Le Chili progresse dans la sélection de plantes modifiées par édition du génome qui résistent au changement climatique
Daniel Norero*
Après avoir joué un rôle clé dans la production mondiale de semences génétiquement modifiées (GM) pendant deux décennies, le Chili est aujourd'hui à la pointe des plantes modifiées par édition du génome développées par le secteur public qui répondent aux impacts du changement climatique sur l'agriculture locale.
Cette tendance a été documentée dans une étude publiée dans la revue à comité de lecture britannique GM Crops & Food par le Dr Miguel Ángel Sánchez, directeur exécutif de ChileBio.
Le Chili exporte actuellement des semences de maïs, de soja et de canola génétiquement modifiés, ses principaux clients étant les États-Unis, le Canada et l'Afrique du Sud. En ce qui concerne la recherche, cependant, un certain nombre d'espèces de céréales, de légumes et de fruits génétiquement modifiés sont en cours d'essais en plein champ, dont beaucoup ont été développées grâce à des outils d'édition du génome comme CRISPR.
Malgré l'excellent environnement réglementaire pour les semences et les activités de recherche, le Chili vit un paradoxe que j'ai évoqué dans une précédente chronique en 2016. D'une part, le pays fournit des services de R&D et de multiplication pour les semences génétiquement modifiées, et les pays qui profitent de ces semences et les utilisent nous vendent les grains récoltés pour utilisation dans notre industrie alimentaire ou dans l'alimentation animale. Mais les agriculteurs chiliens ne peuvent toujours pas utiliser la même technologie à des fins domestiques/commerciales. Le Chili importe également du soja et du maïs des pays voisins comme l'Argentine et le Brésil, qui sont les principaux producteurs de cultures génétiquement modifiées.
Cette situation désavantage les agriculteurs chiliens par rapport à leurs collègues d'Amérique du Sud, d'une région dont six pays tirent parti de la bio-technologie à des fins commerciales. Un projet de loi de 2006 permettrait de cultiver des plantes génétiquement modifiées à des fins commerciales, mais il est resté en sommeil pendant de longues années au Congrès.
« Bien que le Chili importe sans restriction des aliments dérivés de cultures GM pour la consommation humaine et animale, le pays ne dispose pas de procédures claires pour produire des cultures GM dans des zones non confinées pour les utiliser dans l'agriculture locale, par exemple », a déclaré M. Sánchez à l'Alliance pour la Science. « Cette incohérence est principalement due au fait que l'utilisation de cultures génétiquement modifiées dans des zones non confinées relève du champ d'application d'autres réglementations incomplètes. »
La loi chilienne sur les bases environnementales prévoit que pour obtenir l'autorisation d'utiliser des OGM dans des zones non confinées, une demande doit être soumise au Système d'Évaluation de l'Impact sur l'Environnement (SEIA). Mais depuis 10 ans, aucun protocole ou procédure n'a été mis en place qui indique les informations qui doivent être fournies au SEIA, les délais que l'évaluation pourrait prendre, les personnes ou les équipes responsables, les critères, etc, a expliqué M. Sánchez.
Bien qu'il ait tardé à adopter des réglementations permettant l'utilisation domestique des OGM, le Chili est devenu en 2017 le deuxième pays au monde, après l'Argentine, à mettre en œuvre une approche réglementaire pour les produits végétaux obtenus par de nouvelles techniques de sélection biotechnologiques (NBT), dont la populaire technique CRISPR.
Le SAG [Service de l'Agriculture et de l'Élevage] a mis en place un processus de consultation « au cas par cas » (produit par produit) pour déterminer si une variété végétale en tant que produit final obtenu par des NBT contient des séquences génétiques externes (transgènes). Si aucun transgène n'est présent, la culture n'est pas soumise à la réglementation sur les OGM et le SAG doit fournir une réponse officielle par le biais d'une résolution juridique dans un délai de 20 jours ouvrables.
« Jusqu'à présent, le SAG a reçu huit demandes de déclaration pour déterminer si des légumes spécifiques développés par la biotechnologie sont ou non des OGM », a déclaré M. Sánchez. Pour tous, il a été déterminé qu'ils ne sont pas des OGM.
Les huit cultures améliorées par des techniques telles que CRISPR et TALEN sont décrites dans la récente étude de M. Sánchez ; elles comprennent un canola avec une résistance à l'égrenagee, une caméline et un soja avec une modification de la composition en acides gras, ainsi que des maïs avec une tolérance à la sécheresse, un rendement accru et une modification de la composition en amidon.
Outre la rationalisation de la réglementation, il y a d'autres facteurs importants susceptibles d'accélérer l'utilisation de cette dernière technologie d'amélioration génétique et son adoption par les agriculteurs chiliens : les graves effets climatiques que connaît le pays.
