Non, le virus du Covid-19 ne devient pas plus contagieux
Mark Lynas*
Ou du moins, il n'y a pas encore de preuves solides à cet égard.
Vous avez peut-être vu une avalanche de gros titres effrayants ces deux derniers jours, suggérant que le virus du Covid-19 est en train de muter en des formes plus virulentes.
Comme le rapporte le Washington Post, un groupe de chercheurs « pense que le virus a muté pour devenir plus contagieux ». Le Los Angeles Times a titré son article : « Les scientifiques disent qu'une souche du coronavirus actuellement dominante pourrait être plus contagieuse que celle d'origine ».
Mais une extrême prudence s'impose.
Plus important encore, l'article auquel la presse fait référence – soyons justes, tous les grands médias ont du mal à le signaler – est une prépublication, ce qui signifie qu'il n'a pas encore été publié dans une revue à comité de lecture.
Cette distinction est importante car elle signifie que sa méthodologie n'a pas encore été correctement évaluée par d'autres experts et que ses conclusions ne peuvent donc être considérées que comme provisoires, au mieux.
Au début de la pandémie, un article préliminaire rédigé par des scientifiques indiens a fait naître l'idée que le nouveau coronavirus ressemblait au VIH et qu'il avait donc pu être développé en laboratoire. Cela a suscité de nombreuses théories complotistes, dont beaucoup continuent de circuler malgré le fait que l'article en cause ait été démystifié et rapidement retiré.
D'où la prudence à l'égard des prépublications.
Ce nouvel article est cependant de meilleure qualité et mérite d'être étudié comme il se doit. Les chercheurs, dirigés par Bette Korber du Los Alamos National Laboratory aux États-Unis, identifient des mutations dans la tristement célèbre protéine de spicule du virus SARS-CoV-2. L'une de ces mutations, appelée D614G, « augmente en fréquence à une vitesse alarmante, indiquant un avantage de fitness par rapport à la souche Wuhan originale » de Covid-19, suggèrent les scientifiques.
En outre, ils écrivent dans l'article qu'ils sont « préoccupés par le fait que si la mutation D614G peut augmenter la transmissibilité, elle pourrait également avoir un impact sur la gravité de la maladie », et citent des données recueillies auprès de patients Covid hospitalisés à Sheffield, au Royaume-Uni, suggérant que les patients porteurs de la mutation D614G pourraient avoir eu « des charges virales plus élevées ».
Lawrence Young, professeur d'oncologie moléculaire à l'Université de Warwick, au Royaume-Uni (qui n'a pas participé à l'étude), a commenté : « Ce ne sont pas des souches ou des types de virus différents, ce sont des virus avec des changements mineurs et nous ne savons pas si ces changements ont des effets cliniquement significatifs ».
En effet, Korber et al. eux-mêmes avertissent qu'ils n'ont trouvé « aucune corrélation significative entre le statut du D614G et le statut d'hospitalisation » avec le groupe de patients Covid de Sheffield.
Dans un autre article récent en prépublication, les auteurs, qui sont basés à la London School of Hygiene & Tropical Medicine (LSHTM), ont étudié les génomes de plus de 5.300 échantillons de virus provenant du monde entier et ont cherché des preuves d'une « évolution convergente » – des mutations qui se sont produites indépendamment plusieurs fois et pourraient donc être bénéfiques pour le virus.
Ces preuves pourraient alors suggérer que le virus du Covid-19 est en train de muter d'une manière qui pourrait le rendre plus difficile à contrôler avec des médicaments et des vaccins, ou peut-être le rendre plus virulent.
Ils ont également noté la mutation de la protéine de spicule D614G, écrivant que celle-ci et d'autres « sont putativement le résultat de la pression de sélection et devraient être caractérisées davantage pour comprendre comment le virus s'adapte à la transmission humaine ».
S'adressant à l'Alliance pour la Science, le professeur Martin Hibberd du LSHTM – un des principaux auteurs de la nouvelle étude – a déclaré : « Dans notre article, nous mettons en évidence plusieurs mutations qui semblent être importantes pour le virus. Le virus n'a pas été altéré par la pression des médicaments car nous ne les avons pas encore développés, donc cela est très probablement dû à la transmission – mais nous ne savons pas si cela est lié à la virulence ou non ».
Hibberd a toutefois averti que « nous recevons surtout des échantillons des patients les plus gravement atteints » dans les hôpitaux plutôt que des patients asymptomatiques, qui ne sont pour la plupart pas testés. Cela pourrait signifier que « nous avons un échantillon un peu biaisé, ce qui limite notre interprétation complète des données ».
Concernant spécifiquement la mutation D614G, Hibberd a déclaré à l'Alliance : « Nous la signalons ; nous pensons que d'autres scientifiques devraient s'y intéresser. Dans le pire des cas, cela pourrait être le début de quelque chose qui serait important. »
S'agissant du taux de mutation du SARS-CoV-2, Hibberd a poursuivi : « Il semble que le taux de mutation soit normal ou même inférieur à la normale. Dans l'ensemble, le virus semble assez stable, c'est donc encourageant. Mais il suffit de quelques mutations clés pour changer la situation. »
Les analyses actuelles basées sur les « arbres généalogiques » génétiques des virus suggèrent que la grippe saisonnière mute environ quatre fois plus vite que le virus du Covid-19.
