Covid-19 : les derniers résultats de M. Didier Raoult sont-ils sérieux ?
Poser la question, c'est y répondre
(Source)
L'Institut Hospitalo-universitaire en Maladies Infectieuses de Marseille (IHU – Méditerranée Infection) vient d'inventer un nouveau mode de publication : il a mis en ligne un résumé d'article scientifique sans titre et sans noms d'auteurs.
Une petite recherche nous mène cependant vers une annonce sur son site avec des liens vers un résumé (apparemment la version 1, dont on appréciera l'URL, reflet d'une mégalomanie ou d'une soumission au mandarin) et un tableau.
En voici le texte :
« La première version de notre article sur les 1061 patients qui ont été traités entièrement par hydroxychloroquine et azithromycine est terminée. Vous verrez dans les résultats que la mortalité est de l’ordre de 0,5% et que le taux de guérison est extrêmement élevé. Ce traitement a déjà été utilisé par d’autres services de l’AP-HM, avec des résultats comparables, indépendamment de notre équipe. Nous mettons en pré-publication le résumé de cet article en anglais et un tableau qui résume l’ensemble de nos données pour que ceci puisse servir éventuellement à des décisions politiques.
Version 1 du 9 avril 2020
Early treatment of 1061 COVID-19 patients with hydroxychloroquine and azithromycin, Marseille, France [traitement précoce de 1061 patients atteints du COVID-19 avec hydroxychloroquine et azithromycine, Marseille, France]
Matthieu Million, Jean-Christophe Lagier, Philippe Gautret, Philippe Colson, Pierre-Edouard Fournier, Sophie Amrane, Marie Hocquart, Morgane Mailhe, Vera Esteves-Vieira, Barbara Doudier, Camille Aubry, Florian Correard, Audrey Giraud-Gatineau, Yanis Roussel, Cyril Bellenger, Nadim Cassir, Piseth Seng, Christine Zandotti, Catherine Dhiver, Isabelle Ravaux, Christelle Tomei, Carole Eldin, David Braunstein, Hervé Tissot-Dupont, Stéphane Honoré, Andreas Stein, Alexis Jacquier, Jean-Claude Deharo, Eric Chabrière, Anthony Levasseur, Florence Fenollar, Jean-Marc Rolain, Yolande Obadia, Philippe Brouqui, Michel Drancourt, Bernard La Scola, Philippe Parola, Didier Raoult »
Trente-huit auteurs !
Au moins, les choses sont claires : il s'agit d'influencer des décisions politiques.
Cette action est sans nul doute liée à un événement du 9 avril 2020 que le Monde rapporte sous un titre plutôt neutre, mais avec un adjectif peu flatteur pour l'hôte du jour, « La visite surprise d’Emmanuel Macron à l’infectiologue controversé Didier Raoult ». Il précise :
« Plus tôt dans la journée, M. Macron s’était déjà rendu, sans avoir convié la presse, à l’hôpital du Kremlin-Bicêtre (Val-de-Marne) pour y rencontrer des équipes hospitalo-universitaires impliquées dans le programme de recherche européen Discovery, chargé de lutter contre l’épidémie. Mais c’est bien sa visite marseillaise qui capte toute l’attention, à quatre jours d’une nouvelle allocution du chef de l’Etat, prévue lundi 13 avril. »
Les Échos s'est fait plus racoleur avec «Exclusif - Didier Raoult dévoile à Emmanuel Macron une étude estimant à 91 % l'efficacité de son traitement contre le coronavirus ». En chapô :
« Le professeur Didier Raoult a réservé au président de la République l'exclusivité de son étude de suivi sur 1.061 patients passés par ses services. La guérison virologique a été obtenue chez 973 patients en 10 jours. Le débat sur la chloroquine suit son cours. »
S'agissant du résumé, n'en déplaise aux Échos, il n'y a plus d'exclusivité... Objectif : convaincre en maintenant la pression. Le Monde note encore :
« Mais de nombreuses voix sur la scène politique, à droite en particulier, plaident en faveur de sa généralisation à tous les malades du Covid-19. "Ce n’est pas au président de trancher ce débat, il doit être tranché scientifiquement, estime-t-on dans son entourage. Une visite ne légitime pas un protocole scientifique, elle acte et marque l’intérêt du chef de l’Etat pour des essais thérapeutiques, qu’ils soient prometteurs ou pas."»
Bien des commentateurs ne l'ont pas compris ainsi. Et il est bien regrettable que les autres programmes d'essais ne communiquent pas de résultats intermédiaires et provisoires, laissant ainsi le champ libre à ce qui relève de la gesticulation. Que dit, en effet, le résumé ? En voici une traduction :
« Contexte
Dans une enquête récente, la plupart des médecins du monde entier ont considéré que l'hydroxychloroquine (HCQ) et l'azithromycine (AZ) sont les deux médicaments les plus efficaces parmi les molécules disponibles contre le COVID-19. Néanmoins, à ce jour, un seul essai clinique préliminaire a démontré leur efficacité sur la charge virale. De plus, une étude clinique portant sur 80 patients a été publiée et l'efficacité in vitro de cette association a été démontrée.
Méthodes
L'étude a été réalisée à l'IHU Méditerranée Infection, Marseille, France. Une cohorte de 1.061 patients atteints de COVID-19, traités pendant au moins 3 jours avec la combinaison HCQ-AZ et suivis pendant au moins 9 jours, a été étudiée. Les critères d'évaluation étaient la mort, l'aggravation et la persistance de l'excrétion virale.