Les institutions publiques du pays sont en train de développer une série de cultures génétiquement modifiées pour des avantages tels que la tolérance à la sécheresse ou à la salinité, qui constitue un outil important pour faire face à la pire méga-sécheresse que le pays ait connue depuis plus de dix ans, ainsi qu'à l'augmentation de la dégradation des sols. Ce problème a obligé le gouvernement à allouer des fonds d'urgence substantiels à des milliers d'agriculteurs et d'éleveurs qui ont perdu leurs récoltes et n'ont pas de fourrage pour leurs animaux.
Entre 1991 et 2013, l'État chilien a investi plus de 16,2 millions de dollars dans 32 projets de développement de cultures génétiquement modifiées, dont la moitié ont été réalisés par l'INIA [Institut de Recherche Agronomique – Instituto de Investigaciones Agropecuarias] et l'autre moitié par des universités et des fondations. Parmi ces projets figurent divers légumes, céréales et arbres fruitiers présentant des caractéristiques telles que la résistance aux stress biotiques et abiotiques, ainsi qu'une meilleure composition nutritionnelle et une meilleure qualité des produits.
Au niveau universitaire, un maïs tolérant à la sécheresse a été développé dans le laboratoire du Dr Simón Ruiz de l'Université de Talca en utilisant les gènes de tolérance à la sécheresse et à la salinité de Solanum chilense, une petite tomate indigène du désert d'Atacama.
Lors des essais en plein champ, les plantes modifiées n'ont pas reçu d'eau pendant 52 jours, et pourtant elles ont réussi à maintenir 80 % de leur productivité totale, contre seulement 20 % pour les plantes témoins. Ce résultat remarquable n'a été obtenu par aucun autre groupe de recherche au niveau international.
Le laboratoire dirigé par le Dr Patricio Arce de l'Université Catholique du Chili à Santiago travaille sur le développement de porte-greffes d'agrumes GM tolérants à la salinité. Ceux-ci ont déjà été évalués avec succès lors d'essais en plein champ dans la vallée de Copiapó, qui possède certains des sols les plus salins de la planète. S'il atteint le niveau commercial, le fruit obtenu ne serait pas un OGM, puisque le porte-greffe est la structure génétiquement modifiée et qu'on grefferait dessus une variété conventionnelle non-OGM intéressante.
Le Dr Patricio Arce, à gauche, lors d'essais en plein champ de porte-greffes d'agrumes génétiquement modifiés dans la vallée de Copiapó. Le Dr Simón Ruiz, à droite, lors d'essais en champ de maïs tolérant à la sécheresse à Talca. Images : Explora.cl et Université de Talca
Parmi les autres recherches menées dans le laboratoire d'Arce, citons un vaccin à base de tomates génétiquement modifiées contre le choléra et l'hépatite, un vaste programme de sélection de raisins de table utilisant des techniques conventionnelles et biotechnologiques et une laitue ne brunissant pas, modifiée par édition du génome, qui pourrait réduire le gaspillage alimentaire.
Un projet ambitieux et plus récent est dirigé par la Dre Claudia Stange, de l'Université du Chili, en association avec l'INIA et l'Université Arturo Prat. Son principal objectif est l'utilisation de CRISPR pour développer des porte-greffes de tomates et de kiwis tolérants à la sécheresse et aux sols salins.
La Dre Claudia Stange (à gauche) et la Dre Francisca Castillo (à droite) dans des expériences en serre avec des plants de tomates et de blé modifiés par édition du génome, respectivement. Images fournies par les deux chercheuses.
« Les cultures de tomates et de kiwis sont très importantes pour l'économie du pays », a déclaré Mme Stange à l'Alliance pour la Science. Ces deux projets pourraient prendre quatre ans, de la sélection des gènes à l'évaluation sur le terrain, selon Mme Stange.
Le laboratoire de Mme Stange mène également des recherches pionnières qui visent à développer des pommes éditées par CRISPR qui atteignent des niveaux plus élevés de bêta-carotène (une molécule que notre corps utilise pour former la vitamine A) et réduisent le brunissement produit par la coupe du fruit.
« A la fin de l'année, nous pourrons avoir les premiers plants qui seront transférés à la pépinière de Los Olmos, où se poursuivra l'évaluation en serre et sur le terrain », a déclaré Mme Stange. « En attendant, notre équipe continuera à générer et à sélectionner d'autres lignées afin d'avoir un nombre de plantes qui nous permette de choisir la meilleure lorsqu'elles produironnt des fruits. »
L'Université Austral du Chili (UACH), située dans la ville de Valdivia, poursuit des projets d'amélioration biotechnologique axés sur le blé. Le laboratoire du Dr Daniel Calderini travaille sur le développement d'un blé génétiquement modifié dont le rendement en grains est plus élevé grâce à une meilleure expression des expansines, des protéines qui permettent l'allongement des parois cellulaires des plantes.
Dans la même institution, la Dre Francisca Castillo dirige un projet de recherche – également mené avec des fonds publics – qui utilise CRISPR pour étudier les gènes candidats utiles à l'obtention d'une tolérance à la chaleur du blé.
