Le Monde anti-OGM de M. Stéphane Foucart : la vraie histoire de Quist et Chapela, du maïs mexicain « contaminé »
Le 29 novembre 2001, Nature – oups ! la prestigieuse revue Nature – publiait « Transgenic DNA introgressed into traditional maize landraces in Oaxaca, Mexico » (de l'ADN transgénique introgressé dans les cultures traditionnelles de maïs dans l'Oaxaca, au Mexique texte complet ici) de David Quist et Ignacio H. Chapela.
Et M. Stéphane Foucart de relater la suite dans sa chronique du 18 juillet 2020 (date sur la toile), « Les arguments favorables aux “OGM” sont soumis à très peu d’esprit critique » (les guillemets sont dans le titre) – « "La science" est-elle vraiment pro-OGM ? » dans l'édition papier des 19-20 juillet 2020 :
« Au moment même où l’article était publié — et alors que nul n’avait encore pu l’examiner —, un déluge d’indignation s’abattit sur les éditeurs de la revue : les auteurs étaient des militants écologistes déguisés, leur méthode était défectueuse, leurs résultats étaient pourris, etc.
Quelques mois plus tard, Nature publiait une notice de désaveu, regrettant la publication de l’étude — sans toutefois avoir le moindre élément pour une rétractation en bonne et due forme. Du jamais-vu. [...] »
On est ensuite prié de croire que la bronca n'était pas « si spontanée » et qu'une campagne de dénigrement avait été lancée « par une officine dont l’un des clients était une firme agrochimique bien connue ». M. George Monbiot, du Guardian, est appelé à la rescousse : dans son « The Fake Persuaders » (les persuadeurs fictifs), il avait relaté que deux personnages fictifs opéraient sur un forum de discussion, AgBioWorld, pour le compte de The Bivings Group, spécialisé dans le lobbying par Internet (une firme qui a du reste bien (eu) d'autres clients queMonsanto)...
Grand bond en avant, fin de l'histoire :
« Des années plus tard, le 12 novembre 2008, Nature revenait sur l’affaire dans un bref article d’information : les résultats qu’elle avait désavoués avaient été reproduits par d’autres chercheurs.
Des événements essentiels qui se sont produits dans l'intervalle sont passés à la trappe... bon nombre ne vont pas dans le sens du récit.
L'article référencé (de novembre 2008) est « Modified genes spread to local maize » (des gènes modifiés se répandent dans les maïs locaux), de Rex Dalton, avec en sous-titre « Findings reignite debate over genetically modified crops » (des résultats de recherche rallument le débat sur les plantes génétiquement modifiées). Il évoque un article publié ultérieurement dans Molecular Ecology par l'équipe de Mme María Elena Álvarez-Buylla, « Transgenes in Mexican maize: molecular evidence and methodological considerations for GMO detection in landrace populations » (transgènes dans le maïs mexicain : preuves moléculaires et considérations méthodologiques pour la détection des OGM dans les populations locales).
Arrêtons nous un instant sur les faits.
Nous produisons en France différents types de maïs, dont le maïs sucré qui ne doit pas être fécondé par un maïs grain. Nous produisons également des semences de maïs de variétés différentes avec un haut degré d'homogénéité grâce à des mesures d'isolement de quelques centaines de mètres. Les Mexicains cultivent aussi des types locaux très différents et sont capables de maintenir leur typicité.
Quist et Chapela prétendent avoir trouvé de l'ADN transgénique dans des maïs criollos cultivés dans des « montagnes reculées » de la province d'Oaxaca située au sud du Mexique, vers sa partie la plus étroite, à quelque 2.600 kilomètres des États-Unis d'Amérique. Il y a trois hypothèses possibles, mais elles sont improbables, voire invraisemblables au regard de l'étendue des « dégâts » allégués : des « contaminations » par du pollen vagabond états-unien ; par du pollen de cultures illégales de maïs transgéniques, dans les environs proches, à partir de semences de contrebande ; ou par du pollen de cultures de maïs, toujours dans les environnements proches, à partir de lots importés pour l'alimentation animale.
Mais ces hypothèses impliquent aussi que les maïs criollos « contaminés » auraient été des F1 en première génération, moitié criollo, moitié gringo. Peut-on imaginer que les paysans locaux les auraient gardés pour faire de la semence ? Peut-on croire qu'ils ont procédé à un programme de sélection par rétro-croisements ?
Toute l'histoire ne tient pas debout. Et même si... quel effet ? Si ces maïs avaient hérité d'un transgène fonctionnel – ce qui n'a pas été prouvé – elles auraient acquis la faculté de résister à la pyrale. Point.
Álvarez-Buylla suggère que les transgènes – des choses qui seraient de toute évidence rares dans les populations de maïs si elles existaient – auraient pu persister jusqu'en 2004 ou être réintroduits. Cela aussi défie l'entendement.
