Le blé 'Renan' est un OGM...
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M. Gil Rivière-Wekstein a quelques raisons de s'étonner dans Agriculture et Environnement, dans « Réponse d’A&E à la revue Sesame au sujet du blé Renan », de la renaissance d'une polémique sur la nature du blé 'Renan'.
Le dernier tir a eu lieu dans la revue Sésame, une publication de la Mission Agrobiosciences-INRAE, sous la signature de deux chercheurs de l'INRA... oups ! de l'INRAE... oups ! d'INRAE, car il faut céder au snobisme de l'utilisation de l'acronyme sans article. MM. Joseph Jahier et Bernard Rolland ont donc commis « A l’origine du blé tendre Renan : une obtention sans mystère ».
'Renan', inscrite au catalogue national des variétés en 1989, est encore très utilisée en agriculture biologique. S'il est très difficile de trouver des chiffres sur la situation actuelle, 'Renan' reste, a priori, la variété la plus utilisée par le monde du bio et, en tout cas, la variété de référence pour les comparaisons.
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Ce qui frappe dans le tableau ci-dessus, c'est l'ancienneté des variétés. Ben non, agriculture biologique et progrès génétique ne font pas vraiment bon ménage...
'Renan' – développée à l'origine pour l'agriculture conventionnelle – a toutefois une origine « sophistiquée ». Cela a amené M. André Gallais – un des pontes de l'amélioration des plantes en France – à écrire « Blé Renan : un OGM ignoré très utilisé par l'agriculture biologique » sur le site de l'Association Française des Biotechnologies Végétales (AFBV), et des articles similaires.
Bien sûr, le monde du « bio » conteste. Sur le site d'Inf'OGM, M. Frédéric Prat a produit un « OGM ou pas ? Le point sur le blé Renan » de bonne facture, au titre sous forme de question, mais dont la réponse est – curieusement – nuancée. Selon le résumé,
« Le constat est sans appel : la variété Renan n’est pas un OGM au sens des réglementations européenne et internationale. Ce qui n’interdit pas de s’interroger sur certains procédés d’"amélioration" mis en œuvre pour son obtention. »
Dans un additif du 3 juillet 2020, l'article est complété par :
« 3 juillet 2020 : deux chercheurs de l’Inrae publient un article citant notre article d’Inf’OGM et qui confirme le caractère non OGM du blé Renan. »
'Renan' présente des résistances à différentes maladies ou agresseurs, notamment à plusieurs rouilles, aux nématodes, au piétin verse et à l’oïdium en provenance d’une graminée sauvage, Aegilops ventricosa. Ces résistances ont bien sûr été transmises dans un grand nombre de variétés plus récentes.
Si nous acceptons la thèse du caractère GM de 'Renan', nous mangeons tous aujourd'hui du pain GM. Et l'agriculture biologique – qui rejette les OGM – ne devrait cultiver que des variétés de blé antérieures à 1989 (plus le temps qu'il a fallu pour produire des variétés ayant 'Renan' pour géniteur direct ou indirect.
Le blé ne se croise pas avec Aegylops ventricosa et les croisements interspécifiques apportent non seulement des gènes d'intérêts mais aussi des gènes indésirables (une sorte d'« effet hors cible », expression d'usage courant chez les activistes anti-OGM et anti-NBT marchands de peur). Les chercheurs se sont donc livrés pendant de longues années à de véritables prouesses en laboratoire et sur le terrain.
Pour faire simple, on a croisé une « espèce pont » tétraploïde, voisine du blé dur, Triticum persicum, avec Aegylops ventricosa (également tétraploïde). Les plantes hybrides obtenues étant stériles, on a doublé leur nombre de chromosomes, avec de la colchicine. Cela a produit des plantes octoploïdes fertiles que l'on a pu croiser avec le blé tendre (hexaploïde). Par une série de recroisements, on s'est attaché à éliminer le plus possible de gènes défavorables d’Aegilops ventricosa tout en gardant les gènes d'intérêt.
On n'y est pas parvenu entièrement. Le blé moderne est donc transgénique au sens exact de ce terme : il contient des gènes – désirables mais aussi indésirables – d'une espèce avec laquelle il n'est pas interfertile.
