Néonicotinoïdes : les pitreries rhétoriques de l'eurodéputé Éric Andrieu
(Source)
L'adoption par l'Assemblée nationale, le 6 octobre 2020, du projet de loi relatif aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières a « inspiré » l'eurodéputé Éric Andrieu, du Parti Socialiste en France (enfin de ce qu'il en reste) et du Groupe de l'Alliance Progressiste des Socialistes et Démocrates au Parlement Européen.
Sa page sur Internet présente en premier point « Mon combat contre les pesticides ». On voit de suite les priorités de ce produit du scrutin de liste...
C'est, à l'heure où nous postons, au-dessus d'une illustration qui en fera bondir plus d'un...
La décision de l'Assemblée Nationale n'étant pas du goût de M. l'eurodéputé, celui-ci en appelle à l'Union Européenne pour qu'elle tape sur les doigts de Marianne... Si vous faites défiler les images en haut de page (à l'heure où nous postons), la deuxième s'intitule prudemment : « L'Europe pourrait faire annuler la décision française sur les néonicotinoïdes ! » Cela date du 26 août 2020, du temps où la décision du gouvernement français n'était pas encore prise.
« Néonicotinoïdes : la France coupable, l'Europe doit agir ! » ? Le projet de loi n'a franchi pour l'instant que la première étape législative... mais la France est déjà dans le box des accusés, pointée du doigt par un Andreï Wychinski obnubilé par les pesticides.
L'image – des abeilles évidemment – renvoie à un texte daté du 6 octobre 2020, du jour de l'adoption du projet de loi en première lecture.
On en reste aux incantations et gesticulations.
La loi serait un reniement « aux (sic) promesses environnementales de la France » (sic), « aux responsabilités qui incombent aux dirigeants d’un État de garder ses citoyens en bonne santé, de les préserver du danger, de prôner l’intérêt général ». M. Éric Andrieu « s'insurge », évidemment : « À toutes ces tâches, les dirigeants français ont failli ! »
Dans la mesure où c'est l'Assemblée Nationale qui a – souverainement – adopté un projet de loi en première lecture, c'est plutôt le bon sens qui a failli.
Mais lisez bien ce paragraphe :
« De plus, cette décision pourra faire jurisprudence. Il suffira qu’un secteur se déclare en difficulté économique, et que l’État soit incapable de gérer la situation pour que toutes les mesures progressistes prises auparavant soient annulées. "Aujourd’hui les betteraviers, demain pourquoi pas les producteurs de tabac ?" »
Pourquoi pas le cannabis pendant qu'on y est (pas la vigne... le discours serait certainement différent) ? Mais cela signifie que quel que soit le problème à résoudre « les mesures progressistes » doivent prévaloir, même quand on s'est tiré une balle dans le pied en arrachant au passage une autre partie, appelée « parties »...
Passons sur les accusations d'incompétence du gouvernement et l'agitation des « conséquences désastreuses ». M. Éric Andrieu déclame :
« Alors que nous traversons une crise sanitaire qui a prouvé à tous que la destruction des écosystèmes représente un immense danger, la France recule… et se détourne de l‘intérêt de ses citoyens. »
C'est un non sequitur, un gloubi-boulga, autant dire n'importe quoi.
Et, pour la finale :
« Je rappelle que la France ayant prouvé son incompétence en matière environnementale, l’Europe peut encore agir. Une enquête pourrait être menée sous peu. Si elle détermine que la dérogation française n’était pas indispensable, elle pourrait être cassée ».
Après les grandes envolées lyriques, voici les conditionnels de prudence. C'est que, nonobstant tout ce qui a été écrit auparavant, la dérogation « pourrait » quand même être « indispensable »... On est dans le jeu politicien, les citoyens ne sont pas pris au sérieux.
Le même jour, M. Éric Andrieu est, semble-t-il, interrogé par France Info. Cela donne sur la toile « Néonicotinoïdes : le député européen Eric Andrieu saisi (sic) la Commission européenne "pour vérifier que (sic) cette décision est abusive" ».
C'est "osé" comme interprétation de la question posée à la Commission ! (Source)
Nous n'en croyons pas un mot : à ce stade, il n'y a aucune base légale pour que la Commission se prononce. À moins qu'il y ait cachotterie ou oubli de tonitruer, M. Éric Andrieu n'a fait que déposer une « Question avec demande de réponse écrite à la Commission » en vertu de l'article 138 du règlement intérieur du Parlement. Le point clé ?