Le maïs GM est aujourd'hui cultivé sur plus de 30 millions d'hectares aux États-Unis d'Amérique, probablement aussi en douce au Mexique... et la polémique sur les « contaminations » des maïs mexicains est maintenant éteinte...sauf au Monde.
(Source)
Évacuons un premier fait : M. David Quist, M. Ignacio Chapela et Mme María Elena Álvarez-Buylla sont des activistes anti-OGM.
Ainsi, avant même la publication de l'article princeps dans Nature, M. David Quist co-signait à titre individuel « Exigen soluciones a la contaminación por transgénicos en México » (ils exigent des solutions à la contamination par les OGM au Mexique), un appel d'une flopée d'organisations (et « organisations », dont Greenpeace Mexique et International.
Selon Biotech's OK Corral, de l'Institute for Agriculture and Trade Policy (IATP – source de nombreuses informations ci-dessous), il a été accusé (faussement selon lui) d'avoir détruit des essais transgéniques sur le terrain de son collègue Nick Kaplinsky.
L'article de Quist et Chapela a été publié au milieu d'une âpre controverse à propos d'un accord de coopération entre l'Université de Berkeley et Novartis, maintenant Syngenta. M. Ignacio Chapela était dans le camp des opposants à l'accord et des partisans de l'immaculée conception de la science académique. Incidemment, il est aussi mycologiste et est donc sorti de son domaine de compétence... pour entrer dans celui du militantisme.
M. Ignacio Chapela a signé en 1999 une « déclaration des scientifiques du monde » appelant à un moratoire sur les OGM et l'interdiction des brevets sur ceux-ci.
Mme María Elena Álvarez-Buylla est très fortement critiquée pour ses positions anti-OGM, et même accusée de mentir de manière répétée devant des publics non avertis au sujet de la sécurité des aliments GM ou issus d'OGM.
Cela ne dit encore rien sur la qualité de leurs recherches mais doit servir de signal d'alerte.
En 2003 et 2004, une équipe de recherche a fait tester par deux entreprises commerciales américaines 153.000 grains provenant de 870 plantes de maïs prélevés dans 125 champs et 18 localités de l'Oaxaca. Les tests, très sensibles, n'ont révélé aucun élément de transgène (« Absence of detectable transgenes in local landraces of maize in Oaxaca, Mexico (2003–2004) » (absence de transgènes détectables dans des écotypes locaux de maïs de l'Oaxaca, Mexique (2003-2004)),
S. Ortiz-García, et al.).
L'un des auteurs de cette étude, Allison Snow, de l'Université de l'État de l'Ohio, a été décrite comme étant plutôt une amie de Quist et Chapela. On comprend à la lecture de cette déclaration faite à l'occasion de la publication de son article qu'elle était plutôt dans le camp de la thèse de la contamination :
« Personne ne savait à quel point le maïs transgénique était courant dans cette région, nous pensions qu'il pouvait atteindre 5 à 10 %. […] Nous savons maintenant qu'il est très peu probable que du maïs transgénique soit cultivé à Oaxaca. Les agriculteurs mexicains qui ne veulent pas de transgènes dans leurs cultures seront soulagés d'apprendre que ces gènes indésirables semblent avoir disparu. »
Les faits sont têtus. Pourtant, le gouvernement mexicain avait annoncé qu'on avait trouvé des transgènes. Sur quelle base ? Nature aurait refusé un article pour des motifs qu'on a prétendus discutables et discutés en octobre 2002, mais cet article n'a, semble-t-il, pas trouvé refuge dans une autre revue.
Les chercheurs du Centre International d'Amélioration du Maïs et du Blé (CIMMYT) ont essayé de reproduire les résultats de Quist et Chapela. En vain. Commentaire de M. Shavaji Pandey, directeur du programme de recherche sur le maïs :
« Je ne dirais pas que cela discrédite l'article, mais l'une des choses qui nous dérange beaucoup ici, c'est qu'ils ont trouvé le promoteur même dans les variétés de maïs qui ont été plantées au milieu des années 70. C'est étrange, car le promoteur du Bt n'a pas été introduit dans le maïs avant la fin des années 1990. Chapela n'était pas au courant de cette divergence lorsqu'il a publié l'article. Depuis lors, nous l'avons porté à son attention. »
L'article de l'IATP date de septembre 2002. Mais Quist et Chapela ont fondamentalement campé sur leurs positions au principal. C'est ce que montre notamment un article dans Nature, « Suspect evidence of transgenic contamination/Maize transgene results in Mexico are artefact (see editorial footnote) » (preuves suspectes de contamination transgénique/les résultats sur les transgènes de maïs au Mexique sont des artefacts (voir note de bas de page éditoriale)). C'est leur réponse à des critiques de Nick Kaplinsky (celui dont les essais ont été vandalisés) et. al. Voir aussi « with David Quist - The Mexican Maize scandal » (avec David Quist – le scandale du maïs mexicain), un article de l'« ONG » activiste Grain d'avril 2003.
