« Les gardiens de la raison » de FHL et le climato-scepticisme allégué de l'AFIS : une réponse cinglante de M. François-Marie Bréon
Les auteurs de « Les gardiens de la raison – Enquête sur la désinformation scientifique » – M. Stéphane Foucart, Mme Stéphane Horel et M. Sylvain Laurens – s'en sont pris violemment à l'Association Française pour l'Information Scientifique (AFIS). Motif non dit : elle est « coupable » de diffuser la « vraie » science, pas celle qui est « malade du militantisme et de l'idéologie » selon la formule de M. Marcel Kuntz. La leur en somme.
L'AFIS a produit une mise au point, « Journalisme d’insinuation : après les articles, le livre ».
M. François-Marie Bréon – directeur adjoint du Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement (LSCE), contributeur au chapitre « Forçages radiatifs naturels et d’origine anthropique » du cinquième rapport du GIEC ainsi qu'au « Résumé pour les décideurs » et membre du conseil d'administration de l'AFIS – en a produit une autre dans son domaine de compétence dans un fil Twitter. Pour ses contributions aux activités intellectuelles de l'AFIS, c'est ici.
Les auteurs de « Les gardiens de la raison » consacrent de longues pages à l'AFIS et au climat. Voici de l'introduction :
« ...Cherchant sans cesse l’aval d’acteurs de terrain, les stratèges de l’industrie ne s’encombrent d’aucun scrupule, embarquant au passage la réputation et le prestige de petites associations qui ont, pendant des décennies, défendu l’éducation populaire à la science et la médiation scientifique avec autant de patience que de conviction. Tel a été le destin de l’Association française pour l’information scientifique (Afis), dont il sera longuement question dans ce livre. Cette héritière du mouvement rationaliste proclame promouvoir la science et défendre son intégrité. Elle a pourtant été la première importatrice du climatoscepticisme et d’autres mensonges sponsorisés par de grands groupes états uniens. »
C'est, là, sur le mode soft. Ce sera plus saignant par la suite.
Plus loin (pp. 51 et seq.), il est question d'« un certain Charles Muller » et de son article, « Quelques éléments de critique sceptique », publié dans le numéro 280, de janvier 2008, de « Science... et Pseudosciences », la revue de l'AFIS. En bref, ce M. Charles Muller, de son vrai nom Charles Champetier, aurait introduit le climato-scepticisme en France. Et l'AFIS ?
« En janvier 2008, Science & pseudo-sciences, la revue de vulgarisation de l’Association française pour l’information scientifique (Afis), offre à Charles Muller un blanc seing rationaliste en publiant, aux côtés d’un article du climatologue Michel Petit, un long texte de lui, qui détaille ses "éléments de critique sceptique" de la science climatique. Et ce, même si de nombreux éléments présentés dans le texte, bien que parés d’un vernis scientifique, ont été réfutés de longue date, ou relèvent d’une présentation partielle du savoir disponible.
C'est suivi d'un dézinguage de l'auteur, y compris par le déshonneur par association, et d'une mise en cause de l'AFIS :
« Le relais d’une association d’amateurs de science comme l’Afis constitue une étape décisive dans la propagation et le succès des thèses climatosceptiques en France dans les années suivantes, que ce soit dans le grand public ou dans les cercles savants étrangers aux sciences du climat. »
Et voici maintenant M. François-Marie Bréon (nous éditons un peu les gazouillis :
« Je suis légitime pour discuter de cette question puisque, climatologue de profession, cela fait plus de 15 ans que je combats les climato-sceptiques. J'ai même publié, à l'invitation et avec l'aide de M. Stéphane Foucart, une pleine page dans Le Monde. »
C'était « Les contre-vérités du dernier pamphlet climatosceptique », publié le 28 octobre 2013.
« Mais ça, c'était avant qu'il ne me bloque sur Twitter comme à peu près tous ceux qui ne pensent pas exactement comme lui, et qui deviennent alors des "trolls" à ses yeux. »
M. François-Marie Bréon admet que l'article en cause expose des arguments des climato-sceptiques de l'époque qui avaient déjà été réfutés et regrette qu'il ait été publié. Admettons. Les jugements a posteriori peuvent souffrir d'un biais d'anachronisme (et peut-être de repentance).
