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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Quand la littérature scientifique devient politico-démagogique

25 Mai 2020 , Rédigé par Seppi Publié dans #Article scientifique, #Activisme, #Pesticides, #Politique

Quand la littérature scientifique devient politico-démagogique

 

 

 

 

Waouh !

 

« Ce nouvel article revu par les pairs d'un groupe d'experts en droit, politique et toxicologie a identifié des carences systémiques dans le processus d'évaluation des risques de l'Europe. »

 

Cela valait la peine de vérifier...

 

 

Qu'ont-ils trouvé ?

 

Voici le résumé de « Achieving a High Level of Protection from Pesticides in Europe: Problems with the Current Risk Assessment Procedure and Solutions » (atteindre un niveau élevé de protection contre les pesticides en Europe : problèmes liés à la procédure actuelle d'évaluation des risques et solutions) publié le 16 avril 2020 dans European Journal of Risk Regulation.

 

Le titre de la revue nous indique que nous sommes au point de confluence de la science et de la politique, réglementaire et autre.

 

Voici le résumé (nous découpons...) :

 

« La réglementation des pesticides dans l'Union européenne (UE) s'appuie sur un réseau de droit contraignant (législation et actes d'exécution – hard law) et de droit souple (documents d'orientation non contraignants et pratiques administratives et scientifiques – soft law). Ces deux types de droit régissent la manière dont les évaluations des risques sont menées, mais un rôle important est laissé au deuxième.

 

La réglementation européenne en matière de pesticides est l'une des plus strictes au monde. Ses objectifs déclarés sont de garantir une évaluation indépendante, objective et transparente des pesticides et d'atteindre un niveau élevé de protection de la santé et de l'environnement.

 

Toutefois, un nombre croissant de preuves montrent que les pesticides qui sont passés par ce processus et dont l'utilisation est autorisée peuvent nuire aux êtres humains, aux animaux et à l'environnement. Les auteurs du présent article – des experts en toxicologie, en droit et en politique – ont identifié des lacunes dans le processus d'autorisation, en se concentrant sur l'évaluation de la substance active pesticide glyphosate dans l'UE.

 

Ces lacunes sont principalement dues à la non-application des droits contraignant et non contraignant. Mais dans certains cas, c'est le droit lui-même qui est responsable, car certaines dispositions ne peuvent qu'échouer à atteindre leurs objectifs. Des moyens d'améliorer le système sont proposés, nécessitant des changements dans les droits contraignant et non contraignant ainsi que dans les pratiques administratives et scientifiques. »

 

 

Les auteurs rejouent la farce du glyphosate

 

« Faut voir » dira-t-on ? En fait, c'est du déjà vu, ad nauseam. Prenons trois exemples :

 

« Le rejet des effets néfastes sur la base d'une [alleged inconsistency] des données n'est pas explicitement identifié comme illégal par le cadre réglementaire de l'UE sur les pesticides, mais c'est un exemple de mauvaise pratique scientifique. »

 

Nous avons laissé deux mots en anglais. Il y a deux traductions possibles : « prétendue incohérence » – qui implique une absence d'incohérence – et « incohérence alléguée » – qui ne se prononce pas. Ce texte implique qu'on ne saurait rejeter des effets néfastes – décider contre le pesticides – en présence de données incohérentes, même lorsque cela serait exigé par la prépondérance du poids de la preuve.

 

Prenons le pas suivant et supposons qu'une prétendue incohérence ait été invoquée pour rejeter – indûment – un effet néfaste : l'activisme anti-pesticides n'aurait pas hésité à saisir la justice, avec des chances raisonnables de succès compte tenu de la défiance actuelle envers les pesticides.

 

En résumé, l'argument est au mieux fallacieux.

 

Oui, mais...

