Le Monde, « Les abeilles, le gouvernement et l’avenir » Un éditorial hallucinant
Un éditorial hallucinant
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Les abeilles et pollinisateurs, les betteraves, les néonicotinoïdes, les semences enrobées d'un néonic (dans l'ordre alphabétique mais c'est en fait un seul sujet) seront souvent à l'affiche sur ce site ces prochains temps.
Le caractère raisonnable et opportun (en fait insuffisant) de l'intention gouvernementale de prévoir la possibilité d'accorder des dérogations de 120 jours ne fait pas, pour nous, débat. Ce qui nous occupera ces prochains temps, ce sera surtout la désinformation déversée à pleins tombereaux sur les opinions politique et (dite) publique.
Ainsi, le Monde a publié un éditorial proprement hallucinant le 13 août 2020 (date sur la toile), « Les abeilles, le gouvernement et l’avenir ».
Rappelons que les éditoriaux sont censés engager la rédaction du Monde (et pas seulement leurs auteurs) et refléter la ligne éditoriale du journal qui fut de référence.
Voici ce qu'il écrit en chapô :
« Sans débat, le gouvernement a décidé de réintroduire les insecticides "tueurs d’abeilles" dans la production de betteraves, interdits depuis 2018. Au risque de ruiner la crédibilité de ses professions de foi vertes. »
C'est digne de la Pravda commentant une décision états-unienne du temps de la guerre froide (les décisions du Kremlin n'ayant jamais été disputées).
Le gouvernement a – en fait – décidé de saisir le Parlement d'une proposition qui permettra... (bis repetita), une proposition qui sera, évidemment, débattue !
Comment ce journal peut-il faire croire à ses lecteurs que le peuple français est mis devant un fait accompli, alors que l'affaire est très loin d'être pliée – à cause, notamment, de la désinformation diffusée par... le Monde ?
Le texte n'est pas d'une grande limpidité. Il illustre à merveille le caractère hors-sol et sectaire de la rédaction :
« Pour un nouveau gouvernement qui se fait fort de négocier la "transition agroécologique", permettre de nouveau aux producteurs de betteraves d’utiliser des semences enrobées de néonicotinoïdes est une curieuse entrée en matière. »
Mais, quelques lignes plus loin, il est admis que pour les producteurs,
« les rendements et les revenus sont menacés par le développement massif de la jaunisse de la betterave, une maladie virale transmise par un puceron dont les "néonics" permettent de se préserver. »
La rédaction du Monde aurait pu – aurait dû dans un monde raisonnable – s'incliner devant l'évidence. Mais elle ne saurait bien sûr renier son positionnement face à une réalité qui – sauf pour la filière betteravière à trouver des alternatives efficaces, ce qui n'est pas pour demain – est incontournable. Il ne faut pas désespérer l'écologisme politique. Et cela sied si bien à sa ligne anti-macronienne...
Il y aurait dès lors un
« dilemme [...] emblématique des relations entre décision politique et exigence environnementale ».
Il est beaucoup trop compliqué pour le Monde de comprendre que l'utilisation de semences enrobées, dans un cadre bien défini, répond à l'exigence environnementale. Encore faudrait-il qu'il s'informe, par exemple sur les positions prises par nos pays voisins qui, elles, tiennent (aussi) compte de l'« exigences environnementale ». Encore faudrait-il qu'il entende raison.
Il y a dès lors deux « camps » pour le Monde.
D'une part :
« une filière symbole de l’agriculture productiviste qui fait vivre 45 000 emplois, affiche sa fierté de la position française de deuxième producteur mondial de sucre de betterave, souligne l’absence d’alternative aux néonicotinoïdes pour lutter contre le puceron et se dit inquiète de la concurrence de pays européens où ces pesticides sont de nouveau tolérés »
D'autre part,
« des acteurs et des observateurs du monde agricole qui dénoncent une soumission au lobby sucrier et aux pressions de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), s’alarment d’un risque de contamination durable de l’environnement et militent pour une mutation accélérée de l’agriculture intensive française vers un modèle durable, respectueux de la nature et de la santé. »
Le Monde réussi l'exploit de semer les critiques de l'agriculture qui nous nourrit – osons le terme : l'agribashing – dans la description des deux « camps ».
On ne peut guère être plus injurieux – et condescendant – quand on qualifie l'agriculture qui nous nourrit à quelques lignes d'écart de « productiviste » et d'« intensive », fût-ce, dans le second cas, pour expliciter la position de certains « acteurs » – bien minoritaires – et « observateurs ».
Le complotisme n'est pas absent, même si, là encore, c'est la description d'une posture : nous sommes priés de nous convaincre qu'il y a un « lobby sucrier » et des « pressions » de la FNSEA. Mais il n'y aura jamais de « lobby » de la presse écrite, ou encore du « bio »...
Il se trouve que la description du premier camp, une fois ôtés les qualificatifs d'usage pavlovien chez les contempteurs de notre agriculture et les décroissantistes, correspond à une réalité – ajoutons-en une autre : un milliard d'euros d'excédents pour notre balance commerciale ; et que la deuxième régurgite des postures et des fictions. Que ces gens qui entendent renverser la table expliquent un jour, autrement que par des mots creux et de vaines phrases, quel est leur « modèle durable, respectueux de la nature et de la santé », quelles en seront les conséquences et comment on accomplit la « mutation » !
(Source)
Est-ce pour meubler ou pour remplir l'espace que l'éditorial bifurque sur la sécheresse et « le débat sur la gestion de la ressource en eau » ?