M. François-Marie Bréon relève ensuite un premier élément du dossier consacré au climat :
« Mais, FHL [les auteurs] oublie opportunément de rappeler que, dans le même numéro, l'AFIS donnait plus de place à une présentation de l'état des connaissance sur le climat, tel qu'exposé par le GIEC (article de Michel Petit, représentant français au GIEC). »
C'est exact : l'article de M. Michel Petit a bien été mentionné par FHL, mais de manière incidente, en quelque sorte désinvolte. Cela ne suffit cependant pas pour éviter le carton rouge du picorage (cherry picking) et de la manipulation.
« De manière générale, une lecture du numéro complet donne une image à 180° de ce que FHL décrivent. »,
écrit encore M. François-Marie Bréon, citant un extrait de l'introduction au dossier que nous complétons légèrement, avec le paragraphe qui avait clos cette partie :
« Science et pseudo-sciences a voulu, dans ce dossier, éclairer ses lecteurs. Michel Petit, physicien de renommée internationale, a représenté la France dans le bureau du Groupe Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat (GIEC). Il expose ici l’état du consensus tel qu’établi par le GIEC : les résultats scientifiques, mais aussi les incertitudes associées. En complément, il nous a semblé pertinent de faire état d’opinions de scientifiques ne partageant pas les conclusions du GIEC : c’est l’article du journaliste scientifique Charles Muller. Nous ne pensons pas, sur cette question comme sur d’autres, que "la vérité est au milieu", mais la réflexion de chacun d’entre nous doit pouvoir s’alimenter le plus librement et le plus largement possible. À ce propos, Jean Günther éclaire le débat qui a agité nos amis sceptiques d’outre-Atlantique.
En tout état de cause, que l’on partage les conclusions du GIEC, ou que l’on s’interroge, les opinions divergentes ne peuvent pas être diabolisées a priori. »
L'AFIS aurait donc joué un rôle essentiel dans la propagation du climato-scepticisme :
« FHL affirme que cet article a été "une étape décisive dans la propagation et le succès des thèses climatosceptiques en France". Bien sur, sans le moindre élément en ce sens. A l'époque, les climato-sceptiques médiatiques étaient Claude Allègre, Vincent Courtillot, Serge Galam. »
Suit une description du paysage médiatique, avec une insistance particulière sur l'insignifiance de M. Charles Muller/Champetier.
L'article de l'AFIS aurait « fait exploser le climatoscepticisme en France » ?
« C'est tout de même risible vu que, à la même époque, le journal Le Monde publiait des tribunes climato-sceptiques (auteurs : Allègre, Galam…) avec une audience qui était tout autre que celle du modeste SPS. »
En conclusion :
« Pour moi, qui prétend être en bonne position pour connaître ce dossier, les quelques pages consacrées à l'article de Muller démontrent surtout l'imagination fertile des auteurs.
Il est manifeste qu'ils essayent par cette voie de salir l'AFIS qui est un empécheur de tourner en rond sur leurs obsessions liées au glyphosate et autres pesticides*.
*de synthèse »
Et cela vient avec deux post scripta :
« Je précise que je ne suis pas cité dans le bouquin de FHL. Certes, ça m'a beaucoup vexé, mais je m'en suis remis. Mon interprétation est qu'un climatologue, auteur du GIEC, membre du CA de l'AFIS, ça ne rentre pas bien dans leur storytelling. Mieux vaut donc éviter de me citer.
Le souci de la vérité impose de dire que, en 2010, SPS a aussi publié un article de Courtillot et un de Rittaud. Il n’y a donc pas eu un seul article climatosceptique. FHL insiste sur Muller ; donc je fais de même. »
Allez, une dernière pour la route... de « Les gardiens de la raison » :
« La revue [Science... et Pseudosciences] ne précise pas non plus que Charles Muller est le pseudonyme de Charles Champetier, ancien rédacteur en chef de la revue Éléments et ancien conseiller de l’idéologue Alain de Benoist, caution intellectuelle de la droite la plus dure. Depuis, il a également écrit plusieurs ouvrages avec l’essayiste Peggy Sastre, alors membre du comité éditorial de l’Afis et future collaboratrice de l’hebdomadaire Le Point. »
Ils ont perdu la raison...