 

« Toutefois, l'accès à la justice concernant les autorisations "arbitraires" de pesticides est bloqué par la jurisprudence des tribunaux européens, qui prive les organisations de la société civile du droit de contester les décisions des institutions européennes. »

 

C'est se moquer du monde ! Les « organisations de la société civile » sont bien inventives quand il s'agit de contourner un obstacle, dans le cas d'espèce, en identifiant des plaignants habilités à recourir et agissant pour leur compte.

 

« Le plagiat est défini comme le fait de présenter le travail de quelqu'un d'autre comme étant le sien en l'incorporant dans son propre travail sans le reconnaître. Cette pratique est (comme le reconnaît le BfR) courante dans les DAR et RAR réglementaires. »

 

Nous avons incorporé les liens ci-dessus. Le texte du BfR a pour titre « Unfounded Allegations against Scientific Assessment Authorities » (allégations infondées contre les autorités d'évaluation scientifique) et pour objectif explicite de démonter les allégations de plagiat ! Et le Bundesinstitut für Risikobewertung a tenté la pédagogie plutôt deux fois qu'une (voir par exemple ici chez notre ami Albert Amgar, ou encore ici et ici sur ce blog).

 

Et, cerise sur le gâteau, le BfR avait expliqué les modalités d'établissement de son rapport d'évaluation, ce qui vaut reconnaissance de la paternité des éléments repris en copier coller.

 

 

Source : projet du volume 3 du rapport d'évaluation du BfR.

« En raison du grand nombre des études toxicologiques soumises, l’État rapporteur n’a pas été en mesure de rendre compte en détail des études originales et une approche de substitution a été adoptée. Les descriptions et les évaluations de chaque étude, telles que fournies par la GTF ont été modifiées en supprimant les parties redondantes (telles que les "résumés" [executive summaries] et en renumérotant les tableaux de données. Les erreurs évidentes ont été corrigées. Chaque nouvelle étude a été commentée par l’État rapporteur. Ces remarques sont clairement distinguées des soumissions originales par un titre, sont toujours en italiques et se trouvent en dessous des résumés individuels d'études.

En outre, dans le Volume 3, l'évaluation a été conduite au niveau des études individuelles. L'évaluation générale des différents point finaux toxicologiques a été transférée dans le Volume 1 (section 2.6). »

 

 

Pour autant que nous ayons bien compté, il s'agit de la quatrième manœuvre au niveau supranational ; après celle du Corporate Europe Observatory en avril 2015, relayée en France par Mme Katryn Guyton, du CIRC, dans un Envoyé Spécial en février 2016 (voir ici) ; celle de Global 2000, une sorte de filiale autrichienne de Friends of the Earth, bien relayée en France par les usual suspects, dont M. Stéphane Foucart (voir notamment ici) ; et celle de janvier 2019 commanditée par des députés européens, faisant intervenir à nouveau Global 2000 et bien relayée en France, à nouveau par le Monde de M. Stéphane Foucart (voir notamment ici).

 

En bref, on est dans le domaine de la manipulation grossière. Il est tout à fait malhonnête de qualifier de « plagiat » des reprises de textes faites conformément aux procédures établies, de manière transparente, et au moins implicitement avec l'accord des auteurs des écrits prétendument plagiés (ce n'est pas Monsanto comme .allégué ci-dessous, mais la Glyphosate Task Force).

 

 

 

 

Qui vient critiquer les procédures d'évaluation européennes ?

 

Qui sont les auteurs de cette merveille ?

 

  • Mme Claire Robinson, présentée comme éditrice de GMWatch. Celui-ci serait « un service de nouvelles et d'information publique sur les questions relatives à la modification génétique » ; en réalité, c'est un site activiste anti-OGM, anti-pesticides, etc. Son dernier exploit à l'heure où nous écrivons : le SARS-CoV-2 a été génétiquement modifié selon un chercheur anonyme. Mme Claire Robinson a aussi été directrice de la rédaction du site GMOSeralini et de sites similaires.

