Un festival de désinformation à France Inter : « Les semences paysannes, enfin autorisées » de M. Mathieu Vidard
Incompétence et irresponsabilité (source)...
« Les semences paysannes, enfin autorisées », c'est « l'édito carré » de M. Mathieu Vidard du lundi 22 juin 2020.
France Inter nous a fait la grâce d'en livrer la transcription. Et là, horresco referens... Pire encore, ce truc a inspiré nombre de « journalistes » et acteurs des réseaux sociaux panurgistes.
Nous analyserons donc en détail cet « édito » tout en creusant la question de fond – la modification d'un texte de loi consacrant maintenant la possibilité de vendre à peu près n'importe quoi en le qualifiant de « semences ».
« Les semences paysannes, enfin autorisées » implique pour un esprit normalement constitué qu'elles étaient jusque là interdites. C'est tout simplement faux !
Le rectificatif – en quelque sorte – vient immédiatement en chapô :
« L’information est passée presque inaperçue au milieu de l’actualité mais la vente de semences paysannes à des jardiniers amateurs a été officiellement autorisée et publiée au Journal Officiel daté du 11 juin. »
Voilà une information d'une importance tellement capitale qu'on se demande comment elle a pu passer inaperçue... enfin presque, car heureusement, il y a eu M. Mathieu Vidard.
La chose nous est expliquée plutôt correctement.
Voici, à notre façon et en plus détaillé : il y a, en France, une opposition obsessionnelle à la législation en matière de semences et, en particulier, à l'obligation de faire inscrire les variétés de la plupart des espèces à vocation alimentaire dans un catalogue avant de pouvoir les commercialiser. Cela se double bien évidemment d'une aversion pour le capitalisme et le libéralisme (enfin, pas si cela est le fait d'une « association », comme nous allons le voir incessamment) ; et tant pis si cela touche aussi les petites et moyennes entreprises et les coopératives, nombreuses dans le secteur des variétés et des semences.
Dans le cadre des travaux sur la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages (qui allait devenir la N° 2016-1087 du 8 août 2016), la bien-pensance parlementaire a adopté une addition à l'article L. 661-8 du Code Rural et de la Pêche Maritime :
« La cession, la fourniture ou le transfert, réalisé à titre gratuit ou, s'il est réalisé par une association régie par la loi du 1er janvier 1901 relative aux contrats d'association, à titre onéreux de semences ou de matériels de reproduction des végétaux d'espèces cultivées de variétés appartenant au domaine public à des utilisateurs finaux non professionnels ne visant pas une exploitation commerciale de la variété n'est pas soumis aux dispositions du présent article, à l'exception des règles sanitaires relatives à la sélection et à la production.
Le Conseil Constitutionnel a censuré la partie barrée du texte ci-dessus comme non conformes à la Constitution (violant le principe d'égalité) par sa décision N° 2016-737 DC du 4 août 2016.
Les députés du camp du Bien – cette fois sous l'ère macronienne – ont remis le couvert dans le cadre des travaux sur la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (loi dite « égalim », devenue N° 2018-938 du 30 octobre 2018).
Le Conseil Constitutionnel a une nouvelle fois retoqué la modification, et ce, en tant que cavalier législatif (une disposition étrangère à l'objet de la loi) par sa décision N° 2018-771 DC du 25 octobre 2018. La restriction aux seules associations avait été supprimée.
La troisième tentative, dans le cadre de la loi N° 2020-699 du 10 juin 2020 relative à la transparence de l'information sur les produits agricoles et alimentaires aura été la bonne. Dans l'article précité, la partie barrée est remplacée par « ou à titre onéreux ».
Nous ne nous lancerons pas dans une analyse juridique détaillée, sauf à nous interroger sur le sens à donner à « [l]a cession, la fourniture ou le transfert » et « règles sanitaires relatives à la sélection ». La première formule englobe-t-elle la « commercialisation », la « mise sur le marché » ou la « vente », termes utilisés dans le décret N° 81-605 du 18 mai 1981 pris pour l'application de la loi du 1er août 1905 sur la répression des fraudes en ce qui concerne le commerce des semences et plants ? Son article 12, relatif à l'étiquetage, prévoit :
« 6° Lors de la vente de variétés anciennes de semences ou de plants exclusivement destinées aux jardiniers amateurs, l'emballage porte la mention suivante : " Variété ancienne destinée aux jardiniers amateurs conditionnée et commercialisée en petites quantités ". »
La deuxième formule exclut-elle implicitement l'applicabilité des règles relatives à la commercialisation, y compris l'étiquetage ?