L'arrogance, la condescendance, le mépris, ainsi que le complotisme et la reductio ad FNSEA, sont à nouveau au rendez-vous :
« M. Denormandie reprend sans le moindre recul l’argumentaire de la FNSEA en faveur du stockage de l’eau dans de vastes réservoirs [...] ».
En face,
« les experts [les = tous les experts] mettent en garde contre le risque d’un assèchement des cours d’eau et d’une évaporation accélérée des réserves stockées à l’air libre ; ils plaident en faveur d’un partage de la ressource hydrique, devenue rare, entre ses différents utilisateurs. »
On aimerait voir une preuve de la préférence de la FNSEA pour « de vastes réservoirs », ainsi que de la nouvelle rareté de la ressource hydrique... quand, à des moments ou d'autres de l'année, les informations débordent de reportages sur des inondations catastrophiques.
Selon M. Joël Limouzin, vice-président de la FNSEA, seulement 1,7 % de l’eau de pluie serait actuellement stockée. L’agriculture irriguée utilise 4,9 milliards de m3 d’eau soit : 4,9 / 175 = 2,8 % du volume d’eau disponible en moyenne annuelle en France. Au niveau global, l’utilisation d’eau par l’agriculture irriguée est dérisoire par rapport à la ressource.
Crue de la Seine de Mars 2020 – et encore, il y a des barrages d'écrêtement en amont, qui ne font certainement pas souci aux bobos écolos parisiens... (Source)
« ...les experts mettent en garde » ? Mais à quoi assistons-nous présentement ? Ils veulent « un partage de la ressource hydrique » ? Il faut essentiellement entendre une réduction de la part consacrée à l'irrigation, c'est-à-dire à l'agriculture, c'est-à-dire à la production de notre alimentation et de produits exportables vers d'autres populations qui en ont besoin.
Les choix politiques font aussi l'objet d'une lecture manichéenne :
« Ces arbitrages du ministre de l’agriculture obligent sa collègue chargée de la transition écologique, Barbara Pompili, à manger son chapeau en justifiant des orientations qu’elle a longtemps combattues. »
Comment un journal de la stature du Monde peut-il évoquer des « arbitrages du ministre de l’agriculture » qui l'emporteraient sur une volonté (supposée) de Mme Barbara Pompili ? Tous deux pointent au deuxième rang dans l'ordre protocolaire derrière le Premier Ministre, mais pour M. Julien Denormandie, c'est... en commençant par la fin (ce qui illustre l'importance accordée par ce gouvernement à notre agriculture et notre alimentation).
Mme Barbara Pompili a-t-elle longtemps combattu certaines orientations ? Il faut qu'elle se fasse à son nouveau rôle ! Enfin pour autant qu'elle capte qu'être Ministre de la Transition Écologique, c'est servir la Nation dans son intégralité et pas seulement répondre aux desiderata et lubies de l'écologisme politique et de la décroissance.
Mais revenons au Monde. Voici une belle envolée de bien-pensance :
« Mais l’essentiel est ailleurs : de tels choix, traditionnels dans une France où les agriculteurs ont toujours pesé électoralement, ne peuvent plus être ainsi assénés sans le moindre débat. D’abord parce que le monde agricole lui-même est loin d’être unanime. Mais aussi parce que, à l’heure où se multiplient les signes tangibles du changement climatique, qui inquiètent l’opinion, le rôle du gouvernement devrait consister à accompagner le plus rapidement possible les mutations indispensables, pas à perpétuer les schémas anciens. »
C'est ça : débattons ! À voir comment a été organisée la Convention Citoyenne pour le Climat – avec des membres choisis par un tirage au sort pipoté, une sélection d'intervenants extraordinairement biaisée et des ayatollahs de l'écologisme comme « garants », ou à quelle vitesse M. Cyril Dion et son « débat » sont partis en vrille, on peut craindre le pire.
Et les faux semis font fuir les pucerons... (Source)
On peut aussi s'interroger quand le Monde en reste – par pur opportunisme ou pure bêtise – à « une France où les agriculteurs ont toujours pesé électoralement », alors qu'il y a peu, il célébrait la grande avancée des Verts aux municipales.
Il faut débattre « parce que le monde agricole lui-même est loin d’être unanime » ? La Confédération Paysanne est minoritaire dans les élections aux chambres d'agriculture et quasi symbolique quant au nombre de ses adhérents. Sa direction a pour principe de conduite de prendre le parti opposé de celui de la FNSEA. Elle s'est aussi mise au service de causes à l'opposé des intérêts des agriculteurs.
(Source)
« ...les signes tangibles du changement climatique » ? Réponse du Monde : il faut débattre !
Et la réponse serait : « accompagner le plus rapidement possible les mutations indispensables, pas à perpétuer les schémas anciens ». Dites-nous quelles sont les « mutations », au-delà de la nième itération du catéchisme verbeux et creux de la bien-pensance. Dites-nous quelles sont les conséquences (une bonne lecture... du Monde, un peu ancienne, ici – oubliez le titre putaclic)
On reste en conclusion dans le registre des incantations :
« Dans le domaine agricole, comme dans celui des transports notamment, le gouvernement doit faire œuvre de pédagogie sur la nécessité d’une transformation accélérée des modèles productifs et des modes de vie. Sauf à achever de ruiner la crédibilité de ses professions de foi vertes et sa prétention à préparer le pays pour les générations futures. »
Passons sur la crédibilité des professions de foi, vertes ou autres, du gouvernement ou des partis politiques. Pour le Monde, il faut une « une transformation accélérée [...] des modes de vie ». On aimerait en savoir plus...
Changeons de modèle : élevons des chameaux... j'ai juste ? (Source)