M. – oups ! Dr – Jean-Marc Bonmatin : « Il y a plein de méthodes alternatives pour cultiver la betterave »... mais lesquelles, SVP ?
À l'heure où nous nous avons commencé à écrire (6 octobre 2020, après-midi), la farce se poursuivait et entrait dans sa phase finale à l'Assemblée Nationale ; après la promenade du maître par les chiens, la loi était adoptée quasiment à deux contre un.
313 Pour - 158 Contre
— LCP (@LCP) October 6, 2020
>> L'Assemblée nationale adopte le projet de loi permettant une réintroduction provisoire des #néonicotinoïdes pour la filière de la betterave sucrière.#DirectAN #QAG pic.twitter.com/cbH9ISqsZa
Ce n'est évidemment que le premier acte. Il y aura le Sénat, peut-être une commission mixte paritaire et, sans doute, une ou plusieurs saisines du Conseil Constitutionnel, voire un signalement à la Cour de Justice de la République ou de la Haute Cour (annonce du « Président Mélenchon » comme l'interpellait M. Julien Denormandie).
Rappelons que la première est compétente pour juger les crimes ou délits commis par les membres du gouvernement dans l’exercice de leurs fonctions... quel crime, quel délit en l'occurrence ? Avec la complicité de la représentation nationale ? Et la deuxième pour juger le Président de la République en cas de trahison... Décidément, il n'y a plus de limite !
Les opposants à la mesure proposée – la possibilité d'accorder des dérogations pour l'enrobage des semences de betteraves avec un néonicotinoïde – ont fait le forcing dans les médias et sur les réseaux sociaux durant le week-end.
Les méthodes utilisées et les arguments déployés sont tout simplement pathétiques (voir par exemple M. Nicolas Hulot dans le JDD).
La Fondation Nicolas Hulot a fait particulièrement fort. Cette comparaison – si tant est qu'elle soit juste ou simplement crédible – implique que toutes les abeilles disparaîtraient avec l'enrobage des semences de betteraves avec des néonicotinoïdes. Mais plus c'est gros... (source)
Dans le lot, il y a/avait, sur FranceTVInfo, le 5 octobre 2020, « Néonicotinoïdes : "Il y a plein de méthodes alternatives pour cultiver la betterave", assure un chercheur ».
Merveilleux « journalisme » ! On interroge... on note... on ne se pose pas de questions... on régurgite... on sert la soupe...
En chapô :
« Le chercheur au CNRS, Jean-Marc Bonmatin, s'oppose sur franceinfo au projet de loi visant à réautoriser les néonicotinoïdes, notamment pour la culture de la betterave. »
Le texte est suffisamment court pour ne pas trop souffrir de la loi de Brandolini – la loi qui dit qu'en bref, il faut dix fois plus d'efforts pour réfuter du bullshit que pour le formuler.
Le titre – certes pas de la plume de M. Jean-Marc Bonmatin – est une escroquerie. Il laisse entrevoir des explications sur les « méthodes alternatives »... mais il n'y a rien sur ce sujet !
Il faudra se contenter de :
« ...Pourtant, "il y a plein de méthodes alternatives qui permettent de cultiver la betterave", assure Jean-Marc Bonmatin, chercheur pour le CNRS, invité de franceinfo ce lundi 5 octobre, et opposé à la réintroduction du produit. »
(Source)
La suite est une illustration d'un sophisme, le non sequitur :
« "La culture de la betterave n'est pas alliée avec les néonicotinoïdes", explique le chercheur. "C'est une culture ancienne et traditionnelle". Face au retour possible des néonicotinoïdes, Jean-Marc Bonmatin accuse surtout la course à la rentabilité. "Le problème, c'est que les betteraviers font aujourd'hui face à une concurrence effrénée des pays de l'Est et de l'Amérique latine. Ils sont amenés à essayer de produire le moins cher possible et les néonicotinoïdes permettent ce type de productions intensives". »
Il faut oser ! Quand le défi à relever est un problème de maladie virale propagée par des pucerons... on accuse la course à la rentabilité et la concurrence étrangère effrénée.