« Notre projet vise à élucider le rôle du gène de l'enzyme rotamase dans les processus de tolérance à la chaleur du blé, et nous espérons qu'il constituera une information utile pour atténuer les effets des chocs thermiques sur le rendement du blé et contribuer à faire face aux problèmes liés à l'augmentation globale de la température, grâce à la génération de variétés plus adaptées aux conditions climatiques », a déclaré Mme Castillo à l'Alliance pour la Science.
Mme Castillo a souligné l'importance d'étudier les performances des cultures de blé dans le cadre du scénario actuel de changement climatique, car il s'agit de l'une des céréales les plus consommées au monde et qui subit les effets négatifs des chocs thermiques.
L'INIA, qui a probablement réalisé la plus de travaux de sélection à l'aide de la biotechnologie au Chili, poursuit ses recherches sur diverses cultures et arbres fruitiers. Ces dernières années, il a progressé dans plusieurs avenues de recherche utilisant l'édition de gènes par CRISPR.
« Les projets dans lesquels nous avons été impliqués nous ont permis de générer des vignes résistantes à des champignons et des cerisiers qui ont besoin de moins d'heures de froid pour leur floraison », a déclaré le Dr Humberto Prieto, chercheur principal en biotechnologie agricole à l'INIA, au journal El Sur. Il a déclaré que l'utilisation de tous les outils de sélection végétale disponibles est « la seule façon de générer de nouvelles variétés de plantes qui nous permettront de nous alimenter dans un scénario de crise ».
Bien que le laboratoire de M. Prieto ait travaillé sur des vignes GM expérimentales résistantes à des champignons, il a récemment développé une plate-forme technologique en association avec le Consortium Biofrutal pour atteindre le même objectif par édition du génome, ce qui pourrait en fait aboutir à une utilisation domestique/commerciale sur le terrain.
M. Prieto dirige également les projets de l'INIA sur l'édition de gènes dans le riz et la pomme de terre afin d'étudier les gènes de rendement et de sensibilité à des agents pathogènes, ainsi que le développement de lignées de pommes de terre modifiées par édition du génome qui ne présentent pas de sucrage induit sous stockage au froid.
Les chercheurs locaux s'accordent à dire que la biotechnologie moderne offre des outils qui peuvent aider l'agriculture à s'adapter aux défis du changement climatique et à développer des cultures et des systèmes agricoles plus durables.
« Dans ce contexte, contrairement aux techniques de sélection traditionnelles, les techniques biotechnologiques nous permettent d'effectuer des améliorations génétiques de manière sûre et plus précise, en ne modifiant que les traits d'intérêt, sans affecter les autres gènes, et les résultats sont obtenus dans des délais considérablement plus courts », a déclaré M. Sánchez.
« De cette façon, la biotechnologie agricole et ces outils représentent une grande opportunité pour encourager l'innovation et offrir des alternatives pour contribuer à rendre l'agriculture plus durable », a-t-il ajouté. « Cela signifie qu'en obtenant de nouvelles variétés de plantes adaptées à différentes conditions, nous pouvons produire plus de nourriture sur moins de terres, réduire les pertes dans les champs et le gaspillage de nourriture, obtenir des aliments de meilleure qualité nutritionnelle, être plus respectueux de l'environnement, réduire la quantité d'intrants et faire face aux fluctuations environnementales telles que la sécheresse ou le froid. »
Mme Stange a souligné l'importance de la biotechnologie moderne pour contribuer à une alimentation plus saine et servir d'outil permettant de générer des produits locaux à valeur ajoutée qui soient adaptés à 100 % à la réalité agricole et climatique nationale.
« Actuellement, les nouvelles variétés sont acquises en payant des royalties aux entreprises étrangères », a-t-elle expliqué. « Cela implique d'introduire ces variétés et d'attendre quelques saisons jusqu'à ce qu'elles s'adaptent à nos conditions édaphoclimatiques – et avec l'espoir qu'elles produiront les fruits tels qu'ils sont produits là où elles ont été créées. C'est un risque. Dans notre cas, il s'agit de variétés déjà produites et commercialisées au Chili, auxquelles nous ajouterons ces nouvelles caractéristiques. De cette manière, nous ajouterons de la valeur aux variétés de pommes chiliennes. »
« Il est pertinent de créer des variétés made in Chile qui sont également plus saines », a ajouté Mme Stange. « Les consommateurs d'aujourd'hui recherchent des aliments fonctionnels, avec une teneur plus élevée en antioxydants, en vitamines, etc. Ces caractéristiques seraient présentes dans nos pommes ayant une plus forte teneur en caroténoïdes, qui sont des molécules de provitamine A, et en antioxydants, qui contrecarrent diverses maladies et le vieillissement. »
Mme Castillo décrit la biotechnologie comme un outil avancé qui permet d'étudier les gènes candidats qui peuvent aider les programmes de sélection. « Nous sommes dans une révolution génétique, et en tant que scientifiques, nous pouvons créer des solutions de recherche innovantes pour faire face à l'un des plus grands défis mondiaux en matière de sécurité alimentaire grâce à une agriculture transformée par les nouvelles technologies. »
_____________