Résultats
Du 3 mars au 9 avril 2020, 59.655 échantillons de 38.617 patients ont été testés pour le COVID-19 par PCR. Sur les 3.165 patients positifs placés en soins dans notre institut, 1.061 patients non publiés auparavant répondaient à nos critères d'inclusion. Leur âge médian était de 43,8 ans et 493 étaient des hommes (46,4 %). Aucune toxicité cardiaque n'a été observée. La guérison virologique a été obtenue chez 973 patients en 10 jours (91,7 %). Un portage viral prolongé à la fin du traitement a été observé chez 47 patients (4,4 %) et était associé à une charge virale plus élevée au diagnostic (p < 10-2), mais la culture virale était négative au jour 10 et tous sauf un ont été débarrassés selon la PCR au jour 15. Un mauvais résultat a été observé pour 46 patients (4,3 %), 10 ont été transférés aux soins intensifs, 5 patients sont décédés (0,47 %) (74-95 ans) et 31 ont nécessité 10 jours d'hospitalisation ou plus.
Dans ce groupe, 25 sont désormais guéris et 16 sont encore hospitalisés (98 % des patients guéris jusqu'à présent). Un mauvais résultat clinique était significativement associé à un âge plus avancé (OR 1,09), à une gravité initiale plus élevée (OR 13,46) et à une faible concentration sérique d'hydroxychloroquine. En outre, de mauvais résultats cliniques et virologiques étaient associés à l'utilisation d'agents bêta-bloquants sélectifs et de bloqueurs des récepteurs de l'angiotensine II (p < 0,05). La mortalité était significativement plus faible chez les patients qui avaient reçu > 3 jours de HCQ-AZ que chez les patients traités selon d'autres modalités à la fois à l'IHU et dans tous les hôpitaux publics de Marseille (p < 10-2).
Interprétation
La combinaison HCQ-AZ, lorsqu'elle est démarrée immédiatement après le diagnostic, est un traitement sûr et efficace du COVID-19, avec un taux de mortalité de 0,5 % chez les patients plus âgés. Il évite l'aggravation et élimine la persistance et la contagiosité du virus dans la plupart des cas. »
Procédons pas à pas.
Le premier paragraphe est à notre sens scandaleux. Il se réfère sans doute à un sondage rapporté par le Washington Times le 2 avril 2020 dans « Hydroxychloroquine rated 'most effective therapy' by doctors for coronavirus: Global survey » (l'hydroxychloroquine classée "thérapie la plus efficace" par les médecins pour le coronavirus : enquête mondiale).
L'affirmation de la première phrase est-elle étayée par le fait que 37 % et 32 % des médecins ayant traité (ou vu traiter) des patients atteints de Covid-19 (tous les 6.227 sondés ou seulement une partie d'entre eux?) estiment que l'hydroxychloroquine ou la chloroquine et l'azithromycine ou un antibiotique similaire, respectivement, sont les plus efficaces (le total est supérieur à 100 %, les sondés devaient pouvoir donner plusieurs réponses) ?
En tout cas, la question ne portait pas sur le combo, ni sur la posologie préconisée et promue par M. Didier Raoult.
Mais ce n'est qu'un détail. Dans cette étude, il manque le groupe témoin. Il est donc impossible de distinguer l'effet du traitement de l'évolution naturelle de la maladie ou de son évolution dans le cadre d'un traitement standard.
La première phrase est un sarcasme (source)
Le Figaro résume cela sous un titre euphémique : « Chloroquine: de nouvelles données peu convaincantes »
On aura donc testé 38.617 patients – lire : personnes qui se sont déplacées pour se faire dépister – avec en moyenne 1,54 test par personne pour hospitaliser 3.165 personnes (8,2 %). Est-ce là une utilisation judicieuse des moyens de santé publique, alors que les besoins sont par ailleurs criants, s'agissant tout particulièrement du dépistage du personnel soignant dans les hôpitaux, les EHPAD, le secteur libéral, etc. ?
Sur les 3.165 personnes hospitalisées, seules 1.061 ont été retenues dans la cohorte (33,5 %). À ce stade, les critères d'inclusion ne sont pas connus. Mais comme les traitements doivent (normalement) être administrés en milieu hospitalier, on peut penser que la cohorte incluait des cas modérés dont lé rémission aurait été spontanée sans traitement.
Ce que M. Mathieu Rebeaud exprime de manière ironique dans le gazouillis suivant est peut-être bien le reflet d'une réalité dérangeante.
(Source)
C'est ce que notent aussi plusieurs médecins dans ce fil de Mme Clarisse Audigier-Valettequi note que « 95% de la population étudiée a un score de News entre 0-4 donc sans critère de gravité ». Nous extrayons les deux gazouillis suivants :
Qu'en est-il des 2.104 patients exclus de la cohorte ? Mystère. En tout cas, la comparaison des mortalités faite dans la dernière phrase de la partie « Résultats » est dénuée de pertinence, faute de connaître les détails tels que la structure des populations traitées, la sévérité des cas à l'admission, les protocoles suivis... et la mortalité dans le deuxième élément de la comparaison.
On ose espérer que la mortalité n'aura pas été plus élevée chez les 2.104 patients exclus de l'étude.
(Source)