Le taux de mutation relativement faible observé jusqu'à présent devrait être une bonne nouvelle pour nous tous, notamment parce qu'il rendra les efforts de vaccination – la seule solution probable à long terme à la pandémie – plus susceptibles de réussir.
Si l'on met de côté les gros titres et les mèmes effrayants des réseaux sociaux, il n'y a pas encore beaucoup de preuves convaincantes que le virus du Covid-19 mute rapidement, ou qu'il devient plus transmissible ou mortel.
Mais des mutations se produisent, et il faut les surveiller au cas où elles auraient un impact sur la transmissibilité ou la virulence. Heureusement, c'est ce que font les équipes scientifiques dans le monde entier.
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Voici le résumé de « Spike mutation pipeline reveals the emergence of a more transmissible form of SARS-CoV-2 » (le pipeline de mutations de la protéine de spicule révèle l'émergence d'une forme plus transmissible de SARS-CoV-2) de B. Korber et al. (nous découpons...) :
« Nous avons développé un pipeline d'analyse pour faciliter le suivi des mutations en temps réel dans le SARS-CoV-2, en nous concentrant initialement sur la protéine Spike (S) car elle sert de médiateur pour l'infection des cellules humaines et est la cible de la plupart des stratégies vaccinales et des thérapies à base d'anticorps.
À ce jour, nous avons identifié quatorze mutations dans Spike qui s'accumulent. Les mutations sont considérées dans un contexte phylogénétique plus large, géographiquement et dans le temps, afin de fournir un système d'alerte précoce pour révéler les mutations qui peuvent conférer des avantages sélectifs en matière de transmission ou de résistance aux interventions.
Chacune d'entre elles est évaluée afin de rechercher une preuve de sélection positive, et les implications de la mutation sont explorées par le biais d'une modélisation structurelle.
La mutation Spike D614G constitue une préoccupation urgente ; elle a commencé à se répandre en Europe au début du mois de février, et lorsqu'elle est introduite dans de nouvelles régions, elle devient rapidement la forme dominante.
Nous présentons également des preuves de recombinaison entre des souches circulant localement, ce qui indique des infections à souches multiples.
Ces découvertes ont des implications importantes pour la transmission du SARS-CoV-2, la pathogénie et les interventions immunitaires »
Et voici le résumé de « Controlling the SARS-CoV-2 outbreak, insights from large scale whole genome sequences generated across the world » (maîtriser l'épidémie de SARS-CoV-2, grâce à des séquences de génome entier à grande échelle générées dans le monde entier) de Jody Phelan, Wouter Deelder, Daniel Ward, Susana Campino, Martin L. Hibberd et Taane G. Clark :
Contexte Le SARS-CoV-2 a très probablement évolué à partir d'un bêta-coronavirus de chauve-souris et a commencé à infecter les humains en décembre 2019. Depuis lors, il a rapidement infecté des personnes dans le monde entier, avec plus de 3 millions de cas confirmés à la fin du mois d'avril 2020. Le séquençage précoce du génome du virus a permis de mettre au point des diagnostics moléculaires et d'entamer la mise au point de thérapies et de vaccins. L'analyse des premières séquences a montré relativement peu de pressions de sélection évolutive. Toutefois, avec l'expansion rapide à l'échelle mondiale dans diverses populations humaines, des variations génétiques importantes deviennent de plus en plus probables. Les limitations actuelles des mouvements sociaux entre les pays offrent également la possibilité pour ces variantes virales de devenir des souches distinctes avec des implications potentielles pour les diagnostics, les thérapies et les vaccins.
Méthodes Nous avons utilisé les archives de séquençage actuelles (NCBI et GISAID) pour étudier 5.349 génomes entiers, en cherchant des preuves de la diversification en souches et de la pression de sélection.
Résultats Nous avons utilisé 3.958 SNPs pour construire un arbre phylogénétique de la diversité du SARS-CoV-2 et avons noté des preuves solides de l'existence de deux clades principales et six sous-clades, inégalement réparties dans le monde. Nous avons également noté qu'une évolution convergente a potentiellement eu lieu à plusieurs endroits du génome, montrant des pressions de sélection, y compris sur la glycoprotéine de spicule où nous avons noté une mutation potentiellement critique qui pourrait affecter sa liaison au récepteur ACE2. Nous signalons également des mutations qui pourraient empêcher les diagnostics moléculaires actuels de détecter certaines des sous-clades.
Conclusions L'effort mondial de séquençage du génome entier révèle le défi que représente la mise au point d'outils de confinement du SARS-CoV-2 adaptés à tous et la nécessité d'évaluer continuellement les données pour garantir l'exactitude des estimations des épidémies.