Trump c. OMS : le Lancet répond... chaud devant !
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Pas la peine de faire un grand dessin ou de s'engager dans de longues explications : cédant à un trouble obsessionnel compulsif, cherchant des boucs émissaires pour se disculper de sa mauvaise gestion de la crise du Covid-19 et capitalisant sur une aversion du multilatéralisme et des organisations internationales très répandue dans la population états-unienne (particulièrement du bord républicain), M. Donald Trump a engagé un bras de fer avec l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS).
C'est que, selon les dires de celui qui a longtemps minimisé la pandémie et insisté qu'on ne fasse rien, ou le moins possible, contre la maladie aux États-Unis, l’OMS a été complaisante envers la Chine, a dissimulé les faits et a gravement failli dans la gestion de la pandémie.
Comme souvent, c'est le chaos du Père Ubu. Le Monde, pris ici pour exemple, titre le 15 avril 2020 : « Coronavirus : Donald Trump suspend la contribution américaine à l’OMS ». Le 19 mai 2020, le titre est un peu plus général : « Trump lance une charge contre l’OMS dont il menace de se retirer ». En fait, l'information importante est la suivante, extraite d'une lettre envoyée au directeur de l’OMS, le docteur Tedros Adhanom Ghebreyesus :
« ...si l’Organisation Mondiale de la Santé ne s’engage pas à des améliorations notables de fond dans un délai de trente jours, je transformerai la suspension temporaire de la contribution des États-Unis au financement de l’Organisation Mondiale de la Santé en une mesure permanente et reconsidérerai notre qualité de membre au sein de l’organisation. »
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Trente jours... L'hôte de la Maison Blanche doit croire que les affaires du monde se gèrent comme ses relations avec les entreprises de plomberie du temps où il faisait des affaires immobilières à New York...
Petite pause : Le budget de l'OMS pour 2020-2021 s’élève à 5,840 milliards de dollars US, dont quelque 20 % sont couverts par des contributions des États membres et le reste par des contributions volontaires, publiques ou privées. Lors de l'exercice biennal précédent, selon Wikipedia, les États-Unis ont contribué en tout 893 millions de dollars (peut-être « auraient » car c'est chroniquement un pays mauvais payeur), soit 15,9 % du total, selon un document de l'OMS, 651 millions (15,18 %). La Fondation Bill et Melinda Gates avait mis 531 millions de dollars au pot (520 millions, soit 12,12 % selon l'OMS).
Le POTUS (President of the United States) n'a vraisemblablement pas le pouvoir de « suspendre » les contributions, qui relèvent des décisions du Congrès, mais il peut sans doute traîner les pieds et oublier de signer le chèque (ou un ou plusieurs chèques). Quant à « reconsidérer la qualité de membre »... Mais il ne faut pas sous-estimer la menace. Les États-Unis se sont déjà retirés d'organisations comme l'UNESCO et l'OIT par le passé ou coupé les vivres au Fonds des Nations Unies pour la Population (UNFPA).
Retour à l'actualité. La politique de la canonnière a échoué, et ce, bien au-delà de ce qui était prévisible. Il n'est pas anodin que 14 chefs d'État ou de gouvernement aient choisi de marquer leur soutien à l'OMS par leur participation à la session d'ouverture ou de clôture d'une assemblée qui relève généralement du niveau ministériel – et qui fut virtuelle. Parmi eux, ceux de la France, de l’Afrique du Sud au nom également de l’Union Africaine, de l’Allemagne, de la Chine, de la Corée du Sud, de la Suisse.
La Croix a fort justement titré le 19 mai 2020 : « Coronavirus : contre Donald Trump, la planète à la rescousse de l'OMS ».
Mais le Donald s'est vu infliger un autre camouflet : un communiqué de presse du Lancet – la prestigieuse revue Lancet selon une formule pavlovienne – dont voici la traduction :
« Déclaration de The Lancet en réponse à la lettre du 18 mai du président Trump au Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l'OMS
Le 18 mai 2020, le président Donald Trump a écrit au directeur général de l'Organisation Mondiale de la Santé, le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus. Dans cette lettre, le président Trump fait état des résultats d'une étude que son administration a menée sur la réponse de l'OMS à la pandémie de Covid-19. Le président Trump a écrit que "nous savons ce qui suit" et la première allégation qu'il a faite est que l'OMS "a constamment ignoré des rapports crédibles sur la propagation du virus à Wuhan au début de décembre 2019 ou même avant, y compris des rapports du journal médical Lancet. L'Organisation Mondiale de la Santé n'a pas mené d'enquête indépendante sur les rapports crédibles qui étaient en conflit direct avec les comptes rendus officiels du gouvernement chinois, même ceux qui provenaient de sources situées à Wuhan même".
Cette déclaration est inexacte s'agissant des faits. Le Lancet n'a publié aucun rapport en décembre 2019 faisant référence à un virus ou à une épidémie à Wuhan ou ailleurs en Chine.
Les premiers rapports publiés par la revuel l'ont été le 24 janvier 2020. Dans un article de Chaolin Huang et ses collègues, les 41 premiers patients de Wuhan atteints de Covid-19 ont été décrits (1). Les scientifiques et les médecins qui ont mené cette étude étaient tous issus d'institutions chinoises. Ils ont travaillé avec nous pour mettre rapidement à la disposition d'un public international des informations complètes et en accès libre sur cette nouvelle épidémie et la maladie qu'elle a provoquée.
Un deuxième article (2), de Jasper Chan et ses collègues, également publié le 24 janvier, décrit les premières preuves scientifiques confirmant la transmission de personne à personne du nouveau virus. Des scientifiques et des médecins de Hong Kong et de Chine continentale ont participé à ce rapport.
Les allégations portées contre l'OMS dans la lettre du président Trump sont graves et nuisent aux efforts visant à renforcer la coopération internationale pour contrôler cette pandémie. Il est essentiel que tout examen de la réponse mondiale se fonde sur un compte rendu factuel précis de ce qui s'est passé en décembre et janvier. »
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1. Huang C et al. Clinical features of patients infected with 2019 novel coronavirus in Wuhan, China Lancet 24 janvier 2020
Chan JFW et al. A familial cluster of pneumonia associated with the 2019 novel coronavirus indicating person-to-person transmission: a study of a family cluster Lancet 24 janvier 2020