La fin est peut-être incorrecte : ce sont les trois croisements successifs qui, il nous semble, ont donné naissance au géniteur VPM, lequel a été croisé avec des variétés de blé conventionnelles. (Source)
Mais l'est-il sur le plan juridique, sur la base d'une directive 2001/18/CE du Parlement Européen et du Conseil du 12 mars 2001 relative à la dissémination volontaire d'organismes génétiquement modifiés dans l'environnement et abrogeant la directive 90/220/CEE du Conseil complètement surréaliste, devenue hyper-surréaliste avec l'interprétation qu'en a faite la Cour de Justice de l'Union Européenne dans son arrêt du 25 juillet 2018 dans l'affaire C-528/16 (Confédération Paysanne c. gouvernement français, ou mutagenèse) ?
Pour la directive, un « organisme génétiquement modifié (OGM) » est « un organisme [...] dont le matériel génétique a été modifié d'une manière qui ne s'effectue pas naturellement par multiplication et/ou par recombinaison naturelle ».
Il est précisé que « la modification génétique se fait au moins par l'utilisation des techniques [...] » – en bref – la transgenèse avec un vecteur, l'injection directe ou la fusion de cellules produisant « de nouvelles combinaisons de matériel génétique héréditaire [...] au moyen de méthodes qui ne sont pas mises en œuvre de façon naturelle ». Ces techniques sont précisées à l'Annexe IA, première partie, qui réitère le caractère non exhaustif de l'énumération : « Les techniques de modification génétique visées à l'article 2, point 2, sous a), sont, entre autres [...] »
Trois « techniques/méthodes » – nouvelle notion apparaissant à l'annexe de la directive – « ne sont pas considérées comme entraînant une modification génétique » – alors que c'est précisément ce qu'elles font ! Parmi elles, l'induction polyploïde, qui est pertinente ici.
En outre, il y a des « techniques/méthodes de modification génétique » qui produisent des OGM non réglementés : la fameuse mutagenèse, objet de l'arrêt de la CJUE, et « la fusion cellulaire (y compris la fusion de protoplastes) de cellules végétales d'organismes qui peuvent échanger du matériel génétique par des méthodes de sélection traditionnelles ».
Enfin, le considérant 17 de la directive d'origine énonce :
« (17) La présente directive ne devrait pas s'appliquer aux organismes obtenus au moyen de certaines techniques de modification génétique qui ont été traditionnellement utilisées pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps. »
Comme on le sait, la CJUE a donné une valeur législative à ce considérant et une interprétation extensive.
M. Frédéric Prat a produit une analyse détaillée sur Inf'OGM avec une référence supplémentaire au Protocole de Cartagena sur la prévention des risques biotechnologiques relatifà la Convention sur la diversité biologique, peu utile ici.
Pour MM. Joseph Jahier et Bernard Rolland, la question est vite évacuée :
« Il est donc clair, à la lumière des éléments ci-dessus, que l’obtention de VPM1, et celle de Renan, ont fait appel à des techniques utilisées classiquement dans la sélection du blé tendre. Seul le doublement du nombre de chromosomes par la colchicine, par ailleurs utilisé depuis dans les programmes de sélection faisant appel à l’haploïdie, était alors une technique originale mais néanmoins hors du champ de la transgénèse.
Et pour faire bonne mesure :
« Il est aussi important de signaler qu’un croisement entre Ae. ventricosa et le blé dur ou le blé tendre pourrait se produire spontanément dans la nature. Des publications relatent le croisement d’autres Aegilops tétraploïdes avec le blé. [...] »
C'est pour le moins capillotracté. Que des Aegylops qui ne sont pas des ventricosa puissent se croiser dans la nature avec des blés autres que le blé tendre n'est pas pertinent. Il en est de même de l'affirmation que des gènes de blé tendre ont été retrouvés dans le génome de certains Aegylops.
C'est aussi aller vite en besogne (admirons au passage le conditionnel, même si le texte se poursuit par des références à des auteurs).
On peut vouloir bouter chacune des étapes – autre que le doublement du nombre de chromosomes légalement exclu de la directive – hors de la définition des OGM moyennant une interprétation de « qui [...] s'effectue [...] naturellement par multiplication et/ou par recombinaison naturelle » s'étendant aux événements exceptionnels, hautement improbables. Mais ce n'est pas possible – du moins à notre sens – pour l'ensemble du processus d'obtention de 'Renan' et de ses semblables.
