Betteraves et néonicotinoïdes : la lamentable agit-prop de Générations Futures relayée par l'AFP et reprise par des médias sans recul ni esprit critique
relayée par l'AFP et reprise par des médias sans recul ni esprit critique
(Source)
Il y a quelque chose de terrifiant quand on voit le (dys-)fonctionnement de nos médias.
L'Assemblé Nationale va examiner dans peu de jours et – espère-t-on – adopter un projet de loi qui doit permettre d'utiliser des néonicotinoïdes en enrobage des semences de betteraves pour lutter contre la jaunisse sur au plus trois campagnes successives.
Au bout du compte il s'agit de sauvegarder la filière betteraves et les nombreux acteurs économiques en aval. Il s'agit aussi, comme le martèle M. Julien Denormandie, Ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation, d'un enjeu de souveraineté alimentaire.
La cellule agit-prop du biobusiness Générations Futures produit une tentative (d'autres sont sans doute encore à venir) pour dézinguer ce projet de loi.
Reconnaissons-lui de le faire en toute transparence – par bêtise ou intérêt – avec son « Exclusif : des néonicotinoïdes dans nos assiettes ! ». En introduction et en gras :
« Alors que les députés s’apprêtent à débattre ce 5 octobre et à voter le 6 de ce même mois sur la loi en faveur de la ré-autorisation des insecticides néonicotinoïdes, notre association publie un nouveau rapport exclusif qui montre la présence de résidus de néonicotinoïdes dans des aliments vendus en France. »
Voyez le glissement sémantique et la filouterie : il ne s'agit pas de « la ré-autorisation des insecticides néonicotinoïdes » mais de quelque chose de bien plus limité.
Quand on lit la suite du texte, et plus encore le « rapport exclusif » – forcément « exclusif », ça campe l'entité –, on ne peut qu'être atterré par la production.
M. François Veillerette et ses collègues sont-ils conscients de la grossièreté de la manœuvre fondée sur une désinformation par publication sélective de données statistiques ? Répondre « non », c'est mettre en doute leur intelligence ; répondre « oui », c'est s'interroger sur leur bonne foi.
Ces gens de GF auront produit comme d'usage un prêt-à-diffuser.
Notre Agence Tass nationale, l'AFP, s'est empressée d'en faire une dépêche. Manifestement sans recul ni esprit critique.
Et les médias se sont précipités, manifestement... (bis).
C'est, semble-t-il, notre Pravda écolo, le Monde Planète, qui a pris la tête de la farandole médiatique avec « Des traces de néonicotinoïdes trouvées dans 10 % d’aliments végétaux », mis en ligne à 6h56, alors que la page dédiée de GF (et sans doute le « rapport exclusif) a été mise en ligne sur le coup des 10 heures selon mon moteur de recherche favori.
Ils ont exploité les données issues des plans de surveillance, de contrôle et ciblé de 2017. Cette année-là, les néonicotinoïdes étaient encore autorisés. Leur interdiction n'a pris effet qu'au 1er septembre 2018. C'est marqué dans la page dédiée du site de GF, mais comme dans les contrats d'assurance : en tout petit.
Comme à l'accoutumée, Générations Futures sert un gloubi-boulga de chiffres. L'essentiel de la page dédiée – avant la gesticulation militante – est comme suit :
« Notre travail d’analyse a porté sur les données 2017 des différents plans de la DGCCRF* et ce travail montre clairement que l’exposition aux néonicotinoïdes ne concerne pas que les pollinisateurs.
En effet 10,67% des échantillons non bios dans les divers plans d’analyse de la DGCCRF en 2017 contenaient un ou plusieurs néonicotinoïdes (soit plus un échantillon sur dix !). Ce sont donc en tout 680 résidus de néonicotinoïdes qui ont été retrouvés dans 491 échantillons non bios au total. Ces chiffres concernent l’acétamipride (205 résidus), la clothianidine (18 résidus), l’imidaclopride (203 résidus), le thiaclopride (151 résidus) et le thiametoxam (103 résidus).[1]
Sur l’ensemble des échantillons contenant des résidus de néonicotinoïdes :
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+ de 16% d’échantillons non bios contenant des résidus de néonicotinoïdes viennent de productions françaises,
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+ de 31,5% de l’ensemble (155 échantillons/491) viennent des pays de l’Union européenne.