En tout cas, la bien-pensance n'est pas forcément l'amie des jardiniers amateurs dans cette affaire. C'est ce qu'a constaté M. Nicolas Turquois, député MoDem de la Vienne (et ingénieur agronome), dont la proposition d'amendement a été rejetée :
« En revanche, je m’interroge sur l’article 6, qui porte sur la vente de semences. Par ce texte, en effet, nous cherchons à juste titre à favoriser l’information du consommateur ; dans cet article, au contraire, il est proposé d’abaisser le niveau d’information actuellement exigé. Si la biodiversité est un enjeu fondamental dont l’importance est reconnue sur tous les bancs, notamment pour ce qui concerne les variétés anciennes, on peut s’interroger sur la façon la plus efficace de la préserver. Nous aurons l’occasion d’en débattre lors de l’examen de l’article concerné. »
En effet, en matière de transparence et de protection des consommateurs – terme général désignant ici les jardiniers amateurs – cette disposition comporte le risque d'une formidable régression.
Revenons à France Inter :
« Ces semences sont celles qu’un agriculteur va directement prélever dans sa récolte afin de les replanter. »
Faux !
Il manque un élément essentiel, exprimé par la définition qu'en donne Wikipedia :
« Les semences paysannes, dites encore de pays ou anciennes, sont celles qu'un agriculteur prélève dans sa récolte en vue d'un semis ultérieur mais qui, contrairement aux semences de ferme, ne sont pas préalablement issues de semences certifiées achetées à un semencier. »
Notons que la disposition législative dont il s'agit ici ne porte pas sur les « variétés paysannes », mais sur les « variétés appartenant au domaine public ». Elle s'applique aussi, a priori, à une variété de création toute récente que son obtenteur aura décidé de ne pas protéger. Incidemment, qu'est-ce qu'une « variété » au sens de cette disposition ?
« Pendant des millénaires, toute semence était "par nature" le résultat du travail des paysans. Une pratique qui garantissait l’indépendance financière et l’autonomie des agriculteurs. »
Elle garantissait surtout des accidents de culture, des problèmes sanitaires, de maigres récoltes, parfois la disette, voire la famine.
Si nous avons aujourd'hui la chance, du moins dans nos pays, de pouvoir ouvrir un frigo et de décider ce nous n'allons pas manger, c'est en partie le fruit du progrès variétal apporté par des spécialistes de la génétique végétale, les obtenteurs ou sélectionneurs – dont une bonne partie étaient il y a quelques décennies des agriculteurs ou « paysans ».
« Chaque nouvelle variété se voit attribuer une carte d’identité afin de valider son homogénéité, sa stabilité tout en apportant une valeur agronomique ajoutée en étant plus performante que les autres variétés déjà existantes. »
En partie faux : d'une part, l'exigence de valeur agronomique (et technologique et environnementale) n'implique pas la nécessité d'un progrès, mais seulement une valeur suffisante par rapport aux variétés les plus utilisées du moment ; et, d'autre part, elle ne s'applique pas aux variétés de légumes.
Post scriptum : pour la férue d'histoire qui me lit, le texte de 1932 est ici.
« Des critères qui ont été pensés pour répondre aux besoins de l’industrie agroalimentaire et de l’agriculture conventionnelle intensive afin d’obliger les paysans à racheter des semences. Très vite, des multinationales comme Monsanto se sont imposées comme les leaders de ce marché qui s’est retrouvé, contrôlé par un nombre restreint d’acteurs. »
Là, c'est le délire !
Et quand il est question de semences dans un média orienté « militant », il n'est pas surprenant de trouver une reductio ad Monsantum...
Journal Officiel du 29 mars 1925 (Source)
Quand on est imbibé d'idéologie, il est difficile de concevoir que le système des catalogues a pour objet de protéger les utilisateurs de semences, y compris contre des margoulins qui sévissent encore aujourd'hui, notamment en surfant sur le thème de la rébellion contre les institutions.
