Vandana Shiva à UC Davis : le compte rendu de Mme Alison Van Eenennaam (2)
Le sponsoring du mensonge
Alison Van Eenennaam*
Curieuse photo...
« Les universités publiques ont-elles l'obligation de présenter des informations factuelles ? La liberté d'expression s'étend-elle au parrainage d'orateurs qui propagent la désinformation et la peur ? Ce sont des questions importantes à poser dans le climat actuel, et les réponses doivent valoir pour tous les discours polarisants – quel que soit le côté du spectre politique auquel ils peuvent appartenir. »
La question – et les réponses – s'applique aussi aux institutions d'enseignement françaises... Allô, l'École Nationale Supérieure Agronomique de France (ENSAT) ! Allô, Sciences Po Paris !
Voici la partie 2 d'un tryptique (partie 1) sur cet événement de deux jours de janvier 2020 mettant en vedette le Dr Vandana Shiva à l'UC Santa Cruz.
Les universités publiques ont-elles l'obligation de présenter des informations factuelles ? La liberté d'expression s'étend-elle au parrainage d'orateurs qui propagent la désinformation et la peur ? Ce sont des questions importantes à poser dans le climat actuel, et les réponses doivent valoir pour tous les discours polarisants – quel que soit le côté du spectre politique auquel ils peuvent appartenir.
En tant que personne travaillant dans les sciences agricoles et passionnée par les politiques fondées sur les preuves, j'ai assisté à un événement de deux jours à l'UC Santa Cruz avec le Dr Vandana Shiva fin janvier 2020. Elle faisait une tournée de communication auprès des universités californiennes et son apparition à Santa Cruz avait été précédée d'une visite à Stanford. Ses visites ne sont pas restées sans controverse. J'ai assisté à la session à Santa Cruz pour voir par moi-même pourquoi on faisait tout ce foin – comme je l'ai expliqué dans la première partie de ce tryptique (« Une agriculture californienne sans "poisons" ni énergie fossile ») –, et j'avais quelques préoccupations concernant les bases factuelles de certaines de ses allégations.
L'une des déclarations faites par le Dr Shiva lors de l'atelier du dimanche intitulé « Alimentation et agriculture sans poisons et sans énergie fossile » était que la maladie du verdissement des agrumes (Citrus greening) n'affectait pas les arbres cultivés selon le mode biologique. Cette maladie des plantes tue les agrumes et a dévasté l'industrie des agrumes de Floride. C'est une maladie transmise par le psylle asiatique des agrumes qui se nourrit sur les feuilles et les tiges.
Le psylle asiatique des agrumes peut propager les bactéries lorsqu'il se nourrit sur des agrumes et d'autres plantes.
Cet insecte infecte les agrumes avec une bactérie qui cause la maladie du verdissement des agrumes, également appelée Huanglongbing (HLB). Le HLB a été confirmé en Californie, en Floride, en Géorgie, en Louisiane, à Porto Rico, en Caroline du Sud, au Texas et aux Îles Vierges américaines.
La meilleure façon de protéger les arbres du HLB est d'éliminer le psylle asiatique des agrumes, ce qui implique souvent une pulvérisation d'insecticides de synthèse non conformes aux normes de l'agriculture biologiques. Une fois qu'un arbre est infecté par le HLB, il meurt. Les arbres malades doivent être éliminés afin de protéger les autres arbres de la propriété, les arbres des voisins et les arbres de la communauté. Un espoir est peut-être qu'un arbre génétiquement modifié résistant à la maladie fournisse un jour une solution à ce problème.
Cependant, le Dr Shiva a affirmé que « les sols riches en organismes du sol confèrent une immunité à la plante. Et malgré la catastrophe pour les agrumes, les arbres gérés sur le mode de l'agriculture biologique ne contractent pas la maladie » ; elle a poursuivi en suggérant que les arbres gérés en conventionnel souffrent de la maladie du verdissement des agrumes parce qu'ils sont faibles. Des preuves, s'il vous plait ?
Non, selon l'Organic Center qui a produit un « Guide du producteur biologique pour lutter contre la maladie du verdissement des agrumes ». « Les producteurs d'agrumes biologiques ont subi de terribles pertes dues au verdissement des agrumes, et ils doivent être conscients des solutions biologiques pour conjurer cette maladie », a déclaré la Dr Jessica Shade, directrice des programmes scientifiques de l'Organic Center. « Les agriculteurs tant conventionnels que biologiques ont vu leurs plantations décimées par le verdissement des agrumes », a-t-elle ajouté. « Bien que notre rapport leur fournisse des outils pour les aider dans leur lutte, sans plus de recherches, nous continuerons de constater une baisse spectaculaire de la production d'agrumes – en particulier d'agrumes biologiques. »
Une autre déclaration discutable du Dr Shiva a été que le cotonnier Bt génétiquement modifié (GM) (qui est protégé contre des chenilles en exprimant une protéine connue sous le nom de toxine de Bacillus thuringiensis (Bt), laquelle est toxique pour les chenilles mais pas pour les mammifères) « fait que les agriculteurs utilisent plus pesticides ». Et pour ajouter de l'émotion à cette déclaration, elle a déclaré qu'elle « s'était précipitée là où 130 agriculteurs cultivant du cotonnier Bt étaient morts du fait de la pulvérisation de pesticides », ce qui impliquait que c'était à cause du cotonnier GM. Cette affirmation n'a vraiment aucun sens.
