Néonicotinoïdes, colza et abeilles : une bien curieuse et militante étude de la Zone Atelier Plaine & Val de Sèvre du CNRS
Avec son « Avec ou sans floraison, les néonicotinoïdes représentent des risques pour les pollinisateurs » publié dans le Monde Planète du 12 août 2020 (date sur la toile), M. Stéphane Foucart nous a remis sur la piste de « Neonicotinoid-induced mortality risk for bees foraging on oilseed rape nectar persists despite EU moratorium » (le risque de mortalité induit par les néonicotinoïdes pour les abeilles butinant le nectar de colza persiste malgré le moratoire de l'UE – texte complet en manuscrit ici) de Dimitry Wintermantel, Jean-François Odoux, Axel Decourtye, Mickaël Henry, Fabrice Allier et Vincent Bretagnolle. Cela a été mis en ligne sur le site de Science of The Total Environment le 28 novembre 2019 et publié le 20 février 2020.
Voici ce qu'en a tiré M. Stéphane Foucart :
« En février, des chercheurs du CNRS et de l’INRAE ont ainsi publié dans la revue Science of the Total Environment une étude indiquant que des colzas non traités, poussant sur des parcelles exemptes de néonics depuis cinq ans, pouvaient être imprégnés par ces produits. Et ce, à des niveaux présentant des risques pour les pollinisateurs. »
Ce résumé est faux (si nous avons bien compris). Le moratoire sur l'utilisation de la clothianidine, de l'imidaclopride et du thiaméthoxame sur les seules plantes attractives pour les abeilles est entré en vigueur en décembre 2013 et les études ont porté sur les années 2014 à 2018. Ces substances ont pu être utilisées sur d'autres cultures pendant les années étudiées. Mais ce n'est pas le sujet du jour.
Commençons par une sorte d'ad hominem : quand on voit la liste des auteurs, l'alerte sonne chez les lecteurs rationnels. Mais point n'est besoin de préciser : le titre de l'article signale déjà un certain militantisme.
En fait, le militantisme est certain. En témoigne le résumé artistiquement rédigé et se terminant par une considération d'ordre politique (nous découpons) :
« Faits marquants
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5 ans de suivi intensif des néonicotinoïdes du nectar de colza.
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Tous les néonicotinoïdes limités par le moratoire de l'UE ont été détectés.
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L'imidaclopride a été détecté toutes les années ; il a été interdit dans les cultures attractives pour les abeilles.
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Les résidus d'imidaclopride dépendent du type de sol et augmentent avec les précipitations.
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Le colza contaminé par l'imidaclopride présente un risque de mortalité pour les abeilles butinant le nectar.
Résumé
L'implication des néonicotinoïdes dans le déclin des abeilles a conduit en 2013 à un moratoire de l'UE sur trois néonicotinoïdes dans les cultures attractives pour les abeilles. Toutefois, les néonicotinoïdes sont fréquemment détectés dans les fleurs sauvages ou les cultures non traitées, ce qui laisse penser que les néonicotinoïdes appliqués aux céréales peuvent se propager dans l'environnement et nuire aux abeilles. C'est pourquoi nous avons quantifié les résidus de néonicotinoïdes dans le nectar de colza semé en hiver dans l'ouest de la France, collecté au cours des cinq années du moratoire de l'UE.
Nous avons détecté les trois néonicotinoïdes soumis à des restrictions. L'imidaclopride a été détecté toutes les années sans tendance claire à la baisse, mais avec une forte variation inter- et intra-annuelle et des concentrations maximales dépassant les concentrations signalées dans les cultures traitées.
Aucun lien avec les céréales non biologiques semées en hiver n'a été identifié, même s'il s'agissait des seules cultures traitées à l'imidaclopride, mais les niveaux de résidus dépendaient du type de sol et augmentaient avec les précipitations.
La simulation de la mortalité aiguë et chronique suggère un risque considérable pour les abeilles butinant le nectar.
Nous concluons que les résidus persistants d'imidaclopride dans le sol se diffusent à grande échelle dans l'environnement et contaminent considérablement une importante culture à floraison massive.
Malgré les limites des études de cas et des simulations de risques, nos conclusions apportent un soutien supplémentaire à la récente extension du moratoire à une interdiction permanente pour toutes les cultures de plein air. »
Il n'y a strictement aucune indication chiffrée dans ce résumé. On doit en définitive se contenter, en bref, de deux allégations : on a trouvé des résidus de néonicotinoïdes ; c'est dangereux pour les abeilles – mais ici sur la base de simulations.