Ce n'est peut-être même pas possible pour la première étape. A-t-on des preuves de croisements naturels d'Aegylops ventricosa et de Triticum persicum, et ce, dans le sens utilisé par les créateurs de 'Renan' ? Qu'ils aient obtenu des grains – donnant des plantes stériles – n'est pas pertinent : il faut que la « recombinaison [soit] naturelle ».
Peut-on raisonnablement imaginer ce croisement intergénérique suivi, toujours naturellement, d'un doublement du nombre de chromosomes ? Le doublement par la main de l'Homme a donné naissance, du point de vue taxonomique, à un nouveau genre qui n'existe pas dans la nature. La suite des opérations ne répond dès lors pas au critère de « recombinaison naturelle ».
En clair : 'Renan' est un OGM au sens de la directive – surtout telle qu'interprétée par la CJUE – compte tenu de son mode d'obtention.
Il y a lieu de souligner encore une fois, en premier lieu, que la définition des OGM n'est pas limitative (les mots « au moins » que nous avons graissés ci-dessus ont pris une importance capitale). Les croisements interspécifiques (et ici intergénériques) par la voie sexuée ne sont donc pas formellement exclus de la notion d'OGM au sens – ou au non-sens – de la législation européenne.
En second lieu, la CJUE a estimé que le législateur a entendu exclure de la notion d'OGM les seuls « organismes obtenus au moyen de certaines techniques de modification génétique qui ont été traditionnellement utilisées pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps ». Le schéma d'obtention de 'Renan' et de ses semblables répond-il à ce double critère ? Bien sûr que non !
Ce qui importe ici, ce n'est pas l'avis des techniciens (ou le nôtre), mais ce qu'en feront, le cas échéant, des juges liés par l'arrêt de la CJUE.
Dans sa haine des variétés de colza et de tournesol devenues tolérantes à des herbicides, la Confédération Paysanne et ses amis auront obtenu un incroyable durcissement de la notion d'OGM qui se retourne contre ses amis de l'agriculture biologique. Bravo la Conf' !
On ne peut qu'éprouver un profond malaise à la lecture de l'article de Sésame. D'éminents « anciens » de l'INRA ont-ils émis un avis nuancé sur 'Renan' ? Non, pour les auteurs de l'article, ce sont des « attaques » de gens qui sont implicitement de mauvaise foi (puisqu'ils connaissent les faits) :
« Une partie de la controverse vient-elle de ce que les étapes de la création variétale décrites ci-dessus sont complexes ? Ou d’une mauvaise interprétation de ces étapes ? C’est possible. Pourtant certaines attaques émanent d’anciens chercheurs, généticiens ou biologistes moléculaires, parfaitement informés de ce que nous avons décrit. »
La réplique des auteurs est cinglante :
« La "controverse" ici n’a donc rien d’une question de science ou de recherche : les sélectionneurs et chercheurs travaillant sur le blé tendre à l’INRAE sont formels, Renan n’est pas un OGM, ni au regard des techniques utilisées, ni au regard de la réglementation. »
Cinglante, péremptoire et ridicule : comment ces deux auteurs ont-ils pu se prévaloir de l'opinion d'un ensemble de personnels de l'INRAE (et combien connaissent le pedigree de 'Renan' et les « subtilités » de la réglementation) ?
Le Groupement National Interprofessionnel des Semences et Plants (GNIS) – qui n'a pas bonne presse dans les milieux idéologisés de l'agriculture biologique – n'est pas épargné :
« Pour ne rien simplifier, il est extrêmement regrettable qu’en 2020 le Gnis cite Renan, "une variété largement utilisée pour sa résistance aux maladies, notamment en agriculture biologique", lorsqu’il défend des variétés obtenues par mutagenèse et récemment interdites par le Conseil d’Etat (L. Marcaillou, les Echos, 21 février 2020). En effet la variété Renan n’a pas davantage été obtenue par mutagenèse. »
En réalité, le télescopage de deux citations est probablement l'œuvre de l'auteur de l'article journalistique.