Non, les « semences paysannes » ne sont pas brevetées, mais l'usage de la dénomination est réservé au Réseau Semences Paysannes. La propriété intellectuelle, c'est toujours mauvais et à combattre... sauf quand c'est la nôtre... (Source)
« Les semences paysannes, vous l’avez compris, ne rentrent pas dans ces critères car elles sont instables et hétérogènes. Ce sont des semences qui évoluent. »
En partie faux ! Il y des « semences paysannes » qui appartiennent à des variétés qui sont des lignées pures... certaines étant du reste des variétés d'obtenteurs...
Mais l'âme charitable peut trouver des excuses : c'est la reproduction du discours de propagande : ces merveilleuses semences paysannes qui s'adaptent au terroir, alors que ces vilaines variétés modernes (que les agriculteurs et jardiniers amateurs achètent pourtant)... En plus... le voici venir...
N'oublions pas le brevet...
Après les multinationales et Monsanto, voici les brevets :
« L’échange de semences entre agriculteurs est donc considéré comme illégal au nom de la protection réglementaire de la propriété sur les brevets ce qui a remis en question des siècles de pratique paysanne et la circulation des variétés à travers les territoires en menaçant la diversité des semences disponibles. »
Que d'âneries ! Que d'âneries !
Que viennent faire les brevets ici ? Les « siècles de pratiques paysannes », parlons-en... quand les colporteurs vendaient n'importe quoi... raison pour laquelle les dispositions qui régissent la production et le commerce des semences ont été introduites. Et pour la diversité des semences, M. Mathieu Vidard a-t-il une idée du nombre de variétés inscrites dans les catalogues français et communautaires ? Plus de 9.000 et quelque 55.600, respectivement... Il y a 153 variétés de tomates dites « sans valeur intrinsèque », destinées plus particulièrement aux jardiniers amateurs, inscrites au catalogue français. Inscrites évidemment par les acteurs économiques qui « jouent le jeu » et respectent le client, les frais d'inscription étant couverts par la profession variétale et semencière.
(Source)
Ah oui, il y a le discours de l'activisme... On ne va tout de même pas le mettre en doute chez France Inter, et surtout pas à la Terre au Carré...
À l'intertitre :
« Et qu’est ce que cette loi vient changer dans les pratiques ? »
répond :
« Elle vient clarifier et autoriser quelque chose qui, dans les faits, était déjà pratiqué. »
L'auteur fait appel à M. Patrick de Kochko, producteur de céréales issues de semences paysannes, qui explique une pratique, puis ajoute :
« Les artisans semenciers pouvaient en effet déjà proposer ces graines avec une inscription spécifique sur le sachet. »
C'est la disposition du décret N° 81-605 du 18 mai 1981 que nous avons citée plus haut...
Mais alors, pourquoi a-t-on modifié la loi ?
Mme Barbara Pompili a une sorte de réponse :
« ...la vente de variétés de semences du domaine public non inscrites au Catalogue officiel à des amateurs est un grand pas pour la biodiversité en raison de l’importante diversité génétique de ces semences. »
C'est la régurgitation, sans recul et sans esprit critique, de la rhétorique de l'activisme...
Si vous êtes intéressés par d'autres déclarations perchées, réfractaires au bon sens – aux arguments du député Nicolas Turquois (producteur de semences) et du ministre Didier Guillaume –, c'est ici.
Le Réseau Semences Paysannes – dont un membre, M. Patrice de Kochko, s'est exprimé dans l'émission la Terre au Carré du même jour (et de M. Mathieu Vidard) – a un autre point de vue, tout en se félicitant de la modification de la loi (difficile de faire moins) :
« Pour rappel, si cet article apporte une clarification bienvenue, en inscrivant noir sur blanc la possibilité de vendre à des amateur-e-s des variétés du domaine public non inscrites au Catalogue officiel, il ne change rien à la situation actuelle. Le RSP estime en effet, qu’aujourd’hui comme hier, il est légalement possible de vendre à des jardinier-ère-s des semences de variétés non inscrites au Catalogue officiel des variétés. Selon l’interprétation du RSP du décret 81-605 relatif au commerce des semences, la définition de commercialisation donnée par ce dernier, qui conditionne l’obligation d’inscription au Catalogue officiel des variétés, ne concerne que les cessions faites "en vue d’une exploitation commerciale de la variété". Cela concerne par exemple la vente de semences à des agriculteurs, qui par définition en font une exploitation commerciale en vendant ensuite des légumes ou céréales... A l’inverse, rien n’interdit la vente à des amateur-e-s de semences non inscrites au Catalogue officiel des variétés.