On pourrait écrire tout un roman sur les réactions qu'a suscitées l'article de Quist et Chapela.
Il y a eu les animosités personnelles, vives à l'Université de Berkeley. Autant dire que certaines lettres envoyées à Nature ont été écrites avec des plumes trempées au vitriol. « Un témoignage d'incompétence technique », a ainsi déclaré M. Matthew Metz, un ancien collègue – et pas ami – de MM. David Quist et Ignacio Chapela.
Nombre de scientifiques sérieux se sont indignés devant l'indigence de l'article. Pour M. Wayne Parrott, généticien des plantes à l'Université de Géorgie, l'article est « poubelle et indéfendable ».
De fait, comment a-t-on pu tirer ou suggérer des conclusions de grande ampleur sur la base d'une « simple » recherche de petits bouts de séquences génétiques, celles d'un promoteur, même pas du gène d'intérêt, par PCR ? Pourquoi n'a-t-on pas cherché à confirmer les résultats allégués et vérifier si cela avait une incidence pratique. Commentaire de M. Shavaji Pandey, du CIMMYT :
« Personnellement, je ne suis pas encouragé par le type de science que lui [Chapela] et Quist a pratiqué. Je pense qu'ils auraient pu mieux gérer les résultats d'une telle étude, puisqu'ils traitaient d'une question aussi controversée, au lieu de sauter de-ci de-là avec les commentaires qu'ils ont faits. Si j'avais été à leur place, j'aurais fait vérifier et revérifier ces résultats par des étudiants travaillant sur d'autres méthodologies et peut-être même d'autres laboratoires avant de faire le genre de commentaires qu'ils ont faits. »
Selon l'IATP, M. Ignacio Chapela a répondu aux critiques en rameutant ses troupes. Bien évidemment, le monde anti-OGM s'est déchaîné, alimentant doublement l'incendie : par des descriptions cauchemardesques de l'apocalypse à venir et par les attaques personnelles contre les critiques de Quist et Chapela.
Et, au milieu de tout cela, Nature a essayé de faire au mieux, ou plutôt au moins pire.
La revue a publié deux critiques, sollicité les réponses de Quist et Chapela, consulté des arbitres, demandé aux auteurs de fournir des données complémentaires selon un échéancier convenu.
Selon Kernels of Truth (graines de vérité), une enquête très fouillée de l'East Bay Express, M. David Quist s'est plaint (rétrospectivement ?) que le délai était « déraisonnablement court » et qu'il a été contraint de répondre par un rapport préliminaire, les résultats complets – validant les affirmations initiales – n'ayant pas été disponibles à l'échéance.
Les données complémentaires ont été soumises à des arbitres... qui ont rendu des avis contradictoires, l'un d'eux estimant que les résultats ne soutiennent pas les thèses de Quist et Chapela.
Sur cette base, Nature a décidé de publier une note de page éditoriale (ici, ici, ici et ici). Sur le fond :
« À la lumière de ces discussions et des divers avis reçus, Nature a conclu que les preuves disponibles ne sont pas suffisantes pour justifier la publication de l'article original. Comme les auteurs souhaitent néanmoins s'en tenir aux preuves disponibles pour leurs conclusions, nous estimons qu'il est préférable de simplement clarifier ces circonstances, de publier les critiques, la réponse des auteurs et les nouvelles données, et de permettre à nos lecteurs de juger la science par eux-mêmes. »
Quelques mois plus tard, Nature publiait une notice de désaveu, regrettant la publication de l’étude — sans toutefois avoir le moindre élément pour une rétractation en bonne et due forme. Du jamais-vu. [...] »
Ben voyons ! Nature a pris la décision « politiquement » la plus raisonnable dans un contexte de vives controverses, et de vives critiques de l'article sur le fond.
L'auteur concède tout de même que « [c]es travaux étaient certainement imparfaits », mais avec un bémol immédiat « sans doute pas plus que la grande majorité de ceux qui sont publiés chaque jour. Ben voyons ! Beau sophisme....
Quant au pauvre Ignacio Chapela, il « n’en a pas moins subi, des mois durant, une vindicte si hargneuse, de la part de scientifiques convaincus des bienfaits des biotechs, que son emploi à Berkeley fut un temps menacé ». La vindicte – si on peut appeler ainsi ses relations détestables avec de nombreux collègues – a des raisons bien plus compliquées qui échappent à la compréhension du militantisme manichéen et binaire.
