Betteraves, néonicotinoïdes et abeilles : le délire de M. Stéphane Foucart dans le Monde
Encore un qui a disjoncté... quel naufrage... (Source)
Mettons, une fois de plus, les choses au clair : l'interdiction des néonicotinoïdes en agriculture a été inscrite dans la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages portée en son temps par Mme Barbara Pompili, Secrétaire d'État chargée de la Biodiversité. Article 125, premier alinéa :
« L'utilisation de produits phytopharmaceutiques contenant une ou des substances actives de la famille des néonicotinoïdes et de semences traitées avec ces produits est interdite à compter du 1er septembre 2018. »
Pour pouvoir accorder des dérogations de 120 jours pour l'utilisation de semences de betteraves enrobées – comme le font d'autres pays betteraviers européens –, il faut faire sauter un verrou législatif qui a aussi verrouillé la possibilité d'accorder des dérogation (possibles jusqu'au 1er juillet 2020, avec des conditions draconiennes). Le gouvernement s'est finalement résigné à annoncer le dépôt d'un projet de loi. Voici le chef-d'œuvre de charabia de l'annonce du Ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation Julien Denormandie (c'est un élément d'un « plan d'action ») :
« la proposition d’une modification législative cet automne pour permettre explicitement, pour la campagne 2021 et le cas échéant les deux campagnes suivantes tout au plus, le recours à l’article 53 du règlement européen n°1107/2009, comme le font d’autres pays européens confrontés aux mêmes difficultés, pour pouvoir prendre au moment des semis une dérogation de 120 jours pour les semences enrobées, dans des conditions strictement encadrées. Le règlement européen l’autorise à la condition "qu’une telle mesure s’impose en raison d’un danger qui ne peut être maitrisé par d’autres moyens raisonnables". »
Cela répond peut-être aux préoccupations des acteurs de la filière fondée sur la betterave (qui va bien au-delà des betteraviers et des sucreries), mais le résultat n'est pas garanti.
Le monde anti-pesticides s'active avec énergie.
Le Monde Planète et M. Stéphane Foucart ont apporté une « belle » contribution le 12 août 2020 (date sur la toile) avec « Avec ou sans floraison, les néonicotinoïdes représentent des risques pour les pollinisateurs ». En chapô :
« Contrairement aux arguments avancés par les syndicats agricoles, l’usage des insecticides systémiques a un impact sur la biodiversité, comme l’attestent de nombreux travaux scientifiques. »
Nous n'en disconviendrons pas ! Tout le problème réside dans l'identification et l'évaluation des « risques » ou de l'« impact », dans l'évaluation du rapport risques-bénéfices pour qui est capable de comprendre qu'il y a une activité humaine en jeu et dans l'évaluation de ces éléments par rapport aux autres solutions possibles.
M. Stéphane Foucart entend donc nous convaincre de l'existence de risques à l'aide d'une demi-douzaine de références issues de la recherche scientifique et de l'Autorité Européenne de Sécurité des Aliments (EFSA). Sans surprise, c'est un « dossier » entièrement à charge, à la Savonarole, sans aucune considération pour les évaluations.
Sans surprise également, c'est sur fond de complotisme et c'est mâtiné d'arrogance et de condescendance. En bref, « l'agro-industrie » est aux manettes et ces benêts d'élus et de responsables politiques perroquètent :
« […] Mis en circulation par les milieux de l’agro-industrie et repris par le ministère de l’agriculture dans sa communication, cet argument [que les betteraves ne fleurissent pas en production sucrière] a été largement repris sur les réseaux sociaux par des élus et des responsables politiques. »
Mieux encore :
« Selon un schéma désormais récurrent, il [cet argument] a également été adoubé par des personnalités scientifiques s’exprimant généralement hors de leur champ de compétence. [...] »
Le bonnet d'âne est ainsi livré au « médecin et universitaire Jean-Loup Salzmann, ancien président de la Conférence des présidents d’université (CPU) ». Il est toutefois entendu qu'un journaliste du Monde Planète peut s'exprimer sur tout, ayant des compétences universelles...
Nous n'entrerons que marginalement dans les affirmations de fond dans ce billet.
(Dans le fil du gazouillis ci-dessus)
Relevons simplement que de nombreux pays autorisent les néonicotinoïdes pour des usages divers et variés. Manifestement, leur appréciation des risques des néonicotinoïdes – ou leur conclusion sur les mesures à prendre pour y répondre – ne sont pas de nature à déclencher une hystérie.
Les autres pays membres de l'Union Européenne ont laissé faire la Commission et interdire la quasi-totalité des usages de la clothianidine, de l'imidaclopride et du thiametoxame. Ce fut, cocorico !, « sous l’impulsion de la France », grâce aussi à une formidable intoxication de l'opinion publique et politique par les activistes.
Ces pays l'ont fait avec cynisme ou pragmatisme – prenez-le comme vous voulez – sans compromettre leur capacité d'accorder des dérogations. La porte a été fermée, mais chez eux les fenêtres sont restées ouvertes.
L'argument circulaire qui veut que les néonicotinoides « représentent des risques pour les pollinisateurs » comme en témoignent les décisions de l'Union européenne (et française) est singulièrement ovale. En cherchant bien on trouvera, suivant la logique foucartienne, qu'il est aussi « mis en circulation » par les milieux de l'activisme et repris « par des élus et des responsables politiques », etc.
L'argument est aussi faiblard, s'agissant des semences enrobées de betteraves. M. Stéphane Foucart précise – nous lui en saurons (presque) gré :
« S’agissant de la betterave à sucre traitée aux néonics, l’EFSA a jugé "faibles" les risques liés à l’eau de guttation […] »
Mais c'est pour actionner immédiatement la fabrique du doute :
« [...] mais des travaux académiques indépendants de l’industrie manquent sur le sujet. Quant à la contamination de l’environnement autour des parcelles de betteraves traitées, l’agence européenne n’a pu conclure à l’absence de risque pour les bourdons et les abeilles solitaires, faute de données. »
Doute à propos des risques des néonicotinoïdes et de la fiabilité des travaux qui ne seraient pas « académiques indépendants de l’industrie ». Quant à la « contamination » des abords des champs, il faut comprendre que l'EFSA n'a pas été convaincue par les données des « travaux académiques indépendants de l’industrie ». Mais ce n'est pas dit dans l'article. Le procureur plaide exclusivement à charge...
Avec une péroraison délirante :
« L’une des caractéristiques des néonicotinoïdes est en effet d’être toxiques à des doses d’exposition infimes. Par exemple, l’application de 60 grammes d’imidaclopride (le principal néonic) par hectare, sur les 423 000 hectares de betterave à sucre exploités en France, équivaut à environ 25 tonnes de produit, soit suffisamment pour tuer 3 millions de milliards d’abeilles (4 nanogrammes d’imidaclopride par abeille suffisent à tuer 50 % d’une population exposée, selon la synthèse de référence publiée en 2014 dans Environmental Science and Pollution Research). En comptant un centimètre par hyménoptère, cela représenterait une chaîne d’abeilles mortes d’environ 30 milliards de kilomètres, soit quelque 40 000 allers-retours de la Terre à la Lune. »
Là, on ne franchit pas le mur du çon, selon une expression consacrée du Canard enchaîné, on échappe à grande vitesse à l'attraction terrestre.
Cette photo aura au moins le mérite de montrer le désastre sanitaire à ceux qui savent observer (source)