Pour rappel, l'article premier de ce décret prévoit :
« Au sens du présent décret, par commercialisation, on entend la vente, la détention en vue de la vente, l'offre de vente et toute cession, toute fourniture ou tout transfert, en vue d'une exploitation commerciale, de semences ou de plants, que ce soit contre rémunération ou non. »
L'interprétation du décret par le Réseau Semences Paysannes se défend.
La loi, telle qu'elle est maintenant rédigée, aurait alors au moins un mérite : soumettre expressément les semences de « variétés » non inscrites au catalogue vendues à des jardiniers amateurs aux « règles sanitaires relatives à la sélection et à la production ».
Ce résultat a sans doute été obtenu à l'insu du plein gré des lobbyistes et des députés du camp du Bien qui se sont investis dans une prétendue défense des semences reproductibles et libres de droit et de la biodiversité.
Le juriste pointilleux s'interrogera aussi : sachant que la définition de la définition de la commercialisation englobe « la vente, la détention en vue de la vente, l'offre de vente », ces actions sont-elles bien couvertes par la nouvelle exclusion ?
Un boulevard n'a pas encore été ouvert aux margoulins qui ont cru pouvoir vendre n'importe quoi en toute liberté.
Il reste juste à espérer que le gouvernement et les services de l'État feront bon usage de cette disposition.
Voici, pour conclure, un échange qui a eu lieu au Sénat :
« Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure. - Cet article permet à des semences potagères, vendues à des jardiniers amateurs qui ne visent pas une exploitation commerciale, de ne pas être inscrites au catalogue officiel. Je vous propose de ne pas modifier cet article - malgré une divergence du Sénat sur ce sujet - par une sorte d'accord de sagesse sur cette question bloquée depuis plusieurs années en raison d'absence de véhicule législatif adéquat.
Depuis 2016, nous discutons de ce point, mais il faut d'abord trancher si cela est conforme au droit européen. Nous avons un doute sur la conventionalité de la disposition proposée que seule la Commission européenne peut trancher. Plutôt que d'en débattre durant des mois, et de bloquer l'avancée de la proposition de loi, adoptons cette disposition pour la soumettre à l'avis de la Commission européenne en lui notifiant l'article. Le ministre partage-t-il cet avis?
M. Didier Guillaume, ministre. - Sagesse. La France a été attaquée par le virus de la tomate [ma note : le Tomato brown rugose fruit virus (ToBRFV)]. Une exploitation est touchée par le virus, qui provient notamment de semences originaires des Pays-Bas, et plantées au Royaume-Uni. Nous devons être prudents. Trois exploitations françaises, qui se sont approvisionnées au même endroit, sont également suivies.
L'article 6 prévoit de supprimer toute exigence sur les semences destinées aux amateurs, que ce soit en matière de qualité des graines, mais aussi d'étiquetage et d'information sur la variété. Je regrette que l'Assemblée nationale l'ait adopté. Une telle disposition supprimant tout encadrement sur les conditions de vente des semences apparaît dans une proposition de loi qui vise justement à renforcer la protection des consommateurs et garantir la loyauté des transactions... Mais c'est ainsi, et le Gouvernement notifiera cet article auprès de la Commission européenne afin qu'elle puisse donner son avis sur sa compatibilité avec la réglementation européenne. [Ma note : le texte a été notifié.] Sagesse. »
Glané sur le site des Semences Paysannes :
« A noter : la vente de plants maraîchers n'est pas concernée. La vente de plants maraîchers de variétés non inscrites au Catalogue officiel reste réglementairement interdite par le décret n°94-510 du 23 juin 1994 relatif à la commercialisation des jeunes plants de légumes (situation légèrement ubuesque !). Le RSP remet toutefois depuis toujours en cause cette incohérence, et accompagne les maraîchers qui font de la vente occasionnelle de plants. »