Greenpeace et al. découvrent une mutation spontanée
Schillipaeppa*
Les cris de joie ont été stridents ce lundi matin [7 septembre 2020]. Un groupe de différents acteurs – de l'ONG anti-génie génétique Greenpeace à l'enseigne de grande distribution Spar – a annoncé qu'une nouvelle méthode avait été trouvée pour distinguer les plantes produites avec des méthodes modernes d'édition du génome des plantes conventionnelles en utilisant des tests de laboratoire. « Impossible de cacher », « Le nouveau #génie génétique est détectable », jubilait l'association Lebensmittel ohne Gentechnik e.V. sur Twitter :
Neue #Gentechnik ist nachweisbar. Verbergen gescheitert. Keine Ausrede mehr für Deregulierung. Unabhängiger Open-Source-Test jetzt verfügbar.#NoWhereToHide@GreenpeaceEU #ARGEGentechnikfrei @OhneGentechnik @IFOAMorganic @NonGMOProject @SPARoesterreich
— VLOG e.V. (@OhneGentechnik) September 7, 2020
https://t.co/PhdPiUviBm pic.twitter.com/DLy7cHi0oU
Contexte : Depuis des années, on se demande si et dans quelle mesure les nouvelles méthodes de sélection telles que CRISPR-Cas ou les nucléases à doigt de zinc peuvent être réglementées de manière similaire au génie génétique classique. Dans une décision très controversée, la Cour de Justice de l'Union Européenne a déterminé que les nouvelles méthodes doivent être traitées juridiquement de la même manière que le génie génétique classique. Depuis lors, des demandes de modification de la législation européenne sur le génie génétique ont été formulées, notamment par des organisations scientifiques. L'un des principaux arguments contre la réglementation des nouvelles méthodes de sélection est qu'une mutation ponctuelle sur une seule paire de base, obtenue par exemple via CRISPR-Cas, ne peut pas être distinguée d'une mutation naturelle. Et comment réglementer quelque chose qui ne peut pas être distingué de son homologue non réglementé ? Les déclarations de Greenpeace et Cie dans le cadre de leurs relations publiques suggèrent que cet argument a maintenant été invalidé par une nouvelle méthode. Mais est-ce vraiment le cas ?
Un coup d'œil à la publication complète annoncée avec tambours et trompettes, « A Real-Time Quantitative PCR Method Specific for Detection and Quantification of the First Commercialized Genome-Edited Plant » (une méthode de PCR quantitative en temps réel spécifique pour la détection et la quantification de la première plante modifiée par édition du génome commercialisée), révèle que les chercheurs ont appliqué une méthode standard pour la détection de certaines séquences de gènes : la PCR quantitative, où « PCR » signifie « réaction en chaîne par polymérase ». Cette méthode est tout sauf nouvelle. Ce qui est nouveau, c'est l'application de la méthode à une propriété très spécifique, également appelée « événement » : la tolérance à des herbicides d'une variété de colza de la société de biotechnologie Cibus a été étudiée. La séquence cible est une mutation ponctuelle dans le gène « AHAS1C », qui entraîne la tolérance à un herbicide spécifique. La propriété est décrite comme suit dans la publication :
« L'événement BnALS-57 du canola a été généré par la mutagenèse G-to-T dirigée par oligonucléotide sur la paire de bases 1676 du gène AHAS1C. La variété 5715 a été créée par croisement du canola BnALS-57 avec la variété commerciale de canola Clearfield SP Cougar CL [30,37,38], dans laquelle une mutation G-to-T en position 1667 du gène AHAS3A a été créée par mutagenèse chimique, conférant une tolérance à des herbicides au produit du gène AHAS3A. Le résultat a été une variété de canola dans laquelle les gènes AHAS3A et AHAS1C étaient tous deux porteurs de mutations conférant une tolérance aux herbicides à base de sulfonylurée et d'imidazolinone, AHAS3A (par mutagenèse chimique) et AHAS1C (par ODM). »
En bref : l'événement BnALS-57 a été obtenu en induisant une mutation ponctuelle dans le gène AHAS1C par ODM (mutagenèse dirigée par oligonucléotides). L'ODM relève de l'édition du génome.
Dans un document de l'autorité réglementaire canadienne sur l'événement en question, la genèse du BnALS-57 est présentée de manière complètement différente :
« Le requérant a émis l'hypothèse selon laquelle l'unique nucléotide avait été causée par une variation somaclonale [ma note : le texte anglais ajoute : « spontanée »] qui s'était produite pendant le processus de culture de tissus et n'était pas attribuable à l'oligonucléotide spécifique utilisé dans le cadre du protocole RTDS. »
Euroseeds, l'association des semenciers européens, écrit dans une déclaration :
« En outre, CIBUS, le développeur des différentes variétés analysées dans la publication, a confirmé à Euroseeds que les variétés étaient en fait développées à partir d'une variation somaclonale spontanée. La publication fournit ainsi une méthode pour détecter une mutation ponctuelle provenant d'une méthode de mutagenèse non génomique. »
Le directeur de Max Planck, Detlef Weigel, le confirme dans un billet sur Facebook :
« Le vice-président de Cibus a été un postdoc chez moi dans les années 1990. Il m'a confirmé que la variété de canola prétendument "génétiquement modifiée" est due à une mutation spontanée. C'est exactement ce que j'avais soupçonné, que la mutation n'était pas celle prévue à l'origine. Elle a été trouvée parce que la recherche était phénotypique (pour la résistance à des herbicides), et non moléculaire (pour une mutation spécifique) ».
Une chose est claire : la mutation ponctuelle trouvée dans l'étude commandée et financée par Greenpeace et al. ne s'est pas du tout produite par édition du génome, mais spontanément au cours du processus de culture cellulaire. Ainsi, les auteurs de l'étude commandée n'ont pas détecté de soi-disant nouveau génie génétique, mais « seulement » une mutation spontanée et donc un produit d'une sélection conventionnelle. Il est étonnant que les auteurs eux-mêmes citent un document de l'autorité réglementaire canadienne comme source et fournissent néanmoins de fausses informations.
Il devient alors évident que la méthode prétendument nouvelle ne peut que déterminer si une certaine mutation est présente. Elle ne peut pas montrer de quelle manière la mutation a été causée. Ces informations doivent être fournies de l'extérieur, par exemple par l'entreprise de sélection. Les auteurs eux-mêmes admettent ces limites et soulignent que des OGM non reconnus comme tels pourraient déjà se trouver sur le marché :
« Par conséquent, beaucoup de ces OGM ont été commercialisés, et il est tout à fait possible qu'il y ait sur le marché, même maintenant, des OGM non approuvés qui n'ont pas été détectés parce qu'ils ne portent pas de séquences communes. Ainsi, les produits non autorisés de modification du génome ne représentent qu'une nouvelle classe de produits génétiquement modifiés non autorisés, parmi d'autres, qui ne peuvent être détectés en utilisant la stratégie de dépistage existante. »
« Impossible de cacher », mon œil !
Néanmoins, la machine de relations publiques a fonctionné. Les agences de presse telles que la dpa et l'AFP [pour la France, voir ici] ont repris les titres sans vérifier :
La ministre fédérale de l'environnement, Svenja Schulze, a déclaré qu'elle se félicitait de la nouvelle méthode :
Qui lui dira la vérité ?
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* A étudié la philosophie, rédactrice diplômée ; a atterri à la campagne.
Source : https://schillipaeppa.net/2020/09/09/greenpeace-et-al-entdecken-spontanmutation/
(Source)