C'est du reste ce que recherchent les journalistes militants, lesquels ne liront pas l'intégralité de l'article – fort rebutant, ce qui est aussi une caractéristique de la littérature « scientifique militante » – ni chercherons à obtenir des avis autorisés d'autres chercheurs...
Le communiqué de presse du Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) est un peu plus précis. En résumé :
« Depuis 2013, un moratoire de l’Union européenne (UE) impose des restrictions à l’usage de trois néonicotinoïdes jugés nocifs pour les abeilles dans les cultures prisées de ces insectes. Cependant, des chercheurs du CNRS, de l’Inra et de l’Institut de l’abeille (ITSAP) viennent de montrer que des résidus de ces insecticides, notamment l’imidaclopride, restent détectables dans le nectar de colza de 48 % des parcelles étudiées, avec d’importantes variations selon les années. L’évaluation du risque pour les abeilles, basée sur les modèles et paramètres des agences sanitaires, a montré que 3 années sur 5, jusqu’à 12 % des parcelles présentaient une contamination pouvant entrainer la mort de 50 % des abeilles et bourdons les visitant. Ces travaux sont publiés en ligne le 28 novembre 2019 sur le site de Science of the Total Environment. »
Toujours la magie des cas extrêmes, mâtinée d'imprécision...
Selon le texte du communiqué,
« Première observation : les trois néonicotinoïdes concernés ont pu être détectés dans les échantillons prélevés. L'imidaclopride en particulier a été détecté chaque année, au total dans 43 % des échantillons analysés (48 % des parcelles), sans tendance à la baisse au cours des années mais avec une forte variation inter-annuelle. En 2016, plus de 90 % des parcelles échantillonnées étaient positives, contre seulement 5 % en 2015. […] Enfin, si 92 % des échantillons positifs ne contenaient qu’entre 0,1 et 1 ng/mL d’imidaclopride, les concentrations maximales dépassaient dans quelques cas celles rapportées dans les parcelles traitées, allant jusqu’à 70 ng/mL.
Cela doit nous mettre la puce à l'oreille : pourquoi poser une allégation générale et embrayer immédiatement sur le cas de l'imidaclopride ? La réponse simple se trouve dans un graphique :
Est-ce bien honnête d'écrire dans les faits marquants : « Tous les néonicotinoïdes limités par le moratoire de l'UE ont été détectés », et dans le communiqué : « les trois néonicotinoïdes concernés ont pu être détectés dans les échantillons prélevés », quand la clothianidine n'a été détectée que dans un échantillon en 2014 et le thiamétoxame dans trois en 2014 et deux en 2017 ?
La clothianidine et le thiamethoxame sont en quelque sorte victimes d'un déshonneur par association.
On peut du reste s'interroger aussi sur la référence au minimum de 0,1 ng/mL... Selon le graphique les détections inférieures à la limite de quantification se sont vu attribuer la valeur de 0,2 mL. Idem pour des concentrations maximales dépassant les concentrations signalées dans les cultures traitées : comment est-ce possible ? Quant au chapelet de suppositions émises dans l'article sur les causes de la détection de néonicotinoïdes et les variations dans les teneurs... dur, dur...
Mais que cela donne-t-il pour la mortalité des abeilles – pour la simulation sur la mortalité et pour les butineuses, pas la ruche entière ? Du communiqué :
« A partir de ces données, les évaluations de la mortalité basées sur les modèles et paramètres des agences sanitaires suggèrent un risque non négligeable pour les abeilles butineuses. Pour les abeilles domestiques, le risque a été maximal en 2014 et 2016, avec environ 50 % des butineuses susceptibles de mourir de l'imidaclopride dans 12 % des parcelles étudiées. Ces mêmes années, entre 10 et 20 % des parcelles présentaient un niveau de contamination associé à un risque de mortalité équivalent pour les bourdons et abeilles solitaires. »
Un autre graphique, difficile à lire et à interpréter, donne une image pour le moins contrastée.
Ce graphique est-il en accord avec l'affirmation faite dans le résumé (logiquement pour la seule imidaclopride) que :
« La simulation de la mortalité aiguë et chronique suggère un risque considérable pour les abeilles butinant le nectar » ?
Et qu'en est-il du message politique ?