La poids de la preuve selon la littérature sur le cotonnier protégé contre des insectes est que les producteurs de cotonnier Bt pulvérisent moins d'insecticides, en particulier d'organophosphorés (Multidecadal, county-level analysis of the effects of land use, Bt cotton, and weather on cotton pests in China (analyse multidécennale, au niveau des comtés, des effets de l'utilisation des terres, du cotonnier Bt et des conditions météorologiques sur les ravageurs du cotonnier en Chine) ; Bt cotton and sustainability of pesticide reductions in India (cotonnier Bt et durabilité des réductions de pesticides en Inde) ; Impact of Bt cotton on pesticide poisoning in smallholder agriculture: A panel data analysis (impact du cotonnier Bt sur les intoxications aux pesticides chez les petits agriculteurs : analyse des données d'un panel) ; Bt cotton cuts pesticide poisoning (le cotonnier Bt réduit l'empoisonnement aux pesticides). Si le cotonnier Bt nécessitait effectivement l'utilisation de plus d'insecticides, alors il serait raisonnable de se demander pourquoi les agriculteurs planteraient du cotonnier Bt !
Certes, il peut y avoir des ravageurs secondaires qui émergent lorsque les insecticides à large spectre ne sont plus pulvérisés sur le cotonnier, et le développement d'une résistance au Bt suscite certaines inquiétudes, d'autant plus qu'il n'y a pas de refuges établis en Inde comme discuté dans cet article. Mais toutes les méthodes de lutte antiparasitaire présentent des inonvénients, et il semble parfois que lorsqu'il y a un seul inconvénient associé aux OGM – et ce, malgré les avantages documentés et suggérés par leur adoption généralisée – cet inconvénient est utilisé comme un « gotcha », un argument imparable, pour rejeter toutes les utilisations de cette méthode d'amélioration des plantes, dans toutes les situations. Un exemple courant de cette attitude est l'instrumentalisation du fait que certaines mauvaises herbes peuvent développer une résistance au glyphosate, lorsque celui-ci est utilisé sans discernement, pour déclarer que tous les OGM sont mauvais.
Plus généralement, le rapport de l'Académie Nationale des Sciences des États-Unis sur les cultures génétiquement modifiées a constaté qu'il existe « des preuves raisonnables que les animaux ne sont pas affectés en mangeant des aliments issus de cultures génétiquement modifiées » ; les données épidémiologiques ne montrent aucune augmentation du cancer ou d'autres problèmes de santé liés à l'entrée de ces cultures dans notre approvisionnement alimentaire. Les cultures résistantes à des ravageurs qui empoisonnent les insectes grâce à un gène de la bactérie du sol Bacillus thuringiensis (Bt) permettent généralement aux agriculteurs d'utiliser moins de pesticides. Les agriculteurs peuvent gérer le risque que ces ravageurs développent une résistance en utilisant des cultures contenant des niveaux suffisamment élevés de toxine et en plantant des « refuges » non Bt à proximité [texte repris de Sciencemag]. Cette étude NAS de plus de 800 pages s'est appuyée sur des centaines d'articles de recherche pour faire des généralisations sur les variétés GM déjà en production commerciale.
Malheureusement, dans ses présentations, le Dr Shiva n'a fait aucune référence aux études desquelles se dégage le poids de la preuve, ni aux déclarations consensuelles des sociétés scientifiques. Au lieu de cela, elle s'est souvent appuyée sur des anecdotes, sur des appels à la « nature » et à l'émotion, et sur des références occasionnelles à un sous-ensemble sélectionné de la littérature scientifique pour étayer ses arguments ; parmi elles, la très critiquée et très controversée étude Seralini de 2012, finalement rétractée (republiée par la suite dans un revue différente) pour suggérer que les OGM et le glyphosate étaient associés à des tumeurs chez le rat ; parmi elles aussi un article sri-lankais de 2014 qui posait une hypothèse non vérifiée selon laquelle le glyphosate était responsable d'une maladie rénale chronique de cause indéterminée (CKDu – chronic kidney disease of unknown origin). Une revue systématique et méta-analyse de 2018 « a trouvé peu de preuves que les pesticides étaient la principale cause de la CKDu en Amérique centrale. »
Au cours de l'atelier du dimanche, le Dr Shiva a déclaré : « Je ne suis pas une scientifique agricole. Je ne suis pas toxicologue. Je suis juste amoureuse de la Terre. » Cela a été accueilli par des hochements de tête approbateurs et des applaudissements du public de Santa Cruz. En mettant en place ce cadre dichotomique – que les scientifiques ayant une profonde compréhension de l'agriculture et de la toxicologie ne sont pas, en quelque sorte, amoureux de la Terre, son message semblait être de se méfier de l'expertise et de la science et de se ranger plutôt du côté des gens qui professent « un amour profond de la Terre ». Mes collègues de l'université créée par donation foncière passent leur carrière à essayer d'utiliser la science pour développer des approches visant à réduire l'impact environnemental de l'agriculture pour le bien à la fois de la Terre et de l'humanité. Si les agronomes et les toxicologues du secteur public sont l'ennemi à mépriser ou à ignorer, alors je crains pour l'avenir de la production alimentaire.