Et les faits sont têtus... Dans son appel contre une décision qui lui refusait un poste de professeur, M. Ignacio Chapela a mis son infortune sur le compte de... son opposition à l'accord avec Novartis et sur une discrimination liée à son origine nationale. Le poste lui a été attribué par la suite.
Une Mary Murphy et une Andura Smetacek ont bien sévi sur le forum de discussion AGBioWorld, et ce, dès le jour de la publication de l'article de Quist et Chapela. L'enquête de l'hebdomadaire britannique The Big Issue a rendu vraisemblable l'existence de liens avec l'entreprise de communication Bivings Group. Celle-ci a démenti... La routine...
Le monde de l'anti-OGMisme accuse évidemment ces deux personnages d'avoir tenté de dénigrer et discréditer Quist et Chapela. M. Stéphane Foucart n'est pas en reste : « ...une campagne de dénigrement avait été lancée contre M. Chapela et M. Quist par une officine dont l’un des clients était une firme agrochimique bien connue ».
Mais le fait est que le lien entre les deux personnages et l'entreprise de communication n'est pas formellement prouvé – en particulier s'agissant d'Andura Smetacek.
Le fait est aussi que Quist et Chapela n'avaient nullement besoin d'être dénigré.
Dans « Attack on safety of GM crops was unfounded » (l'attaque sur la sécurité des OGM était infondée), le Times (reproduit par AgBioWorld) rapporte que plus de 100 biologistes de renom avaient protesté auprès de Nature et qu'une pétition en ligne avait recueilli plus de 100 signatures.
« ...une campagne de dénigrement avait été lancée contre M. Chapela et M. Quist par une officine dont l’un des clients était une firme agrochimique bien connue. »
« Je dis ça, je dis rien », n'est-ce pas ?
Pour autant que nous puissions nous fier à nos recherches sur des documents vieux de presque 20 ans, le seul lien que l'on trouve mentionné – dans des articles qui se perroquètent – est que Bivings Group a (eu) Monsanto pour client.
Mais c'est suffisant pour monter une théorie du complot.
M. Stéphane Foucart conclut, en introduction à une nouvelle partie :
« Cet exemple — parmi de nombreux autres — montre l’extraordinaire capacité des industriels à influencer le débat sur "les OGM" (même si ce terme ne recouvre rien de précis). »
Cette chronique – parmi de nombreuses autres – montre l'extraordinaire capacité des militants munis d'une carte de presse à peser sur le débat sur « les OGM ».
« Au moment même où l’article était publié — et alors que nul n’avait encore pu l’examiner —, un déluge d’indignation s’abattit sur les éditeurs de la revue... »
C'est certes de la belle prose... Mais où sont les preuves du déluge qui se serait abattu sur les éditeurs ?
En admettant que ce soit le cas, aurait-ce été un déluge téléguidé avec une célérité extrême par The Bivings Group/Monsanto ou un déluge de protestations devant l'indigence de l'article ?
Puisque AgroBioWorld a joué un rôle important dans les échanges entre scientifiques (et personnages semble-t-il douteux), nous pouvons vérifier l'activité sur ce forum : le 29 novembre 2001, il y eut six réactions (celles de « Mary Murphy » – du bon sens – et d'« Andura Smetacek » – qui détaille le pedigree militant de M. Ignacio Chapela – figurent curieusement dans des livraisons datées de la veille).
Y aurait-il eu un grand complot avec espionnage, etc. ? Non ! La publication d'un article – au demeurant fort court – était attendue. « Andura Smetacek » devait avoir son propre texte dans les cartons depuis pas mal de temps.
En témoigne... le Monde du 1er octobre 2001 et son « Les pirates OGM envahissent la mère de tous les maïs » de M. Hervé Kempf :
« La découverte a été éventée début septembre par le directeur de la commission mexicaine sur la biosécurité (Cibiogem), Fernando Ortiz Monasterio. La nouvelle, donnée lors d'une réunion réunissant divers professionnels et associations, comme Greenpeace, concernés par les OGM, s'est rapidement diffusée vers la presse mexicaine, et a été reprise par Nature du 27 septembre. » [l'article de Nature est ici]
Et pourquoi a-t-elle été éventée ? Parce que M. Ignacio Chapela avait fait du lobbying contre l'autorisation envisagée [cette source est du 1er novembre 2001] de la culture du maïs GM auprès du gouvernement mexicain et suggéré une rencontre secrète.
Et l'East Bay Express d'écrire :
« Quelques jours plus tard, l'histoire a fait la une du quotidien Le Monde [ici] en France, où les inquiétudes concernant le génie génétique ont fait l'objet de beaucoup plus d'attention. »
Le monde de l'activisme anti-OGM est décidément petit et dans ce monde il y a... le Monde.