« Disparition » des insectes et des oiseaux : comment la « science » militante ou poubelle pollue le débat politique
80 % des insectes européens ont disparu en trente ans... ou peut-être seulement 25 %...
On ne se refuse aucune outrance chez LFI. Plus c'est gros... (Source)
Le projet de loi « relatif aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire » – les députés ont ajouté en commission : « pour les betteraves sucrières » – doit permettre d'accorder des dérogations pour l'enrobage de semences de betteraves avec un néonicotinoïde pour lutter contre la jaunisse. Dans les empoignades homériques sur ce texte, on entendra souvent que les insectes ont disparu à grande échelle et, bien évidemment, que c'est la faute aux néonicotinoïdes.
Interviewé dans Challenges, le député Cédric Villani déclare ainsi : « Or, nous avons déjà perdu 80% des populations d'insectes sous nos contrées occidentales. » Et, pour faire bonne mesure : « Un effondrement inouï! » Et, à la Philippulus : « Ce qui nous guette, c'est le désert biologique. »
La diminution de l'abondance de l'entomofaune au cours des dernières décennies ne fait pas vraiment débat. Quant aux chiffres, et aux causes, c'est une autre histoire.
Prenons-le d'UP Magazine du 18 février 2019, qui a un peu forcé la dose : « 80 % des insectes européens ont disparu en trente ans ». Mais pour Numerama du 25 avril 2020, c'est : « 25 % des insectes ont disparu en 30 ans, mais l’espoir n’est pas perdu ».
Le deuxième chiffre provient d'une méta-analyse publiée dans Science, « Meta-analysis reveals declines in terrestrial but increases in freshwater insect abundances » (une méta-analyse révèle des déclins de l'abondance des insectes terrestres, mais des augmentations pour les insectes d'eau douce) de Roel van Klink et al.
Nous n'entrerons pas dans cet article, puisqu'il n'est pas suffisamment anxiogène... Mais relevons l'importance du problème de la « vérité scientifique » en attrayant une autre étude :
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D'un coté, donc, Roel van Klink et al. ; de l'autre, Francisco Sánchez-Bayo et Kris A.G. Wyckhuys (notoirement militants) et leur « Worldwide decline of the entomofauna: A review of its drivers » (déclin mondial de l'entomofaune : une analyse de ses causes – pour des critiques de cet article, voir ici).
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D'un côté, une compilation de 166 études à long terme sur 1.676 sites ; de l'autre, une revue de 73 rapports historiques (géographiquement non représentatifs de la situation mondiale).
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D'un coté, on trouve, en bref, « environ –9 % pour les insectes terrestres et +11 % pour les insectes aquatiques par décennie » ; de l'autre, on affirme que 40 % des espèces d'insectes sont menacées d'extinction.
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D'un coté, on évoque les décennies passées, pour lesquelles on a des chiffres ; de l'autre, ce sont les décennies à venir (sans plus de précision), pour ce qui relève des horoscopes de Mme Irma.
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D'un coté, c'est une étude connue quasiment des seuls spécialistes ; de l'autre, c'est un article largement médiatisé, pris pour vérité biblique.
Le chiffre de 75 % de déclin en trois décennies est souvent articulé. Il est à l'origine des 80 % évoqués ci-dessus.
Une des sources – pour « une légende scientifique » selon les mots et l'analyse de M. Philippe Stoop dans European Scientist – est : « More than 75 percent decline over 27 years in total flying insect biomass in protected areas » (un déclin de plus de 75 pour cent en 27 ans de la biomasse totale d'insectes volants dans des zones protégées), de Caspar A. Hallmann et al. Notez que dans le « et al. », il y a le très militant Dave Goulson... signal d'alerte...
Immédiatement et largement médiatisée, l'étude est devenue un totem autour duquel dansent les tenants de l'« écologie » décroissante et punitive, et maintenant les opposants au projet de loi précité.
Le Monde Planète s'était fendu le 18 octobre 2017 d'un : « En trente ans, près de 80 % des insectes auraient disparu en Europe ». Avec un chapô alarmiste, sans le conditionnel journalistique de prudence : « Ce déclin catastrophique est dû à l’intensification des pratiques agricoles et au recours aux pesticides. Il menace la chaîne alimentaire. »
Le titre de l'article scientifique annonce pourtant la couleur : il s'agit d'insectes volants et de zones protégées, non ou peu intensément cultivées, et ce, dans le nord de l'Allemagne.
Les auteurs ont même précisé avec des précautions oratoires :
« L'intensification agricole [17, 20] (par exemple l'utilisation de pesticides, le labour à longueur d'année, l'utilisation accrue d'engrais et la fréquence des mesures agronomiques) que nous n'avons pas pu incorporer dans nos analyses peut constituer une cause plausible. »
Ils se sont néanmoins livrés à des modélisations ultra-acrobatiques et des interprétations audacieuses. Le problème est cependant plus fondamental encore : le tableau suivant montre qu'ils ont exploité des relevés faunistiques disparates. La majorité des lieux n'a été échantillonnée qu'une fois, et il n'y a pas de série de données continue pour un même emplacement.
Le Pr Walter Krämer – une autorité en matière de statistiques – a déclaré à die Welt :
« L'échantillonnage a été fait en deçà du sérieux scientifique habituel. Ce sont des emplacements aléatoires qui ont été changés encore et encore . Les données sont donc de mauvaise qualité et non généralisables. D'un point de vue statistique, il y a eu beaucoup de choses qui ont été faites de manière sub-optimale. »
Il a eu des propos plus cinglants sur le laxisme des médias qui ont fait leurs choux gras avec cette étude. Mais patience !
