Sommes-nous prêts à « recâbler » l'agriculture ?
David Zaruk*
« Il ne peut pas y avoir pire que ça ! »
C’est ce que j’ai pensé en regardant le « documentaire visionnaire » végane du journaliste militant George Monbiot, Apocalypse Cow, sur Channel 4 au Royaume-Uni au début du mois de janvier ; il présente les agriculteurs comme la principale cause de tous les problèmes environnementaux imaginables. Monbiot a proposé des solutions pour mettre fin à l'agriculture dans deux décennies. Au cours de l’année qui a suivi la décision EAT Lancet et la décision de la Cour de Justice de l'Union Européenne contre les nouvelles techniques d'amélioration des plantes, l’agriculture a été rapidement décrite comme la principale menace pour l’humanité et l’environnement.
Mais toute crise fait surgir une opportunité. Dans le désespoir, qui est un signal de vertu, de Monbiot pour un environnement perdu est venue sa surprenante volonté de s'ouvrir à la technologie. Si les consommateurs regardent au-delà de la rhétorique anti-OGM pour essayer un burger à base de plantes ; si les gens demandent les outils nécessaires pour résoudre la « catastrophe climatique » ; si l'agriculture numérique, les cultures de couverture et les vaches aimables avec le climat sont des solutions aux problèmes qui font la trame de notre récit ; alors il y a une opportunité pour les biologistes des plantes et les agronomes de relever le défi.
L'innovation prospère lorsque la société exige des avantages. Cela s'accentue lorsque la population se sent vulnérable et veut que les chercheurs résolvent leurs problèmes. Notre amnésie sociale qui nous a fait oublier les besoins même de la dernière génération (sécurité alimentaire, meilleurs médicaments, emplois, croissance économique) a conduit à une insouciance envers la recherche et l'innovation. Mes étudiants avaient un regard vide lorsque je leur ai demandé de citer la dernière grande famine. Il n'y en a pas eu de leur vivant. Notre style de vie occidental a oublié ce que signifie être dans le besoin. Cela se manifeste dans le fait que nos demandes d'innovations se concentrent aujourd'hui sur un Wi-Fi plus rapide et une durée de vie de la batterie plus longue.
Des populations en croissance (et plus riches), des menaces pour la biodiversité, des contraintes climatiques et des événements météorologiques extrêmes – notre société de confort vit en effet toujours au bord du précipice et s'éveille lentement à la fragilité qui a toujours existé. Alors peut-être ce n'est pas une mauvaise chose que Monbiot ait réalisé que nous devons compter sur la science et des penseurs innovants pour résoudre ses problèmes. Bien sûr, la solution de Monbiot – éliminer toute agriculture au cours des deux prochaines décennies – est le produit d'un récit erroné et de l'alarmisme profondément enracinée en lui.
Les innovations dans l’agriculture (plutôt que les innovations de Monbiot pour remplacer l’agriculture) doivent être considérées comme apportant des avantages pour résoudre les défis de la société : séquestration efficace du carbone, meilleures semences pour les cultures de couverture, résistance aux champignons pathogènes, rendements plus élevés. La liste des pistes pour les innovations s'allonge de jour en jour. Les NPBT ont le potentiel d'ouvrir la voie à d'innombrables solutions et avantages durables.
Mais l'opportunité attire la concurrence et tous les acteurs ne jouent pas le même jeu. Dans son livre The Wizard and the Prophet, Charles Mann a montré comment les questions agricoles ont été abordées par deux voies divergentes : la voie de la « technologie innovante » représentée par Norman Borlaug et la voie de « la nature finira bien par guérir » de William Vogt. Soixante-dix ans plus tard, les écologistes et les chercheurs se disputent toujours pour savoir quelle voie il faut emprunter.
Aujourd'hui, les écologistes font campagne pour mettre fin aux pratiques normales (arrêter de manger de la viande, arrêter de prendre l'avion, arrêter de cultiver, tout arrêter) et laisser la nature se guérir. Dans son documentaire, Monbiot s'est émerveillé de la rapidité avec laquelle les anciennes terres agricoles pouvaient être réensauvagées aux Pays-Bas. Je partage cependant le point de vue de la recherche selon lequel l’Homme a la capacité innovante de relever nos défis et de protéger l’environnement tout en garantissant une bonne qualité de vie.
Le récit de l’innovation est menacé par des militants jouant la carte de la précaution et sapant les objectifs de la communauté des chercheurs en suscitant la crainte et agitant l'incertitude.
Le récit de l’innovation est menacé par des militants jouant la carte de la précaution et sapant les objectifs de la communauté des chercheurs en suscitant la crainte et agitant l'incertitude. Alors que notre amnésie sociale qui a occulté les vulnérabilités augmente, les régulateurs et le public ne voient souvent pas la nécessité de prendre des risques pour assurer une agriculture sûre et productive.
L'une des approches que je déconseille régulièrement est le « piège du déni ». Chaque fois que nous refusons une allégation (ce produit chimique ne cause pas de cancer, ces vaches ne libèrent pas beaucoup de méthane, cette pratique ne nuit pas à l'environnement, les NPBT ne sont pas des OGM), nous jouons le jeu de quelqu'un d'autre et ne faisons pas valoir les avantages et les opportunités de notre recherche et de notre technologie.
Les activistes savent que lorsque l'industrie tombe dans son piège du déni, la confiance du public est perdue. Les scientifiques et les agriculteurs sont également tombés dans ce piège.
Ce qu'il faut faire, c'est se concentrer sur les avantages et les progrès. Le public veut savoir que les innovations améliorent les choses (en particulier lorsque les activistes décrivent la situation comme s'aggravant perpétuellement). Si les innovations de l'ag-tech peuvent susciter l'intérêt du public, elles captureront son espoir de continuer à profiter des avantages sans menaces pour l'humanité ou l'environnement.
Il ne doit pas s'agir d'arrêter l'agriculture ou de renoncer aux plaisirs culinaires, mais d'une meilleure recherche et de solutions innovantes.
Mais pour que cela se produise, les scientifiques devront quitter le laboratoire pour le microphone ; les agriculteurs devront quitter les champs pour les allées du pouvoir. Plus que de problèmes de recherche, il s'agit d'un défi de communication pour reprendre le contrôle du récit. Il ne doit pas s'agir d'arrêter l'agriculture ou de renoncer aux plaisirs culinaires, mais d'une meilleure recherche et de solutions innovantes.
Les défis auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui ne signifieront pas la fin de l’agriculture et la « renaturation » du Royaume-Uni (comme le rêve Monbiot), mais un nouveau départ pour les chercheurs pour « recâbler » l’agriculture en garantissant des avantages tout en répondant aux préoccupations de la société.
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David, alias Risk-monger, pense que la faim, le SIDA et des maladies comme le paludisme sont les vraies menaces pour l'humanité – et non les matières plastiques, les OGM et les pesticides. Vous pouvez le suivre à plus petites doses (moins de poison) sur Twitter et sa page Facebook.
* Source : https://european-seed.com/2020/02/are-we-ready-to-rewire-agriculture/