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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Pour M. Marc Dufumier, le système de culture betteravier est « désuet et dommageable »

28 Août 2020 , Rédigé par Seppi Publié dans #betteraves, #Néonicotinoïdes, #critique de l'information, #Activisme

Pour M. Marc Dufumier, le système de culture betteravier est « désuet et dommageable »

 

(Source, source et source)

 

 

C'est une tribune dans le Monde du 21 août 2020 (date sur la toile), « Pourquoi "réautoriser les néonicotinoïdes pour un système de culture betteravier désuet et dommageable" ? »

 

Le chapô résume plutôt bien le positionnement, nullement inattendu d'un thuriféraire de l'« agro-écologie » (whatever that means...) :

 

« L’agronome Marc Dufumier critique, dans une tribune au "Monde", la décision gouvernementale d’autoriser "provisoirement" l’usage de pesticides pour la culture de la betterave à sucre, alors que des alternatives techniques à l’emploi des néonicotinoïdes existent déjà. »

 

Rappelons toutefois (à l'intention du rédacteur du Monde et de quelques lecteurs de passage) qu'il s'agit pour le gouvernement d'aller devant le Parlement pour « effacer », pour une durée limitée, une loi scélérate, une loi qui a prévu une interdiction au mépris des conséquences, pourtant annoncées.

 

Une intention, du reste, présentée avec un tic habituel de ce genre de discours : le gouvernement aurait agi « [s]ous la pression des lobbys sucriers »...

 

 

Où sont les « alternatives » ?

 

Le problème principal est qu'affirmer que « des alternatives techniques à l’emploi des néonicotinoïdes existent déjà » relève de la méthode Coué.

 

C'est d'autant plus grotesque qu'un large consensus, impliquant même Mme Barbara Pompili, Ministre de la Transition Écologique, s'est fait sur la thèse inverse et que de nombreux acteurs du monde politique se sont investis pour une réautorisation des enrobages de semences de betteraves. Mais l'activisme a bien sûr droit à ses propres faits...

 

Ce faux fait allégué pose inévitablement des questions sur la démarche de l'auteur. Aveuglement sincère et idéalisation d'une théorie – qu'on ne saurait qualifier d'agronomique –, escalade d'engagement ou manipulation ? Un cocktail des trois ?

 

L'auteur reconnaît que « [c]ette culture vient [...] d’être lourdement affectée par une maladie virale, la jaunisse de la betterave, transmise par un puceron […] ». On est donc loin de la Confédération Paysanne qui affirme que « l'incidence économique globale de la jaunisse ne sera pas aussi catastrophique qu'affirmé ».

 

 

Mais que font les agriculteurs, la recherche-développement ?

 

Faut-il déduire du constat de M. Marc Dufumier que les producteurs de betteraves auraient été incapables selon lui, par incompétence ou conservatisme ou encore obstination, de relever le défi de la jaunisse et/ou de mettre ces alternatives en œuvre ?

 

 

Surfaces parcellaires impactées au 21 août et localisation des 21 usines sucrières – situation au 21 août 2020. Les pertes estimées se situent toujours autour de 40 % dans les zones les plus touchées. (Source)

 

 

Notre question est en partie dénuée de fondement : M. Marc Dufumier prône « un changement de modèle » et donc des modifications systémiques du mode de production agricole qui ne s'opèrent pas en l'espace d'une campagne. Mais cela pose une autre question : comment se fait-il que les producteur de betteraves (les agriculteurs en général) et les institutions de recherche comme l'Institut National de Recherches pour l'Agriculture, l'Alimentation et l'Environnement (INRAE) et l'Institut Technique de la Betterave (ITB) n'aient pas entrevu, expérimenté et préconisé ces nouveaux modèles ?

 

 

L'« agro-écologie scientifique », ça vient de sortir

 

On tourne en rond. Rien de vraiment nouveau :

 

« Ces pratiques sont, entre autres, le choix de variétés tolérantes ou résistantes, l’allongement des rotations de cultures, la diversification des espèces cultivées au sein des mêmes terroirs, la plantation de haies vives, de bandes enherbées et d’autres infrastructures écologiques destinées à héberger des insectes auxiliaires tels que les coccinelles, syrphes et chrysopes, aptes à neutraliser les pucerons. »

 

En fait si, il y a du neuf : il s'agit d'une « agroécologie scientifique » !

