Variétés issues de la mutagenèse : l'incroyable pouvoir des lobbies verdâtres
D'un député la France Insoumise... ça craint... (Source)
J'avais l'intention d'écrire un article avec pour titre : « Haut Conseil des Biotechnologies : l'incroyable chienlit gouvernementale ». Mais c'est pire que ça.
Rappelons que le HCB se compose d'un Comité Scientifique (CS), formulant des avis, et d'un Comité Économique, Éthique et Social (CEES) composé de représentants d'une gamme de parties (censées être) prenantes et formulant des recommandations.
Les travaux du HCB sur les « nouvelles techniques d'obtention de plantes (New Plant Breeding Techniques - NPBT) » (avis, recommandation, rapport du groupe de travail du CS, rapport du groupe de travail du CEES) ont suscité de grandes dissensions qui se sont finalement traduites par une cascade de démissions à partir d'avril 2016.
Quoi de plus normal dans un organe où siègent des représentants d'organisations opposées – viscéralement et par principe – aux biotechnologies et au génie génétique agricoles ? Le 13 avril 2016, certaines écrivaient, en se réclamant avec impudence « de la société civile » :
« [...] nos sept organisations de la société civile (Les Amis de la Terre, la Confédération paysanne, la Fédération Nationale de l’Agriculture Biologique, France Nature Environnement, Greenpeace, le Réseau Semences Paysannes et l’Union Nationale de l’Apiculture Française) démissionnent conjointement de cette instance, aux mains des lobbyistes de l’agrochimie et des OGM.
Après plusieurs mois de travaux, nos organisations font le constat amer que tout débat sur la question des nouveaux OGM est forcément tronqué au sein du HCB. Malgré de nombreux dysfonctionnements, nous avons de nombreuses fois tenté de porter la voix de la société civile en son sein. Peine perdue puisqu’aujourd’hui le HCB, avec la complicité du gouvernement français, méprise tout avis contradictoire aux intérêts de l'industrie des OGM. »
Il y eut aussi des remous au Comité Scientifique, en particulier avec la démission, que l'on avait voulu fort médiatisée à l'époque, de M. Yves Bertheau, directeur de recherches INRA au Muséum National d'Histoire Naturelle de Paris.
Au final, on s'est retrouvé avec une présidente du HCB démissionnaire, un CS amputé de trois membres et (selon la liste des membres visitée le 17 juillet 2020) 14 vacances au CEES.
Cela n'a pas empêché le gouvernement de prolonger par dérogation, pour un an, les mandats des présidents et membres du HCB – démissionnaires compris – par le décret n° 2019-1353 du 12 décembre 2019.
Reflet de la chienlit administrative et gouvernementale : on a dû subitement se rendre compte qu'une action devait être prise et que le temps manquait pour une procédure régulière ou pour une abolition du HCB (voir ici).
Et subitement, venant apparemment de nulle part, paraît un arrêté du 9 juin 2020 portant nomination au comité économique, éthique et social du Haut Conseil des biotechnologies.
Bizarre... Les nominations sont restreintes au CEES, alors qu'il y a également des vacances au CS... et même à la présidence du HCB et à celle du CEES (mais il est vrai que les nominations correspondantes doivent se faire par voie de décret interministériel -- c'est plus compliqué).
Bizarre... Vous avez dit bizarre ? Les nominations ne sont que partielles car il reste des démissionnaires, tant en termes d'organisations (Greenpeace et Que Choisir par exemple) et de personnes.
Bizarre... Vous avez dit bizarre ? Comme c'est bizarre ! Des démissionnaires – qui furent bruyamment mécontents du fonctionnement de l'institution (voir par exemple les propos ci-dessus) et dont il est notoire qu'ils ont pris des positions intransigeantes, incompatibles avec l'esprit qui a présidé à la formation du CEES – sont nommés à nouveau.
Bizarre ? Non, scandaleux ! La Confédération Paysanne est réintégrée dans le CEES malgré un évident conflit d'intérêts. Ayant initié une procédure contre le gouvernement, elle est chargée de contribuer à la formulation d'une recommandation au gouvernement sur les mesures à prendre à la suite de cette procédure !
Comment se fait-ce ?
