Soja transgénique : quand l'Union Européenne créée un avantage compétitif en faveur des farmers nord-américains
Photo : Kelly Sikkema sur Unsplash
Le 28 septembre 2020, la Commission Européenne a annoncé qu'elle a autorisé « un soja génétiquement modifié pour l'alimentation humaine et animale ».
Il s'agit du soja MON 87708 x MON 89788 x A5547-127 – de son petit nom XtendFlex outre-Atlantique –, un type variétal qui, comme l'indique la formule, associe trois traits : des résistances à trois herbicides, le dicamba, le glufosinate-ammonium (n'est plus approuvé en Europe), et le glyphosate (le célèbre RoundUp).
Quel intérêt ? L'agriculteur a le choix entre trois herbicides à large spectre pour le désherbage en cours de culture et peut les combiner (si autorisé et possible) ou les utiliser en séquence en cas de besoin, pour éviter l'apparition de mauvaises herbes résistantes à l'un ou à l'autre.
La demande d'autorisation de Bayer a été soumise à la liturgie classique.
L'OGM a fait l'objet d'une évaluation par l'Autorité Européenne de Sécurité des Aliments (EFSA) ; elle était positive comme on pouvait s'y attendre, les trois composantes ayant déjà été évaluées, et aussi autorisées par la Commission (y compris sous la forme d'une combinaison de deux traits).
L'évaluation a été soumise à la procédure de comitologie. Comme d'usage, les États membres se sont ingéniés à ne pas dégager de double majorité en première instance et en appel, de telle sorte que la patate chaude a été refilée à la Commission.
Le Parlement Européen a produit dans un mouvement pavlovien, à grand renfort de citations de littérature pseudoscientifique militante – une résolution, non contraignante, s'opposant à l'autorisation. Accessoirement, quelques eurodéputés auront pu plastronner.
Et la Commission écrit dans son communiqué de presse :
« Compte tenu de l'issue de la procédure, la Commission européenne a l'obligation légale de procéder à l'autorisation. »
Au-delà de l'obligation légale pour la Commission, il y a aussi les obligations internationales issues des règles de l'OMC – que l'Union Européenne a contribué à forger et auxquelles elle a librement consenti – et la dure réalité des faits.
L'Europe, déficitaire en protéines, importe du soja et ses dérivés. Imaginez les contraintes qu'une non-autorisation aurait imposées tant dans les pays producteurs que chez nous... Mais cela n'empêche évidemment pas des États membres et une coalition d'eurodéputés de se complaire dans la posture. Ils peuvent être imperméables aux faits et soucieux de leur image d'indéfectibles opposants aux OGM puisque, de toute manière, la Commission prendra sur elle l'opprobre d'une décision supposée impopulaire.
Tellement impopulaire que presque personne n'en a parlé... Au-delà d'un article d'Euractiv – dont la raison d'être est précisément de commenter l'actualité européenne – c'est quasiment le désert.
Dans « Genetically modified soybean gains EU Commission approval » (un soja génétiquement modifié approuvé par la Commission Européenne), le site a pu citer Mme Tilly Metz, eurodéputée verte luxembourgeoise :
« La nouvelle Commission comprend clairement que l'importation d'OGM tolérants aux herbicides, en particulier de soja génétiquement modifié qui pourrait être cultivé dans des pays comme le Brésil et l'Argentine, risque de saper les engagements internationaux de l'UE en matière de climat, y compris en ce qui concerne la protection des forêts et de la biodiversité. »
Splendide non sequitur ! La dame n'a pas compris – ou fait semblant de ne pas comprendre – que si nous importons du soja, c'est pour répondre à nos besoins.
Euractiv écrit encore :
« Elle a ajouté que ces cultures pourraient être exposées à des doses plus élevées et répétées des herbicides complémentaires, ce qui pourrait entraîner une plus grande quantité de résidus dans la récolte ainsi qu'un risque plus élevé pour l'applicateur. »
Ah, les conditionnels... Ah, l'ignorance des réalités de l'agronomie et de la toxicologie...
Un litre suffit pour détruire les mauvaises herbes ? Parce que c'est un soja tri-résistant, l'agriculteur « pourrait » en utiliser deux... Et pourquoi pas, il « pourrait » ajouter un deuxième herbicide pour le plaisir... En fait, une combinaison de deux herbicides « pourrait » tout autant entraîner une réduction des doses...
Euractiv a aussi recueilli l'opinion de M. Éric Gall, responsable politique de la branche bruxelloise de l'IFOAM, le lobby de l'agriculture biologique. Lui aussi se dit préoccupé par une possible – la phrase utilise aussi une forme de conditionnel – utilisation accrue de pesticides en dehors de l'UE, compte tenu de
« l'impact négatif prouvé sur l'environnement et la biodiversité qui est lié à l'application de ces pesticides de synthèse. »
Ah, « de synthèse »... L'agriculture biologique est maintenant condamnée à occulter le fait qu'elle utilise aussi des pesticides et à défendre cette utilisation.
Sur son blog, Mme Amanda Zaluckyj, aka la Fille du Fermier, présente un autre point de vue dans « European Union approves Bayer’s New GMO XtendFlex Soybean » (l'Union Européenne approuve le nouveau soja XtendFlex de Bayer) :
« Notez que l'approbation de l'UE pour le soja GM ne concerne que l'alimentation humaine et animale, et non la culture. Les agriculteurs européens ne sont donc pas autorisés à le cultiver. À bien y réfléchir, cette autorisation constitue un avantage pour les agriculteurs étrangers, sanctionné par le gouvernement, puisque les agriculteurs européens sont désavantagés. Cela semble si rétrograde. »
Non, cela ne semble pas... c'est...
Voici encore pour la route :
« C'est une évolution intéressante car beaucoup de gens ont l'impression que tous les pays européens ont "interdit" les OGM. Ce n'est pas le cas. Ils ne permettent pas nécessairement à leurs agriculteurs de tirer profit de la biotechnologie et de ses avantages. »
Le « nécessairement » s'impose parce que le maïs MON 810, résistant à la pyrale et à la sésamie, a été autorisé grâce à un concours de circonstance et qu'il est utilisé, à la grande satisfaction des producteurs, en Espagne et marginalement au Portugal.
Et cette politique – l'absence de courage politique-- ne se fait pas seulement au détriment des agriculteurs, mais de la société tout entière puisqu'elle péjore notre souveraineté alimentaire.