 

 

L'ITB fait des mises au point cinglantes

 

Mais là, nouveau problème : l'ITB a publié le 21 août 2020 une « F. A. Q. Betterave sucrière, pucerons verts, jaunisse et néonicotinoïdes », un document d'informations générales qui répond à la plupart de ces préconisations.

 

Par exemple « le choix de variétés tolérantes ou résistantes » :

 

« Variétés tolérantes (à la jaunisse ou aux pucerons) : C’est une piste très prometteuse. Actuellement, 2 variétés sont en cours d’évaluation en 2ème année d’inscription au CTPS, et 2 sont en 1ère année. Des travaux sont également menés pour recenser les espèces virales présentes, pour comparer le comportement de différents génotypes en présence et en absence de pucerons vecteurs de virus ou pour améliorer la connaissance du comportement des pucerons et des mécanismes de transmission des virus. »

 

Réponse en bref : il n'y a pas de variétés tolérantes ou résistantes à l'heure actuelle.

 

Et si les variétés actuellement étudiées sont inscrites, il faudra encore du temps pour qu'elles soient diffusées et qu'elles fassent leurs preuves.

 

 

 

 

Les « insectes auxiliaires [...] aptes à neutraliser les pucerons :

 

« Laisser la nature faire et attendre l’arrivée des auxiliaires : les auxiliaires arrivent toujours après leur nourriture. Le délai de 5 semaines en 2020 après l'arrivée des pucerons était beaucoup trop important pour maitriser le développement de jaunisse virale. Les dégâts étaient fait. »

 

Élémentaire mon cher Watson Marc...

 

 

 

 

Ce sont des uppercuts ! Ajoutons encore un mot sur la semi-baliverne des éléments du paysage tels que les haies, censées héberger des insectes auxiliaires : ils en hébergent aussi d'autres, mais c'est systématiquement passé sous silence dans le bréviaire « agro-écologique »... Bien sûr, ce propos ne doit pas s'interpréter comme une opposition à ces éléments.

 

 

Les agriculteurs apprécieront...

 

Le propos suivant de M. Marc Dufumier résonne comme une claque pour les agriculteurs :

 

« Ces techniques agricoles sont, il est vrai, bien plus savantes et compliquées que celles encore trop souvent mises en œuvre dans le cadre des modes d’agricultures industrielles exagérément spécialisées. »

 

Interprétation : ces pratiquants de « modes d'agricultures industrielles... » sont trop bêtes, ou trop feignasses, pour mettre en œuvre ces « techniques agricoles [...] savantes et compliquées ».

 

 

On n'en attendait pas moins... (Source)

 

 

La « viridi-khmérisation » ou le « khmerverdissement » de l'agriculture française

Mais c'est peut-être à l'insu de son plein gré. La tribune ne manque pas d'évoquer une constante de la pensée de l'auteur :

 

« Elles [ces techniques] sont plus exigeantes en travail et donc plus intensives en emplois, ce qui n’est pas en soi néfaste. »

 

Vive la pol-potisation de l'agriculture française. Ce que cela implique du point de vue du système économique et des relations internationales est occulté.

 

 

L'opinion du Président de l'Association des Journalistes Scientifiques de la Presse d’Information... tout en nuances... (Source)

 

 

Les bienfaits supposés arrivent en rafale :

 

« Elles exigent aussi bien moins d’importations de pesticides et d’engrais azotés de synthèse, coûteux en énergie fossile, tout en présentant de moindres risques sanitaires et environnementaux. »

 

 

« Je suis Philippulus Marc Dufumier le Prophète. Et je vous annonce que des jours de terreur vont venir. »

 

L'argumentaire ne pouvait se dispenser d'une description (un tantinet) apocalyptique des effets des néonicotinoïdes sur ces pauvres abeilles et autres pollinisateurs. M. Marc Dufumier n'y va pas avec le dos de la cuiller pour les conséquences alléguées :

 

« ...c’est donc aussi la fécondation d’un très grand nombre de plantes cultivées (colza, tournesol, arbres fruitiers, etc.) qui risque de se retrouver lourdement handicapée. »

 

C'est risible et pas sérieux. Nous avons utilisé des néonicotinoïdes sur de nombreuses cultures, pas seulement la betterave en enrobage des semences, et la production agricole et les milieux dits naturels ne se sont pas effondrés par manque de pollinisation.