(Source)
Visiblement, le militant l'emporte sur le scientifique.
On passe ensuite à un déni de réalité assaisonné au non sequitur :
« "Je comprends le souci des betteraviers" affirme Jean-Marc Bonmatin mais ajoute que ce n'est selon lui "pas la mort de la filière", dont la production est menacée à hauteur de "10 ou 15%", alors qu'elle a été "multipliée par deux ou par trois sur les 30 dernières années". »
Il faut oser ! Quand des producteurs accusent des pertes de 40 à 50 % ou même dépassant les 50 %... en moyenne, ce n'est pas grave...
Et en quoi le problème est-il changé parce que la production a augmenté ? Du reste, nous avons eu l'impudence de vérifier sur FAOstat... ne jamais croire un militant sur parole... En moyenne triennale (2016-2018 v. 1986-1988), la production a augmenté de... 50 %... seulement
Vient ensuite le YAKA :
« Je pense qu'il vaudrait mieux aider les betteraviers à passer ce mauvais cap plutôt que de réintroduire des néonicotinoïdes, qui ont été interdits au bout de 20 ans de recherches et sur décision des parlementaires en 2016. »
C'est évidemment le discours convenu, moult fois lu ou entendu. Mais c'est encore du hors-sol : il ne s'agit pas de « passer ce mauvais cap » – question certes pertinente car il y a à notre sens faute lourde de l'État – mais de mettre une solution à disposition pour que « ce mauvais cap » ne se reproduise pas.
Quant aux 20 ans de recherches, nous savons qu'elles furent souvent orientées, « malades du militantisme et de l'idéologie » selon une formule de M. Marcel Kuntz et qu'un « groupe de travail » s'est même constitué dans le but exprès d'alimenter l'activisme anti-néonicotinoïdes et fipronil. Devinez qui en est membre...
Aux sources de la Task Force on Systemic Pesticides (groupe de travail sur les pesticides systémiques) (Source)
« Nous essaierons de rassembler quelques grands noms du monde scientifique comme auteurs de ce document. Si nous réussissons à faire publier ces deux documents, il y aura un impact énorme, et une campagne menée par le WWF, etc. pourra être lancée immédiatement. Il sera beaucoup plus difficile pour les politiciens d’ignorer un document de recherche et un document de forum des politiques publiés dans Science. La chose la plus urgente est d’obtenir le changement de politique nécessaire et de faire interdire ces pesticides, pas de lancer une campagne. Une base scientifique plus solide devrait se traduire par une campagne plus courte. [...] »
La peur est un argument puissant pour convaincre... et dévastateur pour décider. Air connu : les néonicotinoïdes sont dangereux pour l'environnement et néfastes pour la biodiversité. Mais ce n'est pas suffisant :
« "Et il y a aussi des impacts sur la santé humaine !", explique le chercheur. »
Tellement néfastes qu'on en utilise dans des stickers anti-mouches ou encore comme anti-puces pour chiens et chats !
(Source)
Ce n'est évidemment pas encore assez :
« Ces pesticides peuvent être retrouvés pour les plus résistants 30 ans après leur dernière utilisation... »
Que signifie « retrouvés » ? Rien ! Enfin, peut-être « une trace ».
Ce genre d'affirmation est à comparer aux durées de demi-vie dans le sol. Comme nous l'avons déjà écrit, ce sont des données délicates à établir car elles sont tributaires de plusieurs facteurs comme la nature et les caractéristiques physico-chimiques et biologiques du sol et les conditions climatiques.
(Source)
Prenons le cas le plus défavorable : une demi-vie de 1.386 jours, soit 3,8 ans. En 30 ans, la quantité de clothianidine se sera divisée par 2 sur en gros 8 cycles, soit d'un facteur 256.
