[Un texte de mars 2016] Le rejet de l'aide alimentaire GM par le Zimbabwe est un scandale humanitaire
Nyasha Mudukuti*
Le 16 octobre est la Journée Mondiale de l'Alimentation.
Nous, bien nourris (en majorité, il y a cependant des millions de personnes qui dépendent de l'aide alimentaire en France), avons oublié ce que cela signifie. Nous n'avons même plus conscience des effets de nos caprices de nantis. Voici une piqûre de rappel.
Cet article a été publié à l'origine dans le Wall Street Journal du 10 mars 2016 sous le titre : « We May Starve, but at Least We’ll Be GMO-Free » (nous pouvons mourir de faim, mais au moins nous serons sans OGM). En sous titre :
« Contrairement aux Européens que nous avons copiés, le Zimbabwe ne peut pas se permettre un tel luxe idéologique non scientifique. »
C'est pour quand le réveil des Européens à la réalité ?
Le gouvernement de mon pays préfère voir les gens mourir de faim plutôt que de les laisser manger des aliments génétiquement modifiés.
C'est la seule conclusion à tirer de l'annonce en février que le Zimbabwe rejettera toute aide alimentaire sous forme d'OGM, bien que nous souffrions de la pire sécheresse depuis deux décennies et que jusqu'à 3 millions de personnes ont besoin d'une aide d'urgence.
« La position du gouvernement est très claire », a déclaré Joseph Made, le ministre de l'agriculture. « Nous n'acceptons pas les OGM car nous protégeons l'environnement du point de vue des céréales. »
Donc mon pays – un pays qui ne peut pas se nourrir lui-même – refusera ce que des millions de personnes dans le monde mangent chaque jour en toute sécurité comme source conventionnelle de calories. Peu importe que l'aide arrive sous forme de nourriture pour les gens ou pour les animaux : les inspecteurs des douanes veilleront à ce qu'elle n'atteigne pas les bouches affamées.
Quand il est question d'OGM, il semble que pour nous, il vaut mieux être morts que nourris.
La sécheresse a dévasté la ferme de ma famille, qui ne produira pratiquement pas de sorgho ni de maïs cette année.
Nous manquons d'argent et la sécheresse a fait monter les prix en flèche, même pour les produits les plus simples. Sur les marchés, les choux de la taille d'une balle de tennis se vendent à 1 dollar.
Les gens ont désespérément besoin de travail. J'ai récemment vu un homme de l'âge de mon grand-père aller de maison en maison, portant une houe, pour essayer d'échanger le travail qu'il pourrait offrir contre un repas. Il s'est retrouvé à faire quelques corvées dans le jardin pour une tasse de thé.
Le rejet de l'aide alimentaire GM est un scandale humanitaire – une catastrophe causée par l'homme qui s'ajoute à une catastrophe naturelle. Mais il y a pire encore : un déni de la science. Les OGM ne constituent pas une menace pour la santé humaine, comme le savent tous les organismes scientifiques et réglementaires qui les ont étudiés. Ils sont également bénéfiques pour l'environnement, car ils permettent aux agriculteurs de lutter contre l'érosion des sols, de réduire les gaz à effet de serre et, surtout, de produire plus de nourriture sur moins de terres.
Cependant, les pays africains se sont trop longtemps tournés vers l'Europe pour un leadership économique et intellectuel, et nous avons accepté l'opposition radicale de l'Europe aux OGM.
La différence est que l'Europe est un continent riche qui peut se permettre ce luxe idéologique. En Afrique, nous ne le pouvons pas. Ici, il est normal de vivre dans la misère. Nous avons besoin d'un secteur agricole qui suive la croissance démographique, plutôt que d'un secteur qui continue à prendre du retard.
Une poignée de pays africains apprécient la valeur des OGM. Juste de l'autre côté de la frontière sud du Zimbabwe se trouve l'Afrique du Sud, où les agriculteurs cultivent plus de cinq millions d'hectares de maïs GM [cela me semble surévalué, mais 95 % du maïs est maintenant GM]. Au Burkina Faso, les agriculteurs plantent du coton GM [ce n'est plus le cas]. Au début de cette année, le Kenya a approuvé des essais en plein champ pour le maïs GM et la commercialisation pourrait venir ensuite [cela ne s'est toujours pas fait...].
Mais ces points positifs sont les rares exceptions, ce qui prouve la triste règle selon laquelle, en Afrique, les agriculteurs n'ont pas accès aux technologies de semences de base que nos pairs des États-Unis, du Brésil et de l'Inde considèrent comme allant de soi, car ils produisent des récoltes record.
Il n'y a pas de solution facile à une sécheresse, et les OGM ne feront pas tomber la pluie au Zimbabwe. Pourtant, la sécheresse peut servir à mettre en évidence la folie de l'extrémisme anti-OGM en Afrique.
En ce moment, nous avons besoin de ces OGM sous la forme d'une aide alimentaire d'urgence. Bientôt, nous devrions en profiter comme élément ordinaire de l'agriculture et de la production alimentaire.
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Nyasha Mudukuti, agricultrice, Zimbabwe
Petit exploitant, étudiant la biotechnologie. A contribué à l'élimination des virus de la patate douce et du manioc, et a été sélectionnée pour participer au Forum Ouvert sur les Biotechnologies Agricoles en Afrique. A étudié dans l'État du Michigan grâce à une bourse MasterCard.