     

  • M. Christopher J. Portier, affublé du titre de Kravis Senior Contributing Scientist, et roulant ici pour l'Environmental Defense Fund. On ne présente plus vraiment M. Christopher J. Portier, un des personnage centraux du lobbying anti-glyphosate au CIRC, au niveau européen et dans les manœuvres des avocats prédateurs états-uniens pour faire les poches de Bayer/Monsanto.

     

  • Mme Aleksandra Čavoški, Senior Lecturer, Birmingham Law School, Université de Birmingham.

     

  • M. Robin Mesnage, ancien de l'équipe de l'infameuse étude sur les rats de M. Gilles-Éric Séralini, maintenant au King's College à Londres. Robin, Robin, nous pensions que vous aviez trouvé la lumière... quelle déception !

     

  • Mme Apolline Roger, conseiller juridique et politique, ClientEarth. Arborant fièrement la bannière « Nous sommes des juristes engagés pour préserver la planète », ClientEarth est une organisation à but non lucratif (une «  environmental law charity) œuvrant dans les domaines du droit et de l'environnementalisme fondée en 2008 avec des bureaux à Londres, Bruxelles et Varsovie, selon Wikipedia, une entreprise privée selon ses documents comptables. Un budget global de quelque 34 millions d'euros. Beaucoup de dons et quelques 12 millions de livres de financement provenant de fondations et de trusts ; quelque 1,9 million de financement public, des gouvernements britannique et allemand et de l'Union Européenne (qui paient donc pour se faire traîner en justice... ou se faire assister).

     

  • M. Peter Clausing, toxicologiste du Pesticide Action Network. On ne présente plus la boutique... Quelque 375.000 euros de budget global, dont 115.000 de subventions de l'Union Européenne. PAN Germany a un budget de quelque 227.000 euros, avec 140.000 euros de financement public.

     

  • M. Paul Whaley, du Lancaster Environment Centre, Université de Lancaster (c'est un doctorant).

     

  • M. Hans Muilerman, coordinateur pour les substances chimiques du Pesticide Action Network.

     

  • Mme Angeliki Lyssimachou, Science Policy Officer, du Pesticide Action Network.

 

 

La revue scientifique ne trouve rien à redire

 

C'est une belle brochette d'activistes patentés, multicarte et plus que sulfureux dans le cas de M. Christopher J. Portier, accompagnés de quelques faire-valoir et, peut-être, idiots utiles.

 

Les éditeurs de la revue European Journal of Risk Regulation n'ont eu aucune objection à publier leur article qui relève du lobbying – du « plaidoyer ».

 

Les pairs (reviewers) n'ont rien vu de contestable – voire d'inadmissible comme l'intertitre « inconduite scientifique » introduisant du verbiage oiseux.

 

Ni les éditeurs, ni les pairs ne se sont inquiété devant le fait qu'un seul auteur a déclaré une absence de conflits d'intérêts.

 

 

En guise de conclusion... sur la conclusion

 

Il est toujours utile de bien lire la conclusion d'un article, surtout quand il est contestable (nous avons incorporé les références sous forme de liens) :

 

« Bon nombre des problèmes identifiés dans cet article ont été reconnus depuis longtemps par les autorités réglementaires. Le BfR, une agence au centre de nombre de ces problèmes, a reconnu [conceded] en 2011 que la réforme devrait être discutée au plus haut niveau de l'administration de l'UE [note 148]. Le BfR a exprimé ce point de vue dans sa réponse aux critiques à propos des lacunes de l'évaluation du glyphosate par l'UE réalisée en 2002 [note 149]. Le BfR a conclu que de telles discussions générales "devraient être initiées par la Commission" avant le début de la réévaluation du glyphosate qui a abouti au renouvellement de l'approbation en 2017 [note 150]. De telles discussions n'ont jamais eu lieu, à notre connaissance, et les problèmes persistent.