Nouveau flashback. Le 7 février 2020, le Conseil d'État a rendu sa décision sur la requête de... la Confédération Paysanne et huit autres entités sur la question des organismes obtenus par mutagenèse (communiqué, décision). Cette décision se fonde sur un arrêt de la Cour de Justice de l'Union Européenne (communiqué, arrêt) et va en fait plus loin. Nous avions considéré qu'un marteau pilon s'était abattu sur l'innovation génétique (voir ici et ici).
Pour y donner suite, le Gouvernement a produit un projet de décret et deux projets d'arrêtés. En pratique, selon le décret (s'il aboutit), sont des OGM réglementés – soumis aux procédures d'évaluation, d'autorisation, d'étiquetage et de surveillance – les variétés issues des nouvelles techniques d'obtention de plantes (c'est conforme à l'arrêt de la CJUE) ainsi que les variétés issues de « la mutagénèse aléatoire in vitro consistant à soumettre des cellules végétales cultivées in vitro à des agents mutagènes chimiques ou physiques ».
Il prévoit aussi, en pratique, d'interdire la culture de certaines variétés de colza rendues tolérantes à un herbicide par la technique de mutagenèse précitée (les Clearfield, originellement de BASF).
Ces intentions soulèvent des difficultés considérables que nous ne sommes pas les seuls à avoir entrevues. Mais il y a encore d'autres problèmes...
Une question de dates pour commencer : les projets de textes ont été notifiés à la Commission Européenne qui les a reçus le 6 mai 2020 (voir ici pour le projet de décret). Cependant, le HCB n'a été saisi pour avis – officieusement – que le 9 juin 2020 (la date de l'arrêté portant nominations) et – officiellement – le 2 juillet 2020.
Cela suggère qu'on a oublié – ou « oublié » – au sein du gouvernement qu'il fallait consulter le HCB. Posé autrement, on a retardé la saisine informelle du HCB en attendant la signature de l'arrêté.
Il se dessine donc une hypothèse ayant des relents complotistes : quelqu'un a pris l'initiative de faire revenir au moins une partie des démissionnaires au CEES pour s'assurer que soit entendue, cinq sur cinq, la voix de l'opposition intransigeante aux biotechnologies végétales et au génie génétique. Y compris à des « techniques/méthodes de mutagenèse qui ont été traditionnellement utilisées pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps » (arrêt de la CJUE), ainsi que le démontrent les colzas Clearfield tolérant un herbicide.
L'avis du CS est daté du 29 juin 2020 (d'avant la saisine officielle...). En conclusion :
« Le CS regrette que le projet de décret se focalise sur la dangerosité d’un ensemble de techniques sans fondement scientifique, et sans aborder l’impact environnemental, voire les conséquences économiques, éthiques et sociales potentielles8 des traits générés, quelle que soit leur méthode d’obtention.
Le CS note qu’en l’absence de différences à l’échelle moléculaire, et dans le cadre actuel des moyens de contrôle reposant sur des techniques de biologie moléculaire, la traçabilité et l’attribution de mutations à une technique donnée d’obtention seraient très compliquées. »
Et en conclusion de la conclusion :
« En conclusion, le Comité scientifique du HCB n’identifie pas de différences biochimiques entre les mutations, qu’elles soient obtenues par mutagenèse aléatoire in vitro, in vivo, ou spontanément, sur cellules isolées ou entités pluricellulaires. Il n’y a pas non plus de différences entre les phénotypes induits par ces techniques. Seules leur probabilité d’obtention et leur facilité de sélection varient. »
En bref, une énième affirmation du consensus scientifique.
Les réponses du CEES sont datées du 7 juillet 2020. Sans surprise, on aboutit à un catalogue de déclarations ouvertes par « certaines parties prenantes » et suivies par l'une ou l'autre liste commençant soit par la Confédération Paysanne, soit par l'Union Française des Semenciers (score : 7 à 3). Les premiers soulèvent toutefois un certain nombre de points qui ne sont pas inintéressants.
Pour le dire crûment, tout l'exercice est stupide ; au vu des insatisfactions manifestées de tout bord et des objections qu'ils suscitent au niveau de l'Union Européenne et international, les projets gouvernementaux sont loin d'être sous toit.