 

C'est la persistance dans le sol qui sert ici de prétexte à anxiogenèse. Réponse, une nouvelle fois cinglante, de l'ITB :

 

« Le tableau suivant montre la variabilité de la persistance de chaque substance dans le sol. Les 2 substances utilisées en betteraves ne sont pas classées comme "perturbateurs endocriniens". L’imidaclopride est d’ailleurs la substance active la plus souvent utilisée pour les colliers anti-puces des animaux de compagnie. »

 

 

 

 

Le sophisme de l'homme de paille

 

La profession fait-elle remarquer que les rendements risquent de baisser, avec des conséquences comme par exemple sur la balance commerciale ? Voici une exagération hâtive de M. Marc Dufumier :

 

« Mais cela revient implicitement à dire qu’il n’existerait pas d’autres alternatives techniques que l’emploi de pesticides, et qu’améliorer le rendement à l’hectare consisterait toujours à l’accroître, indépendamment des coûts monétaires, sanitaires et environnementaux qui en résultent pour ce faire. »

 

Non, la question est la perte de rendement, et ce qui va avec.

 

 

La forteresse économique France

Suite du mille-feuille argumentatif : des sucreries ferment en France, faute de compétitivité avec la canne à sucre brésilienne...

 

« Pourquoi nous faudrait-il alors continuer de produire toujours davantage de betteraves pour des usines d’éthanol dont on sait qu’elles ne peuvent guère devenir rentables du fait de cette concurrence sur les marchés mondiaux ? »

 

Non, ce n'est toujours pas la question, circonscrite au problème des pucerons et de la jaunisse.

 

Laissons donc tomber la betterave, ou du moins réduisons sa production à la satisfaction des seuls besoins français, puisque nous ne serions pas compétitifs. Mais, dans le même temps,

 

« Ne conviendrait-il donc pas plutôt de diversifier les cultures au sein de nos assolements et d’y rétablir une bien plus grande biodiversité domestique et spontanée, en y intégrant surtout des plantes légumineuses (luzerne, trèfle, lupin, féverole, etc.), pour produire notamment les protéines végétales dont la France et l’Europe sont déficitaires pour près des deux tiers ? »

 

Cerise sur le gâteau, nous ne dépendrions plus des « importations considérables de graines et de tourteaux de soja transgéniques en provenance des Amériques » (c'est nous qui graissons).

 

Mais la luzerne, pour la sécher, ce serait bien d'avoir aussi des betteraves pour faire tourner les usines plus longtemps (voir ici, d'un agriculteur qui a les pieds sur terre et la tête à une hauteur convenable par rapport au sol). La féverole fait aussi l'objet d'une impasse phytosanitaire... Quant aux données techniques et économiques sur le lupin...

 

Mais il est vrai que si on pol-potise l'agriculture française, son économie et sa société, les impératifs techniques et économiques passent au second plan.

 

Passons donc au faux dilemme :

 

« Plutôt que de réautoriser les néonicotinoïdes pour un système de culture betteravier désuet et dommageable, le gouvernement ne devrait-il pas le mettre en œuvre au plus tôt ? Une façon de concilier les impératifs économiques, sociaux et environnementaux ! »

 

L'« agro-écologie » militante, c'est si simple : yaka...

 

 

Post scriptum

 

Un commentateur a écrit dans le Monde :

 

« Ces techniques agricoles pour limiter la jaunisse sont trop compliquées le betteravier prefere la facilité du glyphosate. »

 

Il a tout compris... Cela illustre le degré de déconnection d'une grande partie de la population des réalités de l'agriculture, ainsi que l'« estime » dont jouissent les agriculteurs.

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C
Un article d'Éléonore Solé, Futura-Sciences, qui explique bien la situation de la betterave à sucre en France. La conclusion est laissée à Christophe Boizard qui explique sur Twitter qu'on somme les agriculteurs « de courir un marathon sous le cagnard mais sans gourde (projets d'irrigation bloqués) avec une tenue d'hiver traditionnelle (pas de génie génétique) et sans casquette (suppression des produits phytosanitaires) ».
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C
Lien: https://www.futura-sciences.com/planete/actualites/neonicotinoides-enquete-retour-neonicotinoides-champs-betteraves-82678/#xtor%3DRSS-8
J
Vinasses de betteraves
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J
Vous pouvez effectivement rajouter l'usage des bonasses de betteraves comme fertilisant organique ,riche en potasse
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