« Un insecticide bio tueur d'abeilles ? » Vraiment ?
Glané sur la toile 573
FranceInfo Vidéo a publié le 20 août 2020 une vidéo de près de deux minutes sous le titre : « Un insecticide bio tueur d'abeilles ? »
En explication du motif :
« Sur Twitter, certains agriculteurs affirment que le principal pesticide tueur d’abeilles serait un produit utilisé en agriculture biologique : le Spinosad. Info ou intox ? »
C'est un peu beaucoup léger ! Mais il faut bien attirer le chaland avec une déclaration à l'emporte-pièce, laquelle sera grandement nuancée par la suite.
Il n'y a pas que des agriculteurs pour pointer du doigt le spinosad, un insecticide déclaré « bio » – plus précisément, utilisable en agriculture biologique – parce qu'il est issu d'une bactérie vivant dans le sol, Saccharopolyspora spinosa. Il est produit en fermenteur selon un procédé que l'on peut bien qualifier de... biotechnologique. C'est un neurotoxique qui agit sur les récepteurs nicotiniques de l’acétylcholine... la même cible que les néonicotinoïdes.
(Source)
La question posée par M. Olivier Garnier dans son gazouillis est tout à fait pertinente. Elle l'est d'autant plus que le spinosad n'est pas utilisé en enrobage de semences, mais en traitements aériens. Mais évidemment, nous connaissons la réponse...
Il y a toutefois des éléments à relativiser dans cette affaire.
Il ne fait aucun doute que le spinosad est dangereux pour de nombreuses espèces d'insectes non ciblés. Il est « extrêmement toxique » pour les abeilles, la DL50 aiguë par contact (la dose qui tue la moitié des abeilles dans un test) étant de 2,9 ng/abeille, inférieure, par exemple, à celle de l'imidaclopride (3,8 ng/abeille par voie orale et 43 ng/abeille par contact) ou du thiaméthoxame (5 ng/abeille par voie orale et 24 ng/abeille par contact). Rappelons que plus la dose est élevée, moins la substance est toxique.
Selon le site québécois SagE Pesticides mis en lien ci-dessus, le spinosad est faiblement à modérément persistant avec une TD50 (temps nécessaire à la disparition de 50 % de résidus dans le sol) variant de 24 à 69 jours (imidaclopride, de 157 à 973 jours, thiamétoxame, de 7 à 3.727 jours en conditions aérobies).
Les TD50 ne sont pas une science exacte et dépendent fortement du milieu.
Mais le risque dépend des conditions dans lesquelles la substance en cause est mise en œuvre. Voici une partie des conditions d'emploi de l'ANSES pour le Conserve :
« -Respecter un délai de 15 jours entre le traitement et la réintroduction des auxiliaires de cultures pour les usages sous abri.
-Respecter un délai de 12 heures entre le traitement et l'introduction des pollinisateurs pour les usages sous abri.
-Pour protéger les organismes aquatiques, respecter une zone non traitée par rapport aux points d'eau de 5 mètres pour les usages sur palmier et de 50 mètres pour les usages sur arbres et arbustes d'ornement à la dose de 96 g sa/ha.
-Pour protéger les arthropodes non-cibles, respecter une zone non traitée de 20 mètres par rapport aux zones non cultivées adjacentes pour les usages sur arbres et arbustes d'ornement.
-Dangereux pour les abeilles. Ne pas utiliser en présence d'abeilles. Pour protéger les abeilles et autres insectes pollinisateurs, ne pas appliquer durant la période de floraison ainsi que moins de 7 jours avant le début de la floraison et pendant les périodes de production d'exsudats. Ne pas appliquer lorsque les adventices en fleur sont présentes. Enlever les adventices avant leur floraison. »
On voit toutefois qu'il y a de grandes similarités entre spinosad et néonicotinoïdes. La question posée par les critiques de l'activisme anti-pesticides* (*de synthèse) et du lobbying en faveur de big-biobusiness mérite bien d'être inversée : pourquoi a-t-on interdit – par un diktat législatif – les néonicotinoïdes ?
Réponse de M. Philippe Pavard dans son éditorial de la France Agricole du 21 août 2020 :
« Coincés par tous les bouts ! Le dossier de la jaunisse sur betterave est une parfaite illustration du sabordage en cours de l’agriculture conventionnelle en la privant de moyens de production essentiels. En cause, un attelage infernal réunissant des responsables politiques gouvernant au seul son de l’opinion, des associations sectaires et manipulatrices, et des médias champions de l’enquête à charge quand ils traitent d’agriculture.
Il aura donc fallu des dégâts carabinés dans les champs de betteraves et que l’avenir à très court terme de toute une filière soit menacé pour que le pouvoir politique consente – momentanément – à sortir de son idéologie anti-pesticides [...]. Ironie du sort, c’est la transfuge d’EELV, Barbara Pompili – désormais ministre de la Transition écologique et qui avait enclenché le bannissement des néonicotinoïdes – qui est obligée de manger son chapeau en avalant un arbitrage gouvernemental en faveur de son collègue à l’Agriculture. »
Non, pas « en faveur de son collègue à l’Agriculture », mais de l'agriculture, de l'économie et de la société françaises ainsi que – nous ne le répéterons jamais assez – de l'environnement.
Le spinosad est donc – aussi – « un tueur d'abeilles ».
Mais qu'en est-il de la réalité ?
En réalité, on en sait assez peu, et les études scientifiques ne sont souvent pas d'un grand secours car bon nombre d'entre elles portent sur des conditions d'essais artificielles – et beaucoup sont suspectes de biais militant.
La mini-controverse twittérienne repose quant à elle sur les déclarations de mortalité. Mais celles-ci se rapportent à des événements somme toute exceptionnels.
Une source est le bilan des déclarations de mortalité pour 2015.
(Source)
Une source plus récente est l'Observatoire des Mortalités et des Affaiblissements de l’Abeille Mellifère (OMAA). Les résultats des enquêtes se répêtent. Les causes principales de mortalité sont liées aux parasites et maladies, aux pratiques apicoles, aux phénomènes de désertion et à la famine.
(Source)
Les pesticides – dont le spinosad (les néonicotinoïdes ne sont plus dans l'image depuis leur interdiction) – arrivent loin derrière. Prenez le premier paragraphe de l'éditorial de M. Philippe Pavard, remplacez « dossier de la jaunisse sur betterave » par « dossier de la mortalité des abeilles », et tout est aussi juste.
Et la vidéo ? Une bonne intervention de M. Axel Decourtye, directeur général de l'ITSAP-Institut de l'Abeille :
« […] Dire que c'est le produit qui pose problème, non. Malheureusement, cela reste un insecticide comme les autres et qui peut poser des problèmes. »
Bonne intervention en voix off pour expliquer que M. Joseph Garnier voulait « en fait relativiser la toxicité des insecticides néonicotinoïdes »...
...Et un chercheur dont nous tairons le nom qui déclare en substance que les néonicotinoïdes posent plus de problèmes que le pesticide bio et avance, pour ce faire, notamment, qu'« ils se baladent partout » (comme si d'autres insecticides ne dérivaient pas et ne pourraient pas se retrouver dans l'eau), que « certains [néonicotinoïdes] ont une demi-vie de trente ans » et que « n'importe quelle molécule dérivée naturelle sera moins nocive que les néonicotinoïdes »... C'est déprimant...