Cela montre que l’autorisation ou non des néonicotinoïdes en France et en Europe a un impact sur le contenu de nos assiettes en néonicotinoïdes et que nous y sommes toutes et tous potentiellement exposés. »
Un imparfait, tout le reste au présent... alors que le « rapport exclusif » porte sur les analyses de 2017 et que la situation juridique a bien évolué en France et en Europe depuis lors... Est-ce au su ou à l'insu de leur plein gré qu'ils tentent de faire accroire que le « problème » est actuel ?
Cela donne dans le Monde, notamment :
« Sur 4 598 échantillons non bio examinés, 491 – soit 10,68 % – présentaient des traces de néonicotinoïdes. Et parmi ces derniers, 140 (soit 28,5 %) contenaient la trace de plusieurs de ces produits. Principalement concernés, les thés d’origine chinoise, avec 157 échantillons. »
Magie des pourcentages ! Le premier se rapporte – forcément – aux 4.598 échantillons analysés ; le second – plus anxiogène – aux 491 ayant présenté des « traces ».
Poussons la plaisanterie : les contrôles de 2017 ont manifestement ciblé les thés de Chine : 157 échantillons « contaminés » sur 491, cela fait 32 %. Enlevons-les, et la situation (rappel : en 2017) devient très différente. Ajoutons que nous devons consommer des kilos et des kilos de thé par an...
Restons encore sur les thés de Chine : de la page dédiée de GF :
« Ces données montrent également qu’environ les 2/3 des échantillons contenant ces résidus viennent de l’extérieur de l’UE (31,7% des échantillons rien que pour les thés de Chine). Pour notre association, il y aurait donc lieu de changer la règlementation qui permet d’importer des résidus de pesticides sur des aliments alors même que leur usage est interdit dans l’Union européenne ! »
Une « règlementation qui permet d’importer des résidus de pesticides sur des aliments » ? Il faut oser ! Comme « le contenu de nos assiettes en néonicotinoïdes » vu précédemment.
Mais, comme à l'accoutumée, il manque une donnée essentielle : les doses.
Rien dans la page dédiée, rien dans le « rapport exclusif », et une référence curieuse aux « normes autorisées » dans le Monde qui semble s'appliquer de manière générale à l'ensemble des résidus.
Pourquoi manquent-elles ? Parce que le ballon d'agit-prop se serait dégonflé si on avait précisé que les « traces » sont extrêmement faibles et vraisemblablement inférieures aux normes de sécurité (aux limites maximales de résidus), elles-mêmes drastiques, de sorte que la présence de résidus n'implique aucun risque pour les consommateurs.
Du reste, sur ce point, Générations Futures est un multirécidiviste.
Vous aurez peut-être été intrigués par la référence aux « échantillons non bios ». Bizarre ! Vous avez dit « bizarre » ?...
Le rapport de l'Autorité Européenne de Sécurité des Aliments (EFSA) nous révèle qu'on a aussi trouvé des néonicotinoïdes dans des échantillons bios. Certains étaient-ils d'origine française, de sorte qu'il a fallu pour Générations Futures cacher une vérité dérangeante ?
Il y a même des dépassements de limites maximales de résidus... qu'on ne vienne pas dire que c'est la dérive d'un traitement fait par un voisin.
Autre magie des pourcentages : « + de 16% d’échantillons non bios contenant des résidus de néonicotinoïdes viennent de productions françaises ». Houlah ! Ce sont 79 échantillons sur 4.598 au total, soit 1,7 %.
Ces gens viennent nous épouvanter avec une gesticulation portant sur une situation passée et sur le thé, du basilic, des fruits et légumes, quelques rares grandes cultures et du miel (de ruches qui ont forcément survécu aux néonics...).
Ils le font pour tenter d'influer sur le cours des débats parlementaires – ça s'appelle « lobbying » – à propos d'une proposition qui concernera la seule betterave, dont le produit, le sucre est du saccharose pur (au moins pour le sucre blanc).
(Source)
C'est leur droit le plus absolu, comme c'est notre droit le plus absolu de dénoncer une manœuvre à laquelle on peut associer des qualificatifs peu flatteurs.
Mais c'est aussi le devoir de nos médias de produire quelque chose qui n'a pas besoin de qualificatif : de l'« information ».
Et vous, AFP, avec à votre suite le Monde, Libération, le Parisien, etc., vous avez failli.
Mention particulière à la rédaction de LCI qui titre : « Des traces d'insecticides "tueurs d'abeilles" découvertes dans nos assiettes », embraye avec « C'est un chiffre plus qu'alarmant. » Nous n'avons pas vérifié les autres titres : cela donne la nausée.