montre le graphique ci-dessous, le glyphosate est très rapidement excrété.
L'excrétion complète, l'absence d'accumulation dans le corps et l'absence de métabolisme (ou un métabolisme très limité) sont des caractéristiques du glyphosate bien établies par les études de toxicocinétique.
Il est donc très surprenant que l'on ait trouvé du glyphosate dans les cheveux. Les résultats sont aussi surprenants s'agissant de la comparaison entre l'agriculteur et les dix autres personnes, toutes négatives.
Du coup on se repose la question : quel est le motif de cet article ?
Présenter les faits et arguments des deux parties en présence fait sans doute partie des bases du journalisme (enfin, par pour tous, nest-ce-pas... chut...).
C'est ajouter du sérieux apparent que de consulter un Jean-François Narbonne en l'occurrence pas très inspiré ; il « s'étrangle » à juste titre à l'énoncé de la dose, mais considère qu'elle ne serait pas surprenante pour « un travailleur exposé, un agriculteur » (voir le graphique ci-dessus pour une comparaison).
Mais est-ce vraiment sérieux quand les faits et arguments de l'une des parties résistent si peu à l'analyse ?
Et est-ce vraiment sérieux, pour le journal, de produire un chapô qui privilégie et accrédite les faits et arguments les moins solides ?
Dans le shitstorm déjà évoqué, un gazouilleur a écrit :
« Malheureusement le fond n'a aucune importance […]. Une fois les méthodes déplorables de Monsanto établies, même la vérité est secondaire.
Des agences d'État aux simples journalistes, tout est matière à doute et à compromissions. [...] »
Cela paraît bien observé.
Commenter cet article
jp 08/11/2020 12:14
Seppi 09/11/2020 09:16
Hbsc Xris 02/11/2020 19:52
Hbsc Xris 03/11/2020 20:11
un physicien 02/11/2020 21:44