De M. Jean-Marie Séronie : « Et si l'agribashing était une chance pour les agriculteurs ? »
Oui, mais il faut bien s'y prendre
« Et si l'agribasing était une chance pour les agriculteurs ? », sur le blog de M. Jean-Marie Séronie et sur Wikiagri est un titre intéressant, ne serait-ce que par sa tonalité un peu provocatrice.
On peut diviser l'article grossièrement en deux parties : un état des lieux et une feuille de route.
Je ne suis pas du même avis pour la première et je partage le second.
« Pourquoi nos concitoyens critiquent-ils de plus en plus une agriculture qu’ils connaissent de moins en moins. Elle est accusée, en vrac et selon les circonstances, de productivisme, d’atteintes à l’environnement, de maltraitance animale ou de mal nourrir les français.
Pourquoi : tout simplement parce qu’ils s’intéressent de plus en plus à l’agriculture ! […]
Les Français s’intéressent à l’agriculture parce qu’ils sont soucieux de leur santé. Ils prennent peu à peu conscience que leur santé dépend de la qualité de leur alimentation et donc quelque part des produits agricoles. […]
Ils sont également de plus en plus préoccupés par l’avenir de la planète, du climat et de l’environnement. […] »
Est-ce bien vrai ?
Selon un sondage Odoxa, neuf Français sur dix (88 %) ont une bonne opinion des agriculteurs et neuf sur dix jugent que les agriculteurs sont « utiles » (90 %), « courageux » (89 %) et « passionnés » (87 %).
Qui ne se soucie pas de sa santé ? Et qui, en faisant ses courses, épluche les étiquettes pour traquer des choses indésirables qui seraient le fait des agriculteurs ?
La pénétration des produits de l'agriculture biologique est relativement faible – quoi qu'en disent ses thuriféraires et malgré une promotion, ou plutôt une propagande, particulièrement « vigoureuse » axée sur des allégations, explicites ou implicites, de santé et sur le dénigrement de l'agriculture conventionnelle. Non, la majorité des Français ne tient pas les agriculteurs pour des empoisonneurs.
Certes, le porte-monnaie joue un rôle : on peut se tourner vers les produits pas chers par obligation et, en même temps, vitupérer leur qualité et leurs producteurs. À l'inverse, le prétendu engouement pour les circuits courts semble plutôt être le fait de bobos disposant de revenus plutôt confortables et de temps.
Il en est de même de « l'avenir de la planète », etc. La fin du mois passe bien avant la fin du monde.
Tout cela débouche sur une question : ce formidable agribashing ne serait-il pas le fait d'une minorité agissante, bruyante, tonitruante, experte en communication, diverse mais organisée en réseaux d'intérêts convergents, bénéficiant d'appuis et de soutiens dans le monde économique, médiatique et politique (dans l'ordre alphabétique) ?
Nous le pensons. Et c'est au final un gros atout pour la profession agricole.
L'antispécisme, la cause animale, etc. livre un exemple caricatural : l'attention médiatique que reçoivent ces mouvements dans les médias – médias dont il faut dire maintenant qu'ils sont noyautés et souvent imperméables à la déontologie et au civisme – est sans commune mesure avec le poids de leurs militants dans la société.
Ce constat débouche sur de nouvelles questions et permet de définir des objectifs et des stratégies.
M. Jean-Marie Séronie écrit :
« Pour rétablir la confiance il faut, je crois, que le monde agricole sorte d’une approche défensive, de justification et donc vécue comme agressive par la société. Je crois que, toutes composantes réunies, il délivre un message rassurant parce qu’homogène, rationnel, cohérent et répondant aux besoins de sécurité des consommateurs. »
Et, plus loin :
« Rétablir la confiance passe par la transparence, la clarté du projet et le respect des règles. »
On peut être globalement d'accord, mais il s'agit là de généralités qui ne mènent pas bien loin.
Voici, brut de décoffrage :
« On peut y voir quatre dimensions :
- Des agriculteurs qui communiquent sur le terrain au quotidien, positivement, humainement et de manière transparente sur leurs pratiques comme le font toute une équipe de youtubeurs ou lors de portes ouvertes.
(Source)
- Des organisations agricoles qui arrivent à s’accorder sur une plateforme commune partagée par les différentes sensibilités ou familles syndicales. Cette communication présenterait aux consommateurs la réalité de l’agriculture sans opposer les modèles. Soyons en effet conscients que les oppositions internes au monde agricole (conventionnel, conservation des sols, bio..) ne sont ni l’origine ni le moteur de l’agribashing mais qu’elles en constituent un efficace carburant !
- Un gouvernement et en particulier un ministre de l’Agriculture qui tient un discours clair, pragmatique et constant sur sa stratégie agricole et qui communique en s’appuyant sur des faits objectifs.
- Des entreprises agroalimentaires qui jouent la transparence totale et notamment affichent clairement l’origine des produits. »
Nous avons un peu de mal à comprendre : ce ne peut pas être un constat de la situation actuelle, sauf pour le premier point, les agriculteurs présents sur les réseaux sociaux faisant un travail remarquable.
Dans les organisations agricoles, il en est une, tout particulièrement, qui se livre à un agribashing effréné. Il s'agit pour elle de promouvoir les intérêts de (certains de) ses membres au détriment des autres membres de la profession agricole et agroalimentaire – drôle de conception du syndicalisme, probablement unique dans notre monde... Il s'agit aussi de promouvoir, même contre les intérêts de ses membres, des causes étrangères à l'agriculture, de nature sociopolitique. La majorité de la profession a-t-elle défini une ligne politique et stratégique à cet égard ? Nous ne le pensons pas.
Le gouvernement – et des institutions comme l'INRAE ? Quel désastre !
Quant aux entreprises agroalimentaires et à la distribution, l'agribashing explicite ou implicite est devenu un élément incontournable de leur marketing pour piquer des parts aux concurrents et tirer de meilleures marges dans un marché devenu inélastique. C'est notamment sur le mode : « Nos produits sont plus "vertueux" », suivi le cas échéant, implicitement, « que ceux de la concurrence ».
Comment faut-il comprendre la promotion effrénée du bio ? Comme un dénigrement implicite de l'agriculture dite conventionnelle, celle qui nous nourrit et dont la profession doit proclamer qu'elle nous nourrit. « On vit une guerre économique » a dit M. Gil Rivière-Wekstein dans une excellente analyse.
(Source)
L'article de M. Jean-Marie Séronie se termine par un constat intéressant :
« Les consommateurs sont de plus impatients, il faut les rassurer sur les changements en action. Le temps médiatique est très court, alors que le temps agricole, le temps de la nature, le temps de la recherche de nouvelles solutions sont plus longs. Il faut résoudre ce décalage. Cela passe beaucoup par la communication. Pour rendre l’agenda acceptable il faut une mise en perspective crédible parce que claire, argumentée, basée sur la science et non la croyance, appuyée par un message cohérent et constant. »
Enfin, pour la première phrase, il faudrait certainement rassurer les consommateurs sur la situation existante. Parler des changements en cours, c'est implicitement admettre que la situation actuelle n'est pas satisfaisante. Il y a certes des améliorations à faire, et elles peuvent venir en temps et en heure.
Pour le temps médiatique et le temps agricole, etc. « résoudre » doit sans nul doute s'interpréter dans le sens d'« expliquer »... à commencer au Président Emmanuel Macron et à ses courtisans s'agissant de la « sortie » du glyphosate. Et ajouter le temps démographique. Quand 50 % des agriculteurs prendront leur retraite dans les cinq prochaines années, on se fait prudent et mesuré dans l'établissement de nouvelles normes et contraintes.
(Source)