Des étudiants de l'Université de Stanford ont invité le Dr Shiva à parler à cette université le jeudi 23 janvier 2020 avant sa prestation à Santa Cruz. À la suite de la controverse concernant cet événement, le groupe « Étudiants pour un Stanford durable » (SSS) a écrit dans le journal de son campus :
« Nous reconnaissons que le Dr Shiva a fait de nombreuses déclarations incendiaires au cours de sa carrière. Certaines d'entre elles sont fausses. Par exemple, elle a soutenu que les suicides d'agriculteurs en Inde ont doublé depuis l'introduction du cotonnier Bt et que les OGM sont dangereux à consommer. Elle a fait référence à ces points lors de la conférence. Ces positions ne sont pas soutenues par la littérature scientifique et notre organisation ne les approuve pas. Ces déclarations délégitiment-elles toute la plate-forme du Dr Shiva ? Doit-on lui refuser le micro parce que certaines de ses déclarations ont été réfutées ? Non. SSS pense que nous pouvons inviter une conférencière controversée sur le campus et fournir une tribune pour ses idées sur la justice environnementale et l'activisme communautaire, sans parrainer chaque déclaration qu'elle fait. » (C'est nous qui graissons.)
Cet argument est intéressant, car il suggère que les intervenants sur le campus ne devraient pas être tenus de présenter des informations factuelles à 100 % et qu'il ne faut pas s'attendre à ce qu'ils le fassent. Il excuse plutôt la désinformation dont on sait qu'elle sera présentée par la conférencière rémunérée, puisqu'elle n'est pas « parrainée ». Mais je me demande comment le public, principalement avec peu d'expérience ou d'expertise agricole, peut discerner quelles parties du discours sont des « contrevérités non parrainées » et quelles parties sont des « idées ou des connaissances sponsorisées sur la justice environnementale et l'activisme communautaire ». Un argument similaire pourrait-il être avancé selon lequel le Dr Andrew Wakefield devrait être invité à discuter de son affirmation discréditée selon laquelle les vaccins causent l'autisme ? Je me souviens du vieil adage : « Vous avez droit à votre propre opinion. Mais vous n’avez pas droit à vos propres faits ». Je me demande si le parrainage d’une conférencière connue pour diffuser de la désinformation sur les campus universitaires sert le bien public.
Plus généralement, je ne suis pas sûre que la justification conviendrait aussi aux entretiens de recrutement des professeurs. « Eh bien, 80 % de ce que le candidat a dit était vrai, mais les 20 % restants sur [choisissez votre sujet scientifique controversé et clivant – il n'y a pas de changement climatique... les vaccins causent l'autisme... la terre est plate... les OGM ne sont pas sûrs pour la consommation... l'évolution est une conspiration...] sont des positions non soutenues par la littérature scientifique, et cette université n'approuve pas ses allégations comme des faits, mais le candidat jouit d'une grande audience, donc il semble une recrue acceptable. »
En tant qu'éducatrice, j'ai une attente assez simple pour les conférenciers sur les campus universitaires, quel que soit leur domaine : ils ne devraient pas induire intentionnellement les gens en erreur avec des anecdotes qui ne sont pas soutenues par la littérature scientifique, ou répandre des informations erronées qu'ils savent fausses. Et si je soupçonne que cela pourrait être un problème, je les associerais à un expert en la matière du secteur public qui pourrait contester toute déclaration non étayée par des preuves. Il ne me semble pas que la barre soit mise trop haut. Et à mon avis, lorsqu'il s'agit d'encourager l'activisme communautaire autour du changement des pratiques de production agricole face au changement climatique, cette attente de preuves est doublée en raison des implications dramatiques dans le monde réel des changements mal avisés fondés sur des informations incorrectes.
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* Source : https://biobeef.faculty.ucdavis.edu/2020/02/03/sponsoring-falsehood-2-of-3/