 

Ces discussions, attendues depuis longtemps, devraient commencer maintenant. Si la situation actuelle persiste, le cadre réglementaire de l'UE n'atteindra pas le niveau de protection de la santé humaine et animale promis par la réglementation de l'UE sur les pesticides. »

 

Lu dans son ensemble, le premier paragraphe cité ci-dessus laisse entendre en résumé que des problèmes ont été identifiés, qu'ils ont été reconnus par les autorités réglementaires, en particulier par le BfR. On ne peut nier le fait que les activistes identifient plein, plein de problèmes, mais la référence au BfR est indue.

 

Dans la deuxième phrase, le mot « concédé » associé à « réforme »constitue un glissement sémantique, une escroquerie au mieux intellectuelle. Les auteurs de l'article auraient-ils un soutien de poids dans le BfR ? Pas du tout !

 

Dans le texte mis en référence, « New data on health aspects of Glyphosate? A current, preliminary assessment by BfR » (de nouvelles données sur les aspects sanitaires du glyphosate ? Une évaluation préliminaire actuelle du BfR), l'Institut a réfuté – en cinq pages – une série d'allégations en réponse à une demande de la Commission Européenne portant sur un énorme rapport. Le BfR trouve peu de faits nouveaux dans ce rapport de juin 2011 concernant les effets nocifs « suspectés » du glyphosate et des produits phytopharmaceutiques connexes sur la santé : il s'agissait en l'occurrence de malformations congénitales, un sujet qui a depuis lors pratiquement disparu des radars. Le BfR note cependant que les auteurs suggèrent en fait un changement fondamental dans l'approche à adopter pour l'évaluation des dangers toxicologiques des produits chimiques. Et ils concluent dans le corps du texte :

 

« En ce qui concerne le glyphosate et le Roundup, nous estimons qu'il est nécessaire d'inclure tous les nouveaux faits dans la réévaluation prévue dans le cadre du processus AIR2 [AIR 2 Project: Renewal of the Inclusion of Active Substances in Annex I to Council Directive 91/414/EEC]. Par conséquent, une réévaluation longue des anciennes études et une évaluation détaillée des quelques faits nouveaux ne sont pas incluses dans cet avis préliminaire. Néanmoins, le rapport Robinson est un document ambitieux qui soulève de nombreuses questions qui doivent être prises très au sérieux. Une réponse adéquate aux critiques et aux nombreuses accusations contenues dans le rapport nécessiterait une discussion générale des paradigmes établis pour l'évaluation toxicologique des produits chimiques, y compris les lacunes postulées [postulated shortcomings] du système juridique, le recours à une science indépendante, le système de la comitologie, les BPL [bonnes pratiques de laboratoire], l'insuffisance alléguée de l'approche toxicologique. Ces discussions générales devraient être initiées par la Commission avant de commencer la réévaluation du glyphosate dans le cadre du projet AIR2. »

 

L'avis du BfR est très clair : réfutation des critiques principales, aucune concession s'agissant des accusations, aucun endossement des critiques méthodologiques, un avis sur le timing qui ne saurait contraindre la Commission et, bien sûr, aucune indication sur les objectifs et résultats d'éventuelles discussions.

 

Vous avez dit un article dans une revue scientifique honorable, revu par les pairs ?

 

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I
Hélas, rien n'empêche de mauvais articles d'être publié dans une revue relu par les pairs, l'AFIS a déjà édité sur son site plusieurs articles qui montrent cette réalité, notamment pour les revues médicales.<br /> <br /> Sinon pour Robin Mesnage, j'ai vu sa page twitter et il ne semble pas défendre la toxicité du glyphosate (même le contraire). Du coup j'y vois deux solutions : soit les rédacteurs ont associé son nom pour se donner du poids, soit il a signé cet article sans l'avoir lu....
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U
un article dans une revue scientifique honorable, revu par les pairs ...<br /> Eh bien oui, çà peut parfaitement être de la daube ...
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