Le coton équitable, « espoir de l'Odisha » dans lle Monde ? Désespoir du lecteur rationnel !
Parmi les marronniers que nous apporte la torpeur estivale, il devait y en avoir au moins un sur les miracles du « bio » et de l' « équitable ». Le Monde Planète nous a servi un extravagant « Le coton équitable, un espoir pour les paysans de l’Odisha en Inde » (titre de l'article du 31 juillet 2020 sur la toile). En chapô :
« Dans les collines de cette région bordant le Golfe du Bengale, des milliers de cultivateurs frappés par la crise du Covid-19 espèrent rebondir grâce à la filière équitable qui les aide à lutter contre les OGM et à basculer dans l’agriculture bio. »
Dans l'édition papier, c'est plus raisonnable :
« Des milliers de cultivateurs frappés par la crise due au Covid-19 comptent sur cette filière pour rebondir. »
Faisons une petite escapade. L'Odisha, un des États les plus pauvres de l'Inde, s'appelait Orissa jusqu'au 4 novembre 2011. Mme Marie-Monique Robin y avait tourné une séquence en principe idyllique de son « film » – mot auquel s'accolle invariablement « et livre » dans sa rhétorique – « Notre poison quotidien » (cité d'Alerte Environnement) :
« Les cancers sont quasiment inexistants, à l’exception de celui de la bouche due à la mastication du tabac. Dans cette région très rurale, on ignore la pollution chimique et on mange ce que l’on produit, à savoir essentiellement des fruits et légumes cultivés sans pesticides. »
Ce n'est pas tout. Commentaire de l'AFIS-Ardèche :
« Enfin, à 2.14 dans cette vidéo [3:55 dans la vidéo ci-dessous], Marie-Monique Robin ose l'impensable, et demande à un vieil habitant : "Est ce qu'il y a des personnes obèses dans votre village ?" ; et, en voyant le neveu présenté comme la personne la plus grosse du village, elle s'extasie : "Mais il n'est pas obèse !" »
Une image de « Notre poison quotidien » de Mme Marie-Monique Robin sur la vie idyllique dans l'État d'Orisha en Inde (Source, minute 3:51)
Les ruraux de l'Odisha sont pauvres. L'agriculture est la base de l'existence pour 65-70 % de la population. Elle est dominée par des exploitations petites et marginales, de 1-2 hectares pour 80 % d'entre elles.
Retour au Monde. La « filière équitable » aiderait les agriculteurs « à lutter contre les OGM » ? Pourquoi donc ? Il est pourtant relevé dans l'article que 97 % du coton indien est maintenant issu des OGM... L'auteur de l'article ne s'est-il pas demandé pourquoi le cotonnier non GM – qu'en l'occurrence on ne peut plus qualifier de « conventionnel » – a ainsi été réduit à l'état de relique ?
C'est manifestement parce que dans la ligne éditoriale du Monde Planète,
« bio » (et « équitable ») = « bien »
et
OGM = mal.
Selon les statistiques de l'État pour 2013/2014, les variétés à haut rendement – sans nul doute non utilisées pour le coton bio (qui ne doit pas être GM selon le cahier des charges) occupent 100 % de la surface en coton. Un indice de plus du caractère marginal du sujet de l'article.
En mars 2011, l'État d'Orisha comptait quelque 42 millions d'habitants, dont 35 millions de ruraux. L'auteur de l'article le parsème de références qui auraient dû inciter à plus de retenue, notamment l'intertitre : « Une toute petite niche » (les guillemets font partie de l'intertitre).
« Le contexte local est favorable : l'Inde produit déjà 47 % du coton bio mondial, soit près de 90000 tonnes par an de coton fibre (la ouate débarrassée de ses graines), d'après un rapport de l'ONG Textile Exchange publié en novembte 2019. »
C'est sur un total mondial de 24 millions de tonnes et un total de 5,88 millions de tonnes pour l'Inde en 2018/2019. Le coton bio représente ainsi un formidable 0,8 % de la production mondiale et 1,5 % de la production indienne.
Le coton indien « équitable » – dont on peut penser qu'il est majoritairement bio – est la portion congrue d'une portion congrue : environ 18.000 tonnes selon l'article.
L'auteur ne s'est pas posé de questions sur cette situation. C'est pourtant simple : comment se fait-il que le coton bio et/ou équitable, paré des vertus qu'il lui attribue, ne soit pas plus répandu ? Réponse : parce que, précisément, il n'a pas ces vertus...
Mais le coton équitable serait néanmoins l'« espoir de l'Odisha »...
Est-il au moins équitable ?
Là encore, il y a des choses étranges :
« Akshaya Kumar Sahu […] pilote depuis 2016 un programme de sécurité alimentaire qui concerne 500 petits propriétaires terriens et une cinquantaine de paysans sans terre. Il les aide à améliorer leur niveau de vie et à réduire leur impact sur l'environnement en les faisant entrer dans la filière du coton équitable.