Mais cet exercice a déjà une retombée : « Certaines parties prenantes (Confédération Paysanne, Les Amis de la Terre, la Fédération Nationale d’Agriculture Biologique des régions de France, France Nature Environnement, l’Union Nationale de l’Apiculture Française) » (cité des recommandations du CEES) ont publié le 15 juillet 2020 un communiqué commun,
« pour dénoncer l'avis rendu ce mercredi par le HCB, le Haut Conseil des biotechnologies, sur le projet de décret sur la réglementation des OGM issus de mutagenèse ».
Les raisonnements sont étonnants pour les esprits rationnels.
Comment le CS a-t-il pu oser :
« Avec ce nouvel avis, le Comité scientifique réfute à nouveau la légitimité des décisions juridiques et politiques » ?
Ben oui ! C'est son rôle d'aviser le gouvernement que ses intentions ne sont pas légitimes sur le plan scientifique...
« Le Comité scientifique en a conclu qu’il n’existe aucune différence entre les mutations naturelles et celles obtenues artificiellement via du bricolage de gènes multipliées in vitro. »
Ben oui ! Oublions la rhétorique emphatique : c'est le consensus scientifique.
Mais il y a mieux :
« Le Comité Économique, Éthique et Social s’est quant à lui vu interdire par le bureau du HCB de produire une recommandation sur les questions économiques, éthiques et sociales qui sont pourtant sa raison d’être. Au prétexte de manque de temps, il n’a eu le droit de s’exprimer que sur les questions juridiques. »
Le bureau du HCB a certes adressé une question précise au CEES :
« Sur le plan juridique, le projet de décret permet-il l’application de la décision du Conseil d’État et de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) ? »
Manifestement, cela ne vaut pas interdiction d'aborder d'autres sujets de la compétence du CEES. Et, manifestement, les représentants des organisations protestataires se sont accommodés de la situation au sein du HCB, ce qui leur a permis d'évoquer des points de vue sans qu'il y ait de réponse des autres parties prenantes.
La stratégie gagnante en bref : accepter un « mandat » jugé restrictif ; déployer son argumentaire censé être hors mandat sans permettre son examen ; protester contre le « mandat » et la méthode de travail.
Un groupe de travail de trois personnes – dont M. Guy Kastler... de la Confédération Paysanne – a été constitué et s’est réuni en téléconférence les 12, 16 et 18 juin 2020. Des réunions mixtes avec le groupe de travail du CS se sont tenues en visioconférence les 10 et 18 juin 2020. Le groupe de travail a présenté ses travaux en assemblée plénière du HCB le 24 juin et a finalisé son rapport, incluant les observations reçues, pour un examen en séance du CEES le 1er juillet 2020.
Les protestataires se plaignent aussi de n'avoir disposé « que de 2 heures 30 de réunion plénière en visioconférence pour adopter une recommandation restreinte aux seules questions juridiques ! » Leur aurait-on imposé cela ou était-ce simplement le temps nécessaire pour boucler les travaux ?
Il est facile de prendre une position victimaire dans un communiqué de presse. Personne ne lira l'introduction de la recommandation :
« La présente recommandation a été élaborée sur la base du travail préparatoire de ce GT. Elle a été discutée en séance du 1er juillet 2020 en présentiel et en visioconférence, validée électroniquement, et transmise aux Autorités compétentes le 7 juillet 2020. »
Les signataires expliquent aussi leur démission de 2016 :
« […] à cause des nombreux dysfonctionnements dont l’objectif était de nous forcer à valider les conclusions d’un avis du Comité Scientifique auxquelles nous étions fortement opposés. »
Et c'est là qu'on apprend que :
« […] nous avons proposé au gouvernement de participer aux discussions sur l’application de ces décisions de justice. »
L'hypothèse que nous avons exposée ci-dessus perd ses relents complotistes : les organisations en cause se sont adressées à quelqu'un au Ministère de la Transition Écologique (et à l'époque aussi Solidaire) ; celui-ci a, curieusement en exclusivité, la haute main sur les arrêtés de nomination de membres du HCB. Et le Ministère a réagi le doigt sur la couture du pantalon.
La chienlit gouvernementale...
Ils sont quand même forts ces lobbies verdâtres !