Quoi qu'il en soit, la conclusion de l'article résume clairement l'idéologie intransigeante et bornée qui a présidé à sa rédaction :
« Nous, sélectionneurs et chercheurs du service public, ne pouvons que plaider la transparence en espérant que les faits l’emporteront. Ainsi des pseudo-controverses n’occuperaient pas autant et indûment l’espace et le temps du débat public, en lieu et place des vraies questions qui se posent aujourd’hui pour la sélection variétale en général et l’agriculture biologique en particulier. Celle-ci, prototype de l’agroécologie, est un domaine de recherche resté trop longtemps orphelin de création variétale, alors que la transition agroécologique appelle un investissement de recherche significatif. »
C'est le nouvel INRAE qui prend l'« agriculture biologique » pour « prototype » de l'« agroécologie » (what is it ?) et s'en prend aux anciens de l'INRA qui ont servi l'agriculture qui nous nourrit...
Les André Gallais et Cie ne sont que des victimes collatérales : la vraie querelle se déroule au sein des milieux de l'agriculture biologique :
« […] elle ['Renan'] fait l’objet de suspicion de façon répétée dans certains réseaux AB ».
« […] des coopératives spécialisées en AB, qui commercialisent la variété Renan, ont ré-interpellé l’Inrae. En 2017, c’était un enseignant d’un lycée agricole qui s’inquiétait en découvrant que, à l’occasion des 70 ans de l’Institut, le site internet de l’Inra revenait, parmi les faits marquants, sur le lancement de Renan en janvier 1989 : "Variété préférée des producteurs bio, ce blé tendre d’hiver résulte d’un montage génétique complexe. Contrairement à d’autres OGM de l’époque, cette variété n’intègre pas un simple gène ajouté mais deux fragments chromosomiques provenant d’une graminée sauvage incapable de se croiser naturellement avec le blé tendre." Affirmations qui ajoutaient au trouble et appelaient cette mise au point.
Les 70 ans, c'était en... 2016. Une « mise au point » quatre ans après, ne s'accompagnant pas par une correction de la page incriminée... Passons...
On croirait lire du... enfin... des élucubrations du Monde Planète :
« Cette vieille (et mauvaise) querelle n’existe encore que parce que des informations propagées dans les médias sont d’abord partielles et surtout partiales. Leur but est de semer un doute sur le périmètre des biotechnologies dites OGM pour, paradoxalement, les banaliser et ouvrir des extensions (ou contrecarrer des interdictions) dans les discussions réglementaires, comme si le transfert de gènes par transgénèse, par exemple, était équivalent aux opérations que nous avons décrites. Vieille tactique qui rappelle "l’équivalence en substance" et autres notions contestées utilisées dans ces batailles (batailles toujours en cours, voir les dernières décisions du Conseil d’Etat et de l’Union européenne). Il s’agit de réhabiliter les OGM auprès de l’opinion, tout en discréditant le secteur de l’AB, réticent sur l’usage de la plupart des biotechnologies. Des médias sont malheureusement tombés dans le panneau. »
Pro-bio et anti-OGM... et condescendants envers les médias qui n'ont pas l'heur de s'aligner sur leurs opinions...
« Pour le reste, dans le domaine de la sélection végétale, il appartient in fine aux acteurs de l’agriculture biologique de se prononcer sur ce qui est acceptable ou pas, compatible ou pas, avec ses principes et son cahier des charges. »
On ne peut que souscrire à cet avis. Mais...
« Une rumeur a alors circulé dans les campagnes, dans une partie du monde de l’agriculture biologique, sur cette variété moderne dont les origines suspectes seraient liées à des "manipulations en laboratoire". Certains producteurs en tiraient comme conclusion la nécessité impérieuse de cultiver des variétés anciennes (d’avant 1960), seules garantes d’une "étanchéité" vis-à-vis des biotechnologies. »
Ce dont il s'agit ici n'est pas de savoir si 'Renan' est un OGM ou pas, mais quelles sont les conséquences qu'auront les décisions des idéologues du « bio » sur l'activité économique des agriculteurs bio et de leur filière, ainsi que les conséquences sur l'agriculture qui nous nourrit.
Grâce à la Confédération Paysanne et ses amis, le mauvais génie a pu sortir de la directive 2001/18/CE : les variétés issues d'une mutagenèse, et leurs descendantes, sont maintenant des OGM et, à ce titre, interdites par le cahier des charges de l'agriculture biologique. À bon entendeur...
La plupart des blés actuels sont des OGM au sens – au non-sens – de la directive. Il en est de même des variétés de nombreuses autres espèces cultivées. Et si les producteurs raisonnables de l'agriculture biologique sifflaient la fin de la récréation des idéologues et autres manipulateurs ?