Un système qui protège les cultivateurs de toute vente à perte, grâce au respect du prix mini- . mum garanti par l'Etat. Et qui pemet d'obtenir une prime de développement financée par les marques de textile sous forme de droits de licence, à condition que les paysans se regroupent en coopérative et investissent cet argent dans des projets collectifs (micro-crédit, irrigation, logement, éducation... ). A condition aussi de ne pas cultiver d'OGM, de proscrire le travail des enfants et de respecter toutes les conventions de l'Organisation internationale du travail touchant à la santé et à la sécurité. »
Faut-il entendre que l'équité, c'est simplement respecter le prix minimum garanti par l'État, enchaîner les producteurs dans une organisation collective dépassant le cadre habituel de la coopérative agricole – assorti, bien sûr, de la diabolisation du cotonnier Bt (et, de plus en plus, illégalement HT) ?
Mais le coton équitable serait néanmoins l'« espoir de l'Odisha »...
Voici aussi l'influence de la Covid-19 :
« […] Au printemps, les paysans n'ont eu d'autre choix que de vendre leur coton sur le marché conventionnel après la levée du premier confinement, à des prix ridiculement bas. Mais le système du commerce équitable permet pour l'instant de tenir vaille que vaille, grâce aux primes de développement et aux distributions gratuites de semences de coton non OGM pour la saison 2020-2021. »
Faut-il comprendre que le système d'achat de coton « équitable » a été défaillant ?
Mais le coton équitable serait néanmoins l'« espoir de l'Odisha »...
Cependant, l'article n'est pas inintéressant. Passons sur l'inévitable exercice imposé du cotonnier grand consommateur d'eau et de pesticides, sur la bucolique description des femmes qui « passent leurs journées à décrocher de leurs mains délicates la ouate blanche qui parsème les champs brûlés par le soleil », sur les remarques sur l'impéritie gouvernementale qui finance un immense gâchis venant de l'inefficacité des systèmes d'irrigation...
Ce qui doit retenir notre attention, c'est la description du petit monde des organismes de certification et du petit monde des utilisateurs de coton bio et équitable. Si le coton équitable n'est pas vraiment un espoir de l'Odisha, il l'est sans conteste pour d'autres acteurs de la filière !
Ainsi que pour l'activisme qui entretient le sous-développement. On se frotte les yeux en lisant ceci :
« Le sous-continent a la particularité de développer des variétés de coton hybride qui font baisser les rendements. Mais selon Fairtrade-Max Havelaar, l'hybridation est le meilleur moyen, sur le terrain, de lutter contre le coton génétiquement modifié en laboratoire. "La lutte contre les OGM fait partie de nos priorités", affirment ses dirigeants, qui rappellent que 97 % du coton indien est aujourd'hui issu des OGM. Au début des années 2000, c'était 5 %. »
Les variétés hybrides font baisser le rendement, ça vient de sortir... Non, le 97 % ne les interpelle pas...
Le coton équitable, espoir de l'Odisha ?
« "Le coton équitable reste une toute petite niche, tempère un grand négociant européen, qui souhaite conserver l'anonymat. En Afrique, ça ne prend pas, et l'Inde a fait marche arrière, après avoir découvert que de fausses certifications circulaient dans les campagnes." [...] »
Il y a de petits malins en Occident... et des margoulins en Inde. Au milieu, des ruraux – souvent de populations dites « tribales » ou de castes inférieures dans le système sociologique indien – incités à rester dans une impasse agronomique et économique.
Cet article du Monde ne présente aucun chiffre économique. Dans notre recherche d'éléments plus concrets, nous sommes tombés sur « Social, economic and environmental impacts of organic cotton production on the livelihood of smallholder farmers in Odisha, India » (impacts sociaux, économiques et environnementaux de la production de coton biologique sur les conditions d'existence des petits agriculteurs dans l'Odisha, en Inde) de Christine Altenbuchner, Stefan Vogel et Manuela Larcher, tous trois de l'Institut pour le Développement Durable, Université des Ressources Naturelles et des Sciences de la Vie (le fameux BOKU, producteur de patascience) de Vienne. Aucune indication économique... tout est fondé sur des entretiens avec des agriculteurs engagés dans la filière (sans comparaisons...) et, bien sûr, sur les préjugés des chercheurs.
Nous ne conclurons pas sur les effets de la démarche, en principe, de développement. Quoique... les silences sont éloquents.
Ce qui se fait peut malgré tout être positif, l'inévitable réduction des rendements du bio (qui affecte également les cultures autres que le cotonnier) étant compensée par la réduction des intrants et une structuration de la filière qui écarte (en principe) les charognards (usuriers et intermédiaires peu scrupuleux). Mais ce qui se fait doit se comparer avec ce que l'on obtient avec d'autres moyens.
En tout cas, le coton équitable – tel qu'il est présenté dans cet article du Monde Planète – n'est pas « l'espoir de l'Odisha ».
Le résumé des effets selon C. Altenbuchner et al. Que signifie, dans les « défis », la charge de travail plus élevée ? Réponse : une perte d'opportunités... Voir aussi la contradiction au sujet de l'accès aux semences...