Mais il est vrai qu'il y a une publication qui a articulé le chiffre faramineux – calculé – de 7.000 jours, soit 19 ans, dans un type particulier de sol (page 30)... La technique du militant : argumenter sur la base du pire cas... Le scientifique, lui, argumenterait sur la base d'une situation moyenne ou médiane, ou indiquerait la plage entre le minimum et le maximum...
Enfin :
...et se retrouve (sic) dans toute l'alimentation. "Les néonicotinoïdes ont eu un tel succès commercial que 100% quasiment de la nourriture qui est produite dans le monde en contient", alerte-t-il. "Nous avons publié récemment une étude qui montre que 50% de la nourriture dans le monde qui en comporte est au-dessus du seuil de danger pour le public. Donc, je vous mets au défi de faire un seul repas dans l'année sans en consommer, que ce soit dans les fruits, dans les légumes, dans les boissons, le vin et même l'eau", détaille Jean-Marc Bonmatin. »
Pour notre problème, en France, il s'agit de néonicotinoïdes enrobant des semences de betteraves – dont le produit final sera du sucre quasiment pur... on vient nous faire peur avec des néonicotinoïdes (prétendument) sur tous les aliments, dans le monde...
Nous voici incité, voire contraint, de nous en référer à la lamentable agit-prop récente de Générations Futures ! Exploitant les chiffres de la DGCCRF, la petite entreprise n'avait trouvé que 10,67 %, loin des 100 % allégués, dans les fruits et légumes et quelques autres denrées. Et comme elle n'a pas gesticulé sur les dépassements, c'est 0 % contre 50 %.
C'est aussi sans oublier les rapports que l'Autorité Européenne de Sécurité des Aliments (EFSA) produit annuellement (le dernier en date) : d'une manière générale, un peu plus de la moitié des échantillons sont sans résidus détectables, tous résidus confondus, et seuls quelques pour cent dépassent les limites maximales de résidus.
Les résultats du programme coordonné de l'Union Européenne en un coup d'œil (source)
L'article dont il a été question est probablement celui-ci. L'allégation de « 100% quasiment » n'y est aucunement accréditée. Est-elle compatible avec ce graphique de leur étude portant sur les États-Unis d'Amérique (seul celui de gauche est pertinent – les produits sont présentés par ordre décroissant de fréquence de détection) ?
Voici encore un extrait d'un document canadien sur la « contamination » de produits alimentaires par les néonicotinoïdes aux États-Unis d'Amérique :
« Pour la période ciblée, plus de 645 980 échantillons, représentant 103 produits alimentaires, ont été analysés. Les pesticides à l’étude ont principalement été détectés dans les fruits et légumes. La fréquence de détection (FD) annuelle pour des néonicotinoïdes dans chacun de tous ces produits alimentaires était habituellement inférieure à 20 %. La FD moyenne pour toute la période de l’étude a été de 4,5 %, tant pour les produits domestiques que pour les produits importés. Pour toutes les catégories d’échantillons (domestiques et importés), l’imidaclopride était l‘insecticide le plus souvent détecté, avec une FD de 12,0 %.
Cependant, plusieurs combinaisons aliments-pesticides ont montré des FD beaucoup plus élevées :
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cerise (45,9 %), pomme (32,5 %), poire (24,3 %) et fraise (21,3 %); pour l’acétamipride;
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chou-fleur (57,5 %), laitue (45,6 %), épinard (38,7 %), chou kale (31,4 %), pomme de terre (31,2 %), coriandre (30,6 %), raisin (28,9 %), chou vert (24,9 %), cerise (26,3 %), et céleri (20,9 %); pour l’imidaclopride. »
« ...100% quasiment de la nourriture » (version Bonmatin) ou une fréquence de détection de 4,5 % en moyenne (version chiffres officiels) ?
Nous ne sommes plus ici dans le cadre de la « science malade du militantisme et de l'idéologie » et de sa vulgarisation mais, si on veut garder la référence à la science, de celui d'une « science moribonde... », voire morte.