Les résultats principaux de l'étude se résument dans le graphique suivant (s'il n'est pas suffisamment lisible, allez ici) :
Les trois traits gris représentent la tendance, avec les intervalles de confiance, en tenant compte de la météorologie, des paysages et des habitats ; le trait noir, la régression linéaier, soit la tendance générale.
PLOS One a une section commentaires. Un commentateur a trituré les chiffres et produit deux graphiques. Le premier porte sur l'ensemble de la période 1989-2016 (c'est celui des auteurs, mais simplifié) :
Pour le second, il a produit deux droites de régression, pour les périodes 1989-2006 et 2007-2016. La raison est simple : ces deux périodes ont manifestement connu des évolutions différentes.
Le commentateur ajoute que la pente de la première droite de régression est fortement influencée par les résultats de la première année et que, sans ceux-ci, elle devient très faible. Il n'y aurait donc pas eu de déclin, tout comme pour la deuxième période comme le montre sa droite de régression. En bref, il y a deux périodes avec des résultats relativement constants, et quelque chose s'est passé entre 2006 et 2007.
M. Philippe Stoop arrive à la même conclusion, mais il nous livre aussi une explication vraisemblable :
« Or ces deux périodes correspondent manifestement à un changement de protocole de suivi, non mentionné par les auteurs, mais qui se détecte facilement à l’examen des données détaillées mises en annexe S1 de l’article : la durée moyenne de séjour des insectes dans le piège est passé d’une à deux semaines entre ces deux périodes, ce qui a très probablement influé fortement sur leur taux de déshydratation… et donc sur leur biomasse fraiche, seule variable considérée dans cet article ! »
Le graphique retravaillé par M. Philippe Stoop. Il a écrit :
« Extrait de la Fig. 4a de Hallmann et al 2017 (biomasse moyenne d’insectes capturés quotidiennement). Nous avons retiré la droite de régression pour faciliter la lecture des données. Les couleurs ne sont pas celles du graphe initial. Nous avons mis ici en bleu les années 1989 à 2006 (délai moyen entre relevés des pièges : 1 semaine) ; en orange : années 2007 à 2016 (délai moyen entre relevés des pièges : 2 semaines). Ces délais moyens de relevés (non indiqués explicitement dans l’article) ont été calculés à partir des données du supplément en ligne S1. »
Notons incidemment que M. Philippe Stoop démonte une autre étude avec maestria dans le même article de European Scientist.
Qu'avait déclaré le Pr Walter Krämer à propos des médias ?
« Ce qui m'énerve, c'est que les médias – même les titres de qualité comme FAZ, SZ, ZEIT et dpa – reprennent n'importe quelle connerie sans vérifier. Ils ont pourtant l'obligation de regarder de plus près. »
C'est ce que nous pouvons aussi déclarer à propos de nos députés qui reprennent... (bis), mais dans notre cas avec des conséquences potentielles très graves sur notre économie et notre société.
M. Cédric Villani s'est aussi armé pour son argumentation de la disparition des oiseaux :
« Ce qui est en jeu, c'est la disparition de la vie. S'il n'y a plus d'insectes, il n'y a plus d'oiseaux, s'il n'y a plus d'oiseaux, c'est l'ensemble du vivant qui s'écroule. »
Comment faire pour incriminer l'agriculture, évidemment intensive ou « industrielle », et implicitement les pesticides, et surtout les néonicotinoïdes ? Ici, la référence princeps n'est même pas un article scientifique !
Le 20 mars 2018, le Muséum National d'Histoire Naturelle (MNHN) publiait un « Le printemps 2018 s'annonce silencieux dans les campagnes françaises » qui fleurait bon, dès le titre, la propagande. « [L]es oiseaux des campagnes françaises disparaissent à une vitesse vertigineuse », écrivait-on. L'article comportait un graphique, peu lisible, montrant l'évolution des oiseaux généralistes, forestiers et agricoles de 1988 à 2018:
Il n'y a pas, notamment, les espèces des milieux bâtis...
Ce graphique a une sorte de cousin, tiré du site de l'Inventaire National du Patrimoine Naturel (c'est toujours le Muséum), d'un article portant le même titre anxiogène. Là, on présente l'évolution des espèces des milieux forestiers (-3 %), bâtis (-30%) et agricoles (-33%).
Là, ce sont les espèces généralistes qui ont été écartées...
Ce dernier est dérivé d'un autre, largement présent sur la toile (pour des périodes pas toujours identiques). Le Muséum y fait du reste référence.
Là, tout ce qui nous intéresse y est...
C'est donc simple ! On fait disparaître les courbes dérangeantes, notamment celle des oiseaux généralistes ! Et on jette un voile pudique sur le fait que les oiseaux des villes ont eu un sort assez similaire à celui des oiseaux des campagnes agricoles.
Moyennant quoi le Muséum, ainsi que le CNRS, peuvent écrire :
« Les études pointant du doigt les effets de l’agriculture intensive et de l’utilisation massive de pesticides sur la biodiversité se multiplient. Deux d’entre elles, menées récemment par le Muséum national d’histoire naturelle sur tout le territoire français et par le CNRS à l’échelle locale, présentent à leur tour un bilan inquiétant : en 17 ans, un tiers des oiseaux ont disparu des campagnes françaises. »
Oh, et puis ces études... je ne les ai jamais vues... elles n'existent pas sous la forme d'articles scientifiques publiés dans des revues.
Et puis expliquez-moi : les oiseaux des milieux agricoles disparaissent à cause des mauvaises pratiques agricoles (alléguées), mais cela ne semble pas affecter les oiseaux généralistes...