« A l’aube du Green Deal, pour l’intérêt général, environnemental et sanitaire, la Commission européenne accepte-t-elle d’enclencher cette procédure de suspension ? »
En chapô de l'article de FranceTVInfo :
« Selon l'eurodéputé socialiste, la Commission peut annuler une dérogation abusive concernant l'utilisation de produits chimiques. »
Oui... mais il n'y a pas (encore) de dérogation...
« "J'ai saisi la commission dès que j'ai appris que les dérogations allait (sic) se poser", explique Eric Andrieu. "Au niveau européen, il existe une possibilité, à l'article 53 du règlement européen sur les produits phyto pharmaceutiques, qui permet à la commission de suspendre ou d'annuler une dérogation nationale abusive quant à l'utilisation des produits chimiques." Selon Eric Andrieu, "nous sommes dans ce cas".
Ben non, nous ne sommes pas « dans ce cas » à lire ses conditionnels de prudence de sa page Web...
Puisqu'on le verra souvent invoqué, voici l'article 53 du Règlement (CE) N° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les directives 79/117/CEE et 91/414/CEE du Conseil :
« Article 53
Situations d’urgence en matière de protection phytosanitaire
1. Par dérogation à l’article 28 et dans des circonstances particulières, un État membre peut autoriser, pour une période n’excédant pas cent vingt jours, la mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques en vue d’un usage limité et contrôlé, lorsqu’une telle mesure s’impose en raison d’un danger qui ne peut être maîtrisé par d’autres moyens raisonnables.
L’État membre concerné informe immédiatement les autres États membres et la Commission de la mesure adoptée, en fournissant des informations détaillées sur la situation et les dispositions prises pour assurer la sécurité des consommateurs.
2. La Commission peut solliciter l’avis de l’Autorité ou lui demander une assistance scientifique ou technique.
L’Autorité communique son avis ou les résultats de ses travaux à la Commission dans le mois suivant la date de la demande.
3. Si nécessaire, il est décidé, selon la procédure de réglementation visée à l’article 79, paragraphe 3, si et dans quelles conditions l’État membre:
a) peut ou ne peut pas prolonger ou répéter la durée de la mesure; ou
b) retire ou modifie la mesure prise.
4. Les paragraphes 1 à 3 ne s’appliquent pas aux produits phytopharmaceutiques contenant des organismes génétiquement modifiés ou composés de tels organismes, sauf si cette dissémination a été acceptée conformément à la directive 2001/18/CE. »
La « procédure de réglementation visée à l’article 79, paragraphe 3 »... ta daaa... renvoie aux « articles 5 et 7 de la décision 1999/468/CE », qui prévoient la consultation, par la Commission, d'un comité de réglementation, donc des États membres.
On voit mal les États betteraviers s'opposer à une dérogation française, eux qui ont déjà majoritairement accordé des dérogations. M. Éric Andrieu le sait sans nul doute...
C'est un entretien qui a été publié le 8 octobre 2020. « …sacrifice de la biodiversité »... quelle exagération !
On reste évidemment dans la stratégie du disque rayé et du mille-feuille argumentatif. Notons cependant ce qui est peu-être une variation par rapport à la déclaration précédente :
« Donc il va y avoir enquête de la Commission, que j’avais déjà saisie il y a quelques semaines quand j’avais appris l’intention du gouvernement de revenir sur l’interdiction des néonicotinoïdes, pour vérifier si l’attitude de la France est, ou non, abusive. »
Non, la Commission n'a pas encore répondu...
Et, dans le mille-feuille :
« Si, à chaque fois qu’un secteur est en crise pour des problèmes conjoncturels, on passe par des dérogations systématiques, l’exception devient la règle. Est-ce que la santé humaine est une priorité politique, un intérêt général, ou pas ? On ne peut pas, d’un côté être volontaristes sur le climat, valider le « green deal européen », la stratégie de biodiversité, et, de l’autre, agir à l’inverse. Nous sommes dans l’incohérence la plus totale. Aujourd’hui la parole publique est entièrement démonétisée. »
Pour la dernière phrase, il y a une expression courante : « Tu l'a dis... »
Terminons comme lui en apothéose :
« On ne peut pas tenir des grands discours et reculer dès qu’on est confronté à la réalité. »
Quand la